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L’ornithologue Frédéric Jiguet se passionne pour la protection des oiseaux migrateurs

Frédéric Jiguet, né en 1972 à Grenoble est un ornithologue et biologiste de la conservation français, professeur au Muséum national d'histoire naturelle2 de Paris. Il développe des recherches sur la migration des oiseaux et les impacts des changements globaux et des activités anthropiques. Il est membre du Conseil National de la Chasse et de la Faune Sauvage, du Comité d'Experts pour la Gestion Adaptative, du Conseil Scientifique et Technique de la Ligue pour la Protection des Oiseaux, et membre élu du Conseil Scientifique du Muséum National d'Histoire Naturelle.

Frédéric Jiguet se passionne pour la protection des oiseaux migrateurs. Et trouve « fascinantes » les technologies ultralégères, accrochées aux volatiles, qui permettent de les étudier.

Cet article est publié en partenariat avec la Revue Salamandre.

Si les bruants ortolans chantent encore en Europe, c’est un peu grâce à lui. Scientifique et ornithologue renommé, Frédéric Jiguet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, se livre sur sa passion intacte pour la conservation des oiseaux migrateurs, dont il fait la priorité de ses recherches.

 

La Salamandre – N’êtes-vous pas éloigné du terrain et des oiseaux ici, en plein centre de Paris ?

Frédéric Jiguet – Sur le papier, en effet, c’est le risque. Mais j’ai toujours à l’esprit de trouver un équilibre. Je viens de la nature, jumelles à la main et bottes aux pieds, et je sais combien c’est important pour rester connecté à la réalité. En pratique, j’ai la grande chance de pouvoir organiser mon travail dans ce sens. Je m’engage concrètement dans mes missions de recherche. Je ne délègue pas tout et je vais au contact des oiseaux que j’étudie. Parfois même juste en face de mon bureau, dans le Jardin des Plantes, lorsque j’explore l’écologie fascinante des corneilles urbaines.

Comment est née cette attirance pour les oiseaux et la nature ?

Bien plus qu’une attirance, c’est une passion d’enfance. D’après mes parents, j’avais déjà le virus à l’âge de 5 ou 6 ans. Je passais alors pas mal de temps à feuilleter et à griffonner un livre de biologie confié par ma maman, alors enseignante dans ce domaine. Originaire des Alpes savoyardes et iséroises, j’ai d’innombrables souvenirs de vacances à la ferme. Je rêvais parfois qu’à l’école nous pourrions apprendre à observer les oiseaux. Naïvement, je bricolais des pseudo-pièges dans l’idée de les voir de plus près. C’étaient des trucs de gamin de la campagne… C’est drôle de constater que je fais exactement ça dans mon métier aujourd’hui.

« Le courlis est une espèce encore chassable en France, mais elle fait l’objet d’un moratoire depuis 2019. » Adobe Stock

Puis, j’ai commencé à faire des affûts pour trouver les nids de tariers des prés. Un passereau alors bien présent dans les prairies fleuries à reblochon. Cet animal symbolise mes tout premiers souvenirs d’ornithologue amateur. Quarante ans plus tard, cet oiseau fait toujours partie des espèces que j’étudie. Mais quand je retourne sur les lieux, je dois monter 200 mètres plus haut en altitude, près du col des Aravis, pour en trouver… L’évolution du climat et des pratiques agricoles est passée par là.
La protection du bruant ortolan illustre bien cette motivation. Une photo de cet oiseau trône juste au-dessus de votre bureau parisien, rue Buffon. Racontez-nous le combat que vous avez mené pour sa protection.

Ce passereau menacé faisait l’objet d’une chasse traditionnelle, dans le sud-ouest de la France, qui a beaucoup fait parler d’elle. Quand les premières études ont permis aux ONG d’alerter sur le déclin de cet oiseau à l’échelle européenne, les projecteurs ont vite été tournés sur cette pratique bien française. Qui n’a pas suivi les déplacements médiatiques houleux du président de la Ligue pour la protection des oiseaux, Allain Bougrain-Dubourg, dans les Landes ?

En 2012, le ministère de l’Écologie a finalement commandé au Muséum une étude pour identifier l’origine géographique et l’état de santé des ortolans migrant via la France en automne. La coordination du projet m’a été confiée. Avec des collègues européens, nous avons capturé, marqué et suivi ces passereaux pendant quatre ans, de la Russie à l’Espagne. Parallèlement, en 2016, la France a été sommée par la Cour de justice de l’Union européenne de mettre fin à cette pratique, au risque de payer une amende conséquente. Nos travaux ont été publiés en 2019 et les résultats sans appel : les 15 000 ortolans tués chaque année ont un impact très important sur la population qui suit cette voie migratoire. Cette chasse explique pour moitié le déclin généralisé de l’espèce.

