La Patagonie, c'est le bout du monde. Une impression de finis terrae, au bord des abîmes opalins de l'Antarctique. Terre chimérique et imaginaire que se partagent pourtant le Chili et l'Argentine, pour le meilleur (rarement) et pour le pire (souvent). Officiellement, on considère qu'elle commence au sud de Puerto Montt au Chili et au sud du río Negro en Argentine. Plus ou moins au sud du 40e parallèle, jusqu'au cap Horn. Pour des raisons d'ordre pratique, nous incluons également l'Araucanie et les régions chiliennes des Lacs et des Fleuves. D'un côté de la cordillère des Andes, les terres luxuriantes, exubérantes et pluvieuses du Pacifique ; de l'autre, la steppe infinie qui s'étire jusqu'à l'océan Atlantique. Pas vraiment de divisions entre les peuples, malgré les grands mots de ceux qui gèrent la carte géographique depuis les capitales. Ainsi, le Sud chilien n'a été relié à son propre pays que dans les années 1980, avec la construction de la Route australe ; il était jadis (et cela est encore vrai aujourd'hui) bien plus aisé pour les habitants de commercer avec les voisins transandins. Pourtant, les frontières du Grand Sud ont toujours fait l'objet de débats interminables entre les Etats. Quand l'imaginaire dépasse les réalités économiques... La Patagonie, c'est comme une colonne vertébrale déplacée, comme si les mythes eux aussi devaient être équivoques, capricieux et chancelants. Comme si toute l'histoire de cette région - allégorique - ne pouvait composer avec la raison et devait forcément livrer son lot d'incertitudes, égarer les sens.
La Patagonie, au-delà des rêves et des fantasmes, c'est aussi l'histoire (bien concrète hélas !) de l'un des plus terribles génocides humains. L'anéantissement de plusieurs peuples. Comme si notre imaginaire (logique et raisonnable) ne pouvait que prendre racine dans la mythification de ces terres immenses et venteuses. Comme si nos fantasmes ne pouvaient s'exprimer que dans la disparition de certaines formes de réalité.
Prêts à partir pour les confins du monde ? Rappelez-vous alors ces beaux mots de Jean Raspail : " Ayant sollicité un ordre de mission du ministère de l'Instruction publique, Jean de Liniers s'était entendu répondre "que la Patagonie n'existait pas, que c'était un pays purement chimérique"... ".