« Qui est né dans la brousse ne connait pas la frousse » Proverbe namibien
Albine VILLEGER nous écrit :
Passionnée par l'observation de la faune sauvage en Afrique australe, Albine Villeger a voyagé durant 25 ans à raison d'environ un voyage par an en Afrique, et en 2019 dans le cadre d'un congé sabbatique de 6 mois : Ethiopie, Nairobi, Namibie, Durban. Elle s'est rendue 6 fois en Namibie, "son pays de coeur".
Dans le même temps, elle aime lire et écrire, une partie de son métier étant d'ailleurs dédiée à la communication éditoriale.
Elle a produit un recueil “N'oeuf contes d'autruche, les braves z'animaux” inspirés de la faune sauvage et des paysages de la Namibie ; l'un d'entre eux "La farce du loup d'Abyssinie" a gagné un concours d'écriture et a été publié aux Editions La Fontaine de Siloé.
Voici le n°1 de ses contes
Dans un pays au sud austral, si loin de la Beauce que même les nuages ne peuvent y filer, un jour, il y a très longtemps, les hommes s’ennuyaient. Leur désert était terre rouge, et les dunes hautes touchaient les larmes de l’océan, qui transportaient les secondes, les minutes et les heures. En tombant, elles allaient dire bonjour aux tok tokkie, des scarabées quibuvaient ces gouttes d’eau, et qui comptaient le temps. Tic-Tac n’existait pas ; tok tokkie ici. Une goutte, deux gouttes, trois gouttes ... Il ne faut pas être pressé dans le désert, les jours filent moins vite que les nuages de la Beauce, et les bushmans avaient décidé de jeter les aiguilles du temps, pour ne pas tourner en rond. Ils ne s’ennuyaient donc jamais. Ils avaientLE temps, largement, suffisamment, alors pourquoi le mesurer ? Mais Kiki le suricate, lui, était un brin pressé de séduire Svetlana la guéparde ; il lui fallait galoper, galoper pour la rattraper, elle qui s’élançait d’un désert à l’autre, du Namib au Kalahari. Alors, Kiki se dit qu’il lui fallait arrêter le temps pour pouvoir lui déclarer son amour ; il se redressa sur ses deux pattes, droit comme un grand I, puis leva les deux bras vers le ciel jusqu’à toucher les nuages, et guetta au loin la belle Sveltana. Soudain alors, tout se détraqua ; plus de gouttes, plus une seule. Le nuage était furieux d’avoir été attrapé et gronda en regardant avec des éclairs dans les yeux Kiki le suricate.
Tok tokkie le scarabée était très inquiet ; quelques gouttes suffisent, mais point trop n’en faut, et le nuage avait l’air très fâché. Il éclata dans une colère foudroyante, et il pleura tellement que le sable des dunes emporta tout le temps, loin, loin, très loin de l’océan. Il emporta avec lui Kiki le suricate, qui était ravi de faire du toboggan, et qui pensa que les vagues allaient le transporter dans le Kalahari. Mais l’eau de là-haut ne connaissait que le sable pour maison, aussi décida-t-elle de sauter par- dessus la frontière de l’Angola, et se transforma en source à Huambo, puis en fleuve Okavongo. Kiki le suricate était bien embêté : où était Svetlana ? Il avait perdu son pays, ses nuages, et il était dans un autre désert : que faire ? Pour pouvoir rentrer chez lui, il lui fallait ramener tout le sable, mais il n’était qu’un petit suricate ... les bushmens, eux, avaient perdu le temps, et ils couraient pour le rattraper. Ils se sont déguisés en antilopes, un homme debout, et l’autre derrière en angle droit ; ils ont mis l’eau dans les œufs d’autruche percé d’un trou ; puis ils ont construit un arc et des flèches pour envoyer leurs plus beaux dessins dans le ciel. Mais rien ne ramenait le temps, et il passait très, très lentement, tellement lentement que même après avoir mis à leurs pieds des colliers de graine pour danser et chanter en battant le rythme du temps, les bushmens se sont ennuyés pour la première fois de leur vie.
L’heure était grave. Kiki le suricate alla trouver les bushmens pour s’excuser et leur expliqua qu’il était la cause de tous ces désordres, mais qu’il ne savait pas comment ramener le sable dans le Namib.
Alors les bushmens se dirent qu’il fallait mesurer le temps avec du sable, et le laisser s’écouler d’un désert à l’autre. Ils mirent trois minutes de sable dans une coquille, avec un petit trou, et en-dessous une autre coquille avec un petit trou. Alors le sable rentra chez lui, et le sablier était inventé. Dans d’autres pays, très très loin de la Namibie, du Botswana et de l’Angola, on se sert des sabliers pour cuire les œufs en trois minutes, mais ça, c’est une autre histoire ... Kiki le suricate était bien content, et il promit de ne plus jamais lever les yeux au ciel, même pour Svetlana, parce que finalement, tout bien réfléchi, en regardant juste autour de lui, il vit de très belles suricates aux longs cils graciles ...