Partons à la rencontre de Cédric Marteau, Directeur de la conservation du patrimoine naturel des TAAF, et Directeur de la Réserve naturelle des Terres Australes Françaises.
Partons à la rencontre de Cédric Marteau, Directeur de la conservation du patrimoine naturel des TAAF, et Directeur de la Réserve naturelle des Terres Australes Françaises.
Quel est l'élément déclencheur qui vous a rapproché de la nature ?
Très jeune, je pense que l’ambiance familiale a été plus marquante que les films ou les livres.
Plus tard, la lecture des livres de Théodore Monod et la rencontre avec de nombreux écologues m’ont permis de renforcer ma passion pour les terres lointaines et pour la biologie de la conservation.
En quelques lignes, pouvez-vous nous décrire votre parcours qui vous amène aujourd’hui au poste de conservateur de cette réserve au bout du monde… Hasard ou rêve de gosse ?
Je suis passionné d’ornithologie depuis tout petit. Ma scolarité s’est donc tournée tout naturellement vers la biologie. La rencontre avec un bagueur du CRBPO dans les Pyrénées m’a orienté vers la biologie de la conservation.
A la fin de mes études, j’ai enseigné une année en BTS GPN et en licence professionnelle…. Avant d’entendre sur France Inter, une émission sur les îles australes et sur des missions de 12 mois réservées à des Volontaires à l’Aide Technique…
J’ai immédiatement décidé de me renseigner, et j’ai candidaté quelques mois plus tard au CNRS de Chizé. Recruté en qualité d’ornithologie, je suis parti, en 2002, « hiverner » sur l’archipel Kerguelen.
Après cette première expérience, j’y suis retourné pendant 3 ans pour des périodes de 4 à 6 mois…
A la création de la réserve naturelle, je suis recruté en tant que conservateur de la Réserve naturelle….
Un rêve qui se réalise !
Cette région du monde fait rêver nombre de personnes, et c’est votre "terrain de jeu". Et vous, quelle autre partie du globe vous attire ?
J’aime beaucoup Madagascar … les grands espaces !
Au-delà des Terres, je suis très attiré par la mer, les mers du sud notamment et un voyage en péninsule Antarctique reste pour moi un bel objectif.
Vos plus belles émotions animalières sur place ?
Bien avant l’arrivée dans la Réserve, la traversée des mers australes représente des moments forts pour le directeur de la réserve que je suis.
Photo Elie Gaget
La grâce du vol des albatros hurleurs dans ces mers très agitées, créée à chaque passage une émotion très forte.
Le temps passé sur la colonie de manchots royaux de Ratmanoff, une des plus importantes colonies de Kerguelen, est également un moment très fort. (à lire ici un article du Monde sur la manchotière)
Crédit photographique Martin Delpuech
L’an dernier, j’ai eu la chance de traverser la partie nord de Kerguelen, qui n’avait pas été prospectée depuis plusieurs dizaines d’années. Cette traversée restera pour moi un moment très important dans ma vie professionnelle, mais également dans ma vie personnelle.
Vous vous réincarnez en un animal de la réserve. Lequel ?
Probablement en Albatros… 1000km par jour, ça fait rêver ! non ?
Une espèce éteinte revient : laquelle ?
Le Dodo !
Quel est le déroulé type de vos séjours dans la réserve ?
La gestion de la Réserve naturelle des Terres australes se fait forcément à distance. Mon bureau est à 2 800 kilomètres de Kerguelen. Après 30 mois passés dans la Réserve, je passe maintenant 1 à 2 fois par an sur le terrain. Chaque mission dure environ 1 mois.
Nous travaillons à distance mais nous avons un lien permanent avec les équipes de terrain qui mettent en place le plan de gestion de la Réserve naturelle.
La partie la plus compliquée de la mission ?
Comme nous ne pouvons pas vivre plus de 15 mois sur ces îles (raisons psychologiques), nous devons en permanence changer nos équipes de terrain. Cette partie du travail est vraiment difficile car nous sommes obligés de laisser partir dans d’autres espaces protégés de très bons collaborateurs !
C’est une chance pour les autres réserves naturelles…
Cette réserve se gère forcément différemment des autres, du fait de son éloignement et de sa superficie. Quelles sont les contraintes ?
Les contraintes logistiques sont fortes (4 passages uniquement de bateau par an) ce qui implique une planification importante de nos actions. Les défis sont souvent plus logistiques que climatiques. La moindre faille dans notre logistique peut engendrer un report d’une année des actions prévues.
Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur la réserve ?
Plusieurs menaces importantes pèsent sur la Réserve :
Les scientifiques sur place voient-ils l'environnement évoluer : pollution en mer, changement climatique, évolution du comportement des espèces... ?
Les scientifiques travaillent sur de nombreuses thématiques et constatent une quantité d’anomalies :
Y a-t-il des équivalents à cette réserve dans le monde, et si oui partagez-vous vos expériences ?
