Personnalités à découvrir

OLLIVET COURTOIS Florence

A six ans, Florence Ollivet-Courtois assure la réanimation des chiots nés par césarienne, à sept, elle se retrouve dans les bras d'un chimpanzé : née dans une famille de vétérinaires, elle sait très tôt qu'elle représentera la quatrième génération.

Passionnée par la faune sauvage, elle entreprend d'y consacrer sa carrière dès le début de ses études à l'École Vétérinaire de Maisons-Alfort.

Plusieurs stages aux États-Unis, en particulier au Zoo de Washington lui permettront d'exercer pendant dix ans au zoo de Vincennes, puis en libéral.

Seule vétérinaire libérale en France à exercer exclusivement sur la faune sauvage et les animaux de parcs zoologiques, elle a entre autres imaginé une technique insolite pour faire une prise de sang à un mâle otarie de quatre cents kilos, convaincu une femelle chimpanzé diabétique de prendre chaque jour son insuline et fait faire ses premiers pas à un éléphanteau nouveau-né.

D'une robustesse de Daktari quand il faut déménager un rhinocéros, Florence joue aussi les Dr House quand il s'agit d'élucider le mystère du panda roux aux mains enflées, ou autre énigme médicale dont la faune sauvage a le secret.

Cette femme de science et d'action est mue par le désir de faire avancer la médecine vétérinaire autant que par un profond amour des animaux. À l'heure où les parcs zoologiques et animaliers se rapprochent de plus en plus des conditions naturelles, son témoignage est une plongée passionnante dans les rapports entre l'humain et le sauvage.

Interview France Inter : Soigner les animaux sauvages

France Bleu :  Florence Ollivet-Courtois, docteur vétérinaire spécialiste des animaux sauvages

Quel cheminement personnel jusqu’au métier de vétérinaire ?

Une famille de Vétérinaires ( je suis la 4ème génération). Toute petite j'ai eu une ménagerie impressionnante de peluches. Je mettais un point d'honneur à ce que toutes passent chacune à leur tour une nuit dans mes bras. Même les moches !

C'est possiblement de là que vient ma devise : tous les animaux méritent de recevoir des soins compétents sans distinction d'origine, d'intérêt, de propriétaire... 

Ma grand mère maternelle adorée était, elle, très attachée à l'observation de la nature et des animaux.  

Vétérinaire en faune non domestique est une combinaison de ces deux influences. 

Je n'ai jamais envisagé de faire un autre métier : soigner les animaux 

Pourquoi ce choix de l’animal sauvage plutôt que domestique ?

Je viens d'y répondre en partie. Mais ce n'est pas qu'un choix, c'est un parcours du combattant que la chance et l'entêtement m'ont permis de franchir. A l'époque très peu de Vétos travaillaient  en zoos, il a fallu faire mes preuves, résister car le tout petit salaire que je percevais m'obligeait à travailler en plus et tout le monde veut votre place!. 

Un maître à penser, un modèle, un déclencheur  ? 

Ma grand Maman

Puis Lucy Spelman : directrice du zoo national de Washington et vétérinaire qui m'a épaulée dans l'esprit de partage des connaissances : "plus il y aura de Vétérinaires bien formés, mieux les animaux se porteront. "

C'est elle aussi qui m'a inculqué le principe du Vétérinaire faune sauvage : anticiper, prévoir et prévenir   mais toujours savoir s'adapter. 

Une œuvre marquante ? 

All creatures great and small de James Herriot 

 Si vous étiez un animal sauvage, lequel ?  

Initialement la coccinelle était mon animal totem car ma grand mère m'appelait ladybird à cause de mes taches de rousseur sur le visage. 

Puis j'ai rencontré mon mari lors d'un sauvetage d'une femelle éléphant , et je me suis passionnée pour cet animal puissant, agile, imposant, dont la personnalité est une évidence scientifique et affective.  

Une espèce éteinte qui reviendrait ?

L'éléphant nain des îles méditerranéennes 

Un animal fantastique qui existerait ?

Je n'ai pas assez d'imagination pour ça!

On vous demande de sauver le dernier individu d’une espèce  ? Laquelle ?

Qu'importe puisque tous les animaux méritent des soins.

N’êtes-vous pas tentée, à l’instar d'un autre vétérinaire célèbre, Norin Chai, d’aller soigner les animaux in situ ?

Déjà en vérité on soigne peu les animaux de la nature, car interférer dans certains processus naturels de sélection va à l'encontre du principe de constituer des populations animales fortes. Il n'y a que lorsqu'il faut réparer des dégâts causés par les humains et leurs intérêts ( maladies liées aux troupeaux, blessures liées au braconnage, transferts .... que le Vétérinaire a sa place. 

Et puis je le fais !!! Programme de renforcement  de l'ours dans les Pyrénées, programme de suivi des populations de lémuriens en forêt sèche au nord ouest de Madagascar, oryx d'Arabie à Jedda , programme de soins en nouvelle Calédonie. C'est juste que je suis discrète: ce sont des bonheurs intérieurs. 

Votre combat le plus récent ?

Les Macaques de Java et c'est pas fini!

Vous baignez dans l’univers des zoos depuis plus de 20 ans. Quelles évolutions avez-vous pu constater en terme de bien-être animal, de présentation au public, ou de programmes de préservation ?

Ouvrez les livres de Pierre Gay, de Francoise Delord, de Gérald Durell, John Aspinall... tous ont commencé dans des zoos qui étaient des inventaires des espèces animales découvertes , tous étaient pris en photo avec des animaux sauvages, de préférence dangereux,  imprégnés, et tous ont créé sur la base d'une connection incroyable avec le genre animal, des espaces naturels, vastes, sécurisés, dédiés et dévoués aux animaux sauvages.

Bien sûr on peut mieux faire : se passer des zoos. Mais ceux qui pensent que ce temps est venu sont ceux qui ont déjà connecté avec la nature et qui, parce qu'ils ont conscience de la beauté ,de l'intérêt, de la fragilité de la nature , pensent que forcément tout le monde en est convaincu.

Malheureusement c'est une vision bien peu réaliste : dans les conférences auprès de certains éleveurs,  chefs d'entreprises, dans mes interventions dans les milieux scolaires défavorisés, les animaux sauvages sont le cadet de leurs soucis. Et que dire des braconniers qui tuent des rhinocéros pour nourrir leur famille, des terroristes qui trafiquent des animaux pour financer leurs macabres projets.

Il reste énormément de gens à éduquer et on ne peut pas dire à tout le monde de se payer un voyage en Tanzanie! La télévision est également un moyen d'éduquer mais si vous voyiez les petits pitchounes de maternelle s'approcher des girafes en vrai et dévisser leur tête pour regarder 4 à 5 m au dessus d'eux , ils s'étonnent à s'en décrocher la mâchoire! Ces pitchounes ont déjà vu des girafes mais à la télé elles font quelques centimètres, comme leurs jouets! À la télé, les images sont choisies, orientées, voire trafiquées.

Au Zoo tout peut arriver: une poursuite, une saillie , ce qui déclenche chez les ados le même genre de réaction que lorsqu'un animal urine ou défèque!! C'est comme ça qu'on fait connecter un maximum de personnes et de futurs adultes avec le monde animal. Sans compter que les zoos sont les premiers contributeurs de la conservation in situ, l'IUCN le rappelle souvent. Donc heureusement que j'ai vu évoluer les zoos (pas tous c'est vrai!!) car je peux croire en leur intérêt réel pour aider à faire cohabiter faune sauvage et humains. 

Dans vos livres « Un éléphant dans ma salle d’attente » et  « Au bonheur des éléphants" , vous relatez des situations d’intervention exceptionnelles. Sans aller jusqu’à l’éthologie, quels sont les comportements animaux qui vous ont le plus surpris ou touché ? 

Les réseaux sociaux et les smartphones sont extraordinaires car ils permettent de faire partager à la Planète entière en très peu de temps ce dont les scientifiques seuls étaient autrefois témoins. Mais forcément comme  peu de gens autrefois pouvaient observer les animaux, beaucoup de comportements échappaient à l'observation. Dans le même temps,  les humains ont envahi la Planete et les animaux ont du  s'adapter à leur présence.

C'est justement cette capacité d'adaptation et de tirer profit de ce que nous faisons ou sommes, nous autres humains, qui me fascine chez les animaux. On voit des animaux sauvages se rapprocher des humains pour trouver de l'aide : phoque qui monte sur un bateau à l'approche d'une orque, tortue empêtrée dans des sacs plastiques qui s'approche des bateaux et se laisse capturer, cygnes emmêlés par les ailes qui nagent jusqu'à la berge pour trouver les mains d'un promeneur pour les séparer, dauphin gêné par un hameçon dans le rostre qui va voir des plongeurs.

Si ces comportements n'existaient pas dans la nature, je ne saurais pas dire pourquoi  Nina, une éléphante que nous avons sauvé l'année dernière d'une double fracture tibia fibula, a parcouru des centaines de mètres, tout doucement, en mettant un genou à terre pour épargner son membre fracturé et rentrer au bâtiment.

Aujourd'hui je peux affirmer sans faire d'anthropomorphisme que les animaux peuvent trouver en l'Homme l'aide dont ils ont besoin. 

Lion disséqué en public dans un zoo danois, abattage de lions en raison de leur comportement naturel agressif, ou de girafes pour éviter la consanguinité : votre réaction ?

À la suite de l'affaire Marius j'ai donné plusieurs conférences sur le sujet. Contrairement à beaucoup de mes collègues de zoos je condamne formellement cette attitude de faire reproduire et tuer au prétexte que reproduire est une besoin vital comme manger et boire.  Je vous retranscrit in extenso le mail que j'ai envoyé à un biologiste du zoo de bale qui préconisait l'euthanasie de gestion dans une conférence :

"Votre présentation etait claire et logique. Mais le postulat de départ : la reproduction est un besoin vital est selon moi une erreur ! De ce fait, malgré un raisonnement logique, la conclusion ( euthanasie indispensable) est erronée

1/ comme vous l'avez dit vous même , cela ne concerne pas les mâles dont la contribution est souvent minime  (saillie). Comment qualifier de besoin vital un domaine qui ne concerne ni les males, ni les immatures , ni les vieux , ni les infertiles ni les espèces qui ne se reproduisent pas en captivité, ni les espèces qui n'élèvent pas leurs petits ( naturellement ou dans le contexte captif avec les animaux de spectacle comme les perroquets qui sont incubés)?

2/ la stérilisation est considérée comme considérablement plus bénéfique aux individus et aux populations des  espèces domestiques canines et félines que leur statut de reproducteur par les états (loi belge imposant la stérilisation, stérilisation quasi automatique en Angleterre, stérilisation des pit bulls obligatoire...) et les associations de protection animale. S'il s'agissait d'un besoin vital il faudrait les poursuivre pour maltraitance!

3/ vous avez fait la remarque que la pyramide du bien être humain ne mentionnait pas la reproduction. Vous avez suggéré de l' ajouter au bas de la pyramide, notant qu'en période de guerre les enfants naissaient toujours. Ce n'est pas faux, mais vous noterez qu'il s'agit de pays du 1/3 monde sans accès au soins, à la contraception, très influencés par des religions qui interdisent la contraception. En revanche, pendant la première guerre mondiale, la France a connu une baisse des naissances considérable. Par ailleurs la natalité à baissé en France et en Europe depuis la crise de 2008. Donc en fait, Quand le confort est menacé  dans les pays développés, la natalité baisse. La natalité étant considérée comme une entrave au bien être d'une famille dans ce cadre. Par ailleurs, faut il traiter en hôpital psychiatrique pour automutilation  tous les humains qui usent de leur propre initiative des contraceptifs ! Si la repro était vitale, l'espèce humaine n'y échapperait pas et le planning familial serait un crime.

4/ le système n'est pas binaire : repro / pas de repro. La contraception réversible nous permet de reproduire des animaux en leur faisant des pauses de plusieurs cycles. L'abondance de la nourriture, la protection et les soins des animaux , la facilité de trouver un partenaire font qu'en captivité beaucoup d'espèces se reproduisent plus tôt plus longtemps et plus souvent. On peut donc diminuer la reproduction sans l'annuler et sans nuire à l'espèce et aux possibilités reproductrices des femelles à long terme. Le problème vient plutôt de la naissance de mâles souvent en surplus par rapport aux femelles. Il est vrai que l'abattage est sélectif, ce que n'est pas la contraception.  Mais certains zoos qui ont le sens des responsabilités au sein des programmes d'élevage, décident d'accueillir  des groupes de mâles en surplus.

5/ comment justifier qu'en Europe on préconise