Cette mission transparente, reconnue et réalisée à large échelle, a confirmé les soupçons et alertes des ONG. Cela a permis de clore le débat. L’État français a enfin protégé strictement le bruant ortolan. Surtout, les instances de la chasse, qui avaient cofinancé l’étude, se sont rangées aux conclusions et ont officiellement demandé aux chasseurs des Landes de ne plus capturer de bruants.
Parmi les oiseaux, pourquoi les migrateurs vous intéressent-ils le plus ?

Un chercheur a ses spécialités. Je suis très sensible aux enjeux globaux et locaux qui touchent les oiseaux migrateurs à travers les activités humaines. Et je m’intéresse beaucoup à la technologie qui permet de suivre ces animaux très mobiles à l’échelle du continent européen, voire au-delà. C’est totalement fascinant.

Je dois admettre que les débats qui tournent autour de la chasse et des espèces dites nuisibles – aujourd’hui appelées espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) – me motivent particulièrement. Ce n’est pas simple, il y a des rouages politiques à connaître, des lobbies à considérer et quelques risques à prendre. On ne se fait pas que des amis en s’attelant à ces sujets traditionnellement chauds en France. Mais si c’est trop compliqué, que des guerres de clans ou d’égo entravent les choses, je tâche alors d’esquiver ces futilités.

Je place toujours l’intérêt des oiseaux et les partenariats vertueux en priorité. Parfois, je m’amuse à imaginer que les chasseurs finiront par se dire un jour : « Jiguet commence à étudier cette espèce, elle ne sera bientôt plus chassable. »(rires)
Par exemple, lorsque vous engagez des travaux sur le courlis cendré ?

Oui. Le courlis est une espèce encore chassable en France, mais elle fait l’objet d’un moratoire depuis 2019. Équiper ces grands limicoles avec des balises et séquencer le génome des populations européennes permettra de vérifier si notre pays accueille en migration et en hiver des courlis provenant de zones où l’espèce est menacée.

Sur ce sujet, une étude à laquelle j’ai collaboré vient justement de sortir. Elle concerne les courlis cendrés nicheurs dans le nord de l’Allemagne. La population de ce pays a diminué de 40 % depuis les années 1970 et pourrait même disparaître. Le suivi de quatre-vingt-cinq oiseaux allemands a permis d’identifier leurs sites de halte migratoire et leurs zones d’hivernage. Il en ressort qu’un tiers de cette population migratrice passe ou hiverne dans l’ouest de la France. En d’autres termes, un courlis cendré sur trois nichant dans le nord de l’Allemagne bénéficie du moratoire sur sa chasse en France et pourrait inversement pâtir d’une reprise de cette pratique.
La technologie embarquée vous fascine. Est-elle devenue indispensable pour étudier les oiseaux migrateurs ?

Suivre un oiseau presque en temps réel ou même en différé apporte des informations fondamentales pour comprendre ses migrations, certains aspects de sa biologie et, bien sûr, les risques qu’il court. Actuellement, les petits passereaux peuvent être équipés d’appareils pesants moins de 0,5 gramme, mais on doit recapturer les bêtes pour récupérer les données. Le GPSenregistre les paramètres de lumière et il peut être associé à un baromètre et un accéléromètre. On peut en déduire les coordonnées géographiques de stationnement, l’altitude de vol ainsi que diverses informations comportementales.

« Le tariers des prés est un passereau bien présent dans les prairies fleuries à reblochon. Cet animal symbolise mes tout premiers souvenirs d’ornithologue amateur. » Adobe Stock

Si j’en reviens aux petits tariers des prés savoyards de mon enfance, je peux savoir quelle vallée ils descendent, puis comment ils suivent le littoral du Midi de la France avant de rejoindre l’Espagne puis l’Afrique. Ou bien est-ce qu’ils montent en altitude et traversent la mer ?
Les prouesses et la miniaturisation continuent de progresser très vite. Le baguage traditionnel est-il encore utile ?

Oui, la capture d’oiseaux pour poser des bagues codées en métal ou en plastique se pratique encore. La relecture à vue sur les grosses espèces et la recapture au filet pour contrôler une bague déjà posée restent des moyens complémentaires pour comprendre la migration des oiseaux. Ces méthodes ont apporté le socle des connaissances actuelles. Bien sûr, la réduction du poids des technologies embarquées, leur autonomie grâce à des panneaux solaires ou encore la diversification des moyens de transmission de données se développent.

Un projet comme Icarus, développé par l’institut Max Planck en Allemagne, permettra d’utiliser des satellites à basse altitude – 300 km au lieu de 4 000 km pour Argos – et de revenir à une transmission radio, plus économe en énergie et moins tributaire des opérateurs et de la réglementation internationale.
Vous voulez dire que les technologies GPS par exemple ne fonctionnent pas partout autour du globe ?