Il existe plusieurs réserves naturelles dans la zone sub-antarctique, et notamment sur les îles australiennes Heard et Mc Donald (en jaune), Macquarie (en bleu) et sur les îles sud-africaines Marion et Prince Edward (en vert).
(Les Kerguelen sont en violet, Amsterdam et Saint Paul en gris, Crozet en orange)
Nos relations se font via les commissions internationales, comme la Convention de Conservation de la Faune et de la Flore Antarctique Marine ou encore l’accord de conservation des Albatros et des Pétrels (ACAP).
Il me parait important de développer ces collaborations dans les années futures. Ces pays ont une forte expérience de gestion et nous avons beaucoup à apprendre de leurs méthodes.
Parlons de la faune maintenant, Quel est l'impact observé sur la faune depuis la création de la réserve ?
Pour le moment, l’évolution est contrastée. Certaines espèces d’oiseaux se stabilisent ou sont en augmentation alors que d’autres sont toujours fragilisées. Pour les espèces longévives (espèce animale ayant une longue vie), la réserve naturelle est encore trop jeune pour avoir un effet sur leur dynamique.
En revanche, la Réserve a permis de mettre en place de nombreux aménagements permettant de limiter de nouvelles dégradations sur les écosystèmes, et de limiter l’introduction des EEE (espèces exotiques envahissantes).
Quelles ont été les principales mesures prises ?
Une des principales mesures a été de mettre en place des procédures de biosécurité sur notre navire ravitailleur et sur l’ensemble des bases australes. Ces mesures permettent de limiter les nouvelles introductions d’espèces et leur dispersion au sein de la Réserve.
Des succès notables ?
La diminution de la mortalité accidentelle d’oiseaux sur les navires de pêche autorisés à exploiter la zone. Entre 2006 et 2016, nous sommes passés de 2000 oiseaux tués par an à 65 oiseaux. Un vrai succès !
Des urgences ?
Nous avons une vraie responsabilité dans la préservation de l’albatros d’Amsterdam ! il n’en reste plus que 30 couples au monde.
Le plan national d’actions a permis d’apporter des réponses concrètes pour sa préservation… nous devons poursuivre nos efforts !
Quels sont les enjeux pour les années à venir ?
L’extension de la Réserve naturelle en mer.
Si nous souhaitons être efficace dans la préservation des écosystèmes sub-antarctiques, nous avons besoin de créer de très grandes réserves marines protégées.
La proposition actuelle porte une extension de la Réserve actuelle sur un périmètre de plus de 600 000 km², soit la plus 4ème plus grande AMP du monde.
Un joli projet qui pourrait voir le jour à la fin de l’année !
Les places à bord du mythique bateau Marion Dufresne qui dessert les TAAF sont chères, dans les 2 sens du terme. Quelle est à ce propos la politique pour les années à venir : ouvrir aux touristes (comme pour la Géorgie du Sud) ou au contraire sanctuariser ?
Des réflexions sur le développement du tourisme sont en cours, mais pour le moment, rien de très précis. Nos territoires sont très éloignés, difficile d’accès. Ce type de développement reste donc très limité.
Photo Elie Gaget
Combien de visiteurs accueille la réserve chaque année ?
Les visiteurs de la réserve sont très limités. Nous « réservons » 12 places à chaque passage de notre navire ravitailleur pour les touristes, soit 48 personnes par an.
Les autres visiteurs (quelques centaines en fonction des années) sont les scientifiques, gestionnaire et logisticiens.
Pour l’anecdote, êtes-vous décideur sur le choix des timbres émis par les TAAF ?
Les timbres sont décidés par une commission philatélique… mais la réserve propose chaque année à la commission une série de timbres…. Les prochains seront sur les 10 ans de la Réserve
En conclusion, à la fin de votre mission au sein de la Réserve, vous serez satisfait si : …
Notre vrai défi est de concilier l’activité humaine, notamment scientifique, et la préservation de l’environnement. Nous devons encore renforcer nos partenariats avec les scientifiques et développer de nouveaux projets de recherche et de gestion.
Cette mutualisation permettra, je l’espère, de mettre en place des actions de conservation plus adaptées et de réduire enfin l’érosion de la biodiversité.
Depuis 10 ans, nous avons déjà quelques raisons de nous réjouir : la population d’albatros d’Amsterdam (espèce endémique, 30 couples au monde) est en légère augmentation ; nous avons réussi à réduire de manière drastique la mortalité des oiseaux pris dans les lignes de pêche, nous produisons plus de 2000 plants de Phylicas arborea, espèce à forte valeur patrimoniale de l’île d’Amsterdam….
Ces succès montrent la capacité de l’Homme à « inverser » la courbe et nous donne de l’espoir pour nos missions futures.
Restons mobilisés !
Merci :-)
Pour aller plus loin :
Retrouvez une interview de Cédric Marteau sur le site du Monde : Cédric Marteau, de sa passion pour les oiseaux et les îles, a fait son métier
et une vidéo Paroles d'aires marines