Nul besoin de connaître les oiseaux pour pénétrer dans l’univers à plumes de Fabienne Raphoz. La langue anglaise, dit-elle, permet de distinguer les ornithologues (Ornithologists)et les observateurs d’oiseaux (Birdwatchers), mais elle préfère se définir comme une «ornithophile». A cette passion venue à l’âge adulte, elle consacre ce troisième livre, après l’Aile bleue des contes (Corti, 2009) et les poèmes de Jeux d’oiseaux dans un ciel vide (Héros-Limite, 2011). Ce treizième volume de sa collection «Biophilia» se présente comme le carnet d’une amatrice éclairée qui consigne ses observations et ses lectures. C’est une balade poétique et personnelle, par fragments, dans une nature «plus vraie que nature», «une wilderness comme fardée telle qu’on la désirerait toujours, immuable, dans sa virginité supposée…»
Chênaie.Pour qui s’y intéresse plus qu’à distance, les oiseaux constituent une compagnie vivante, permanente, cuicuitante. De sorte que, quand l’un d’eux s’envole sans logique, c’est perturbant. Un matin, le rouge-queue à front blanc qui la réveillait ne se manifeste pas. «Regretter, comme si l’on perdait un ami de vue, la présence quotidienne d’un oiseau, n’est pas très raisonnable», écrit malicieusement Fabienne Raphoz. Mais ce qui différencie la constatation simple de l’intérêt majeur, c’est de comprendre pourquoi le volatile s’est tout d’un coup évaporé. Grâce au Géroudet, sorte de bible ornithologique, elle en déduit que «Front blanc» va revenir début septembre. «L’avantage de l’amateur généraliste sur le spécialiste ou l’expert, c’est qu’il ne peut jamais se faire confiance, il doit toujours vérifier, il n’a aucune théorie à défendre, c’est un éternel débutant.»
Les saisons passent sur le colombier de sa maison du Quercy au rythme des migrations. Chaque matin, au printemps, une ronde dans la chênaie permet de vérifier qu’ils sont tous là : la grive musicienne, la fauvette à tête noire, les roitelets triple-bandeau, la sittelle torchepot, les mésanges bleues et le pouillot véloce. Quant à la hulotte, elle se perche sur la même branche de pin pour dormir de jour. C’est une forme de poésie contemplative à l’état pur.
«Rapace miniature».C’est son chant qui annonce l’oiseau, comme le chiff-chaff du pouillot véloce ou le kré-kré-krédes grièches. Ces passereaux font l’objet d’une de ses obsessions. Les pies-grièches écorcheurs, «véritables Vlad Tepes volants» empalent leurs proies. Tout le jeu est d’en surprendre une «pour voir le moment de l’impact entre le bec crochu de ce rapace miniature et la sauterelle, le scarabée, le papillon». Autrefois pourchassées, les pies-grièches sont désormais protégées, comme de nombreux autres passereaux. Fabienne Raphoz raconte des histoires d’extinctions d’espèces remarquables, comme les xéniques en Nouvelle-Zélande. Et rappelle qu’il est important de nommer. «Nommer, c’est bien ineffacer ce qui nous entoure, parce que les espèces, comme les individus, évoluent, parce que les espèces disparaissent et que les individus meurent" F.RI