Les balises qui transmettent leurs données par le réseau GSM ont besoin d’un réseau de téléphonie mobile. Or, une balise ne peut utiliser qu’un type de réseau 3G, 4G ou 5G. Celles qui transmettaient via la Station spatiale internationale (ISS) ne pouvaient le faire que sur les zones survolées par la station, donc les pôles étaient exclus. Et les oiseaux migrateurs que l’on suit jusqu’en Afrique nous confrontent parfois aux aléas géopolitiques.

Un exemple récent emblématique est celui de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. L’agence spatiale russe a stoppé la transmission des balises Icarus reçues via l’ISS. J’avais plusieurs coucous et tourterelles en cours de migration de retour en mars 2022 dont j’ai ainsi perdu la trace. Et la plupart des collaborations avec les collègues russes se sont arrêtées. On devait équiper des pipits de Richard, un passereau sibérien qui migre et hiverne de plus en plus en France. Le matériel a été acheté, la mission planifiée… puis annulée.
Pour en revenir à vos travaux, équiper les oiseaux fragiles de dispositifs encombrants ne pose-t-il pas des questions éthiques ?

Il y a de l’éthique partout. La miniaturisation va vraiment nous aider à réduire encore l’impact de ces petits sacs à dos imposés à quelques oiseaux. Une technologie suisse permet désormais de recevoir les données par système radio sans recapturer l’oiseau, le tout avec un matériel de 1,5 gramme. Si la question est de savoir si capturer un oiseau, le stresser et le relâcher lesté d’une balise a un impact, la réponse est oui. Si cela permet d’en sauver des dizaines de milliers, voire de sauver l’espèce, ça vaut le coup.

« On a équipé onze crabiers chevelus – c’est un petit héron méridional – en Camargue. » Flickr / CCBY-NC-SA 2.0 Deed / Le poidesans

Quand on a équipé onze crabiers chevelus – c’est un petit héron méridional – en Camargue, trois ont péri de causes extérieures : grêle, braconnage en France et capture sans doute vivrière en Afrique. On suivait dix avocettes élégantes et, très rapidement, l’une d’elles a été tuée au fusil en Camargue, alors que c’est une espèce protégée. Nos suivis révèlent des pratiques de l’ombre et vont aider à les combattre. À part cela, c’est vrai que toute technologie consomme des ressources, parfois rares, et de l’énergie. Sans compter la multiplication des antennes relais, des satellites dans le ciel nocturne…
Avez-vous une espèce fétiche ou un petit chouchou dont le destin vous préoccupe particulièrement ?

En ce moment, c’est le courlis d’Alaska. J’ai eu l’occasion d’aller en Polynésie pour mener un programme financé par le ministère des Armées concernant la possible capacité des oiseaux migrateurs à anticiper des catastrophes naturelles. J’ai pu en même temps commencer à étudier ce grand migrateur originaire des toundras reculées d’Alaska et hivernant sur de petits atolls et des îles du Pacifique.

J’aimerais savoir notamment si l’espèce rencontre des difficultés pour se nourrir en hiver sur les petites îles infestées de rats. Ce qui compliquerait son accumulation de réserves pour le grand trajet de retour vers l’Arctique, au point d’en retarder le départ. Ceci pourrait ensuite confronter ce migrateur à des conditions météo saisonnières moins favorables. Je me demande aussi si le changement climatique n’a pas modifié les vents dans la zone. C’est un des oiseaux qui effectue les plus longs vols transocéaniques. La moindre contrainte peut avoir de lourdes conséquences sur sa capacité à retourner nicher en Alaska.
Quel dépaysement ! Vous intéressez-vous aussi aux oiseaux communs qui vivent tout près de chez nous ?

J’ai commencé ma carrière en relançant le programme phare participatif sur ce sujet : le Suivi temporel des oiseaux communs (Stoc). Ce n’est plus moi qui m’en occupe, ce projet vit sa vie et continue d’alimenter les indicateurs nationaux et internationaux sur la biodiversité. Comme l’étude pilotée par Vincent Devictor, le premier étudiant dont j’ai encadré la thèse, qui a marqué les esprits ce printemps en annonçant la perte de 800 millions d’oiseaux en Europe en quarante ans. Ces chiffres ne tombent pas du ciel.

J’ai aussi lancé le programme Oiseaux des jardins (ODJ), encore plus participatif et ouvert au grand public. La thèse que j’ai dirigée sur ce programme a montré que les mangeoires des jardins servent de refuges pour l’alimentation des oiseaux spécialistes des milieux agricoles, au fur et à mesure que l’hiver avance. Votre jardin peut accueillir et aider en toute saison des oiseaux victimes de l’agriculture intensive, comme la linotte, le moineau friquet ou le serin cini. Il peut aussi héberger en hiver des passereaux migrateurs venus du nord de l’Europe.

Source : Reporterre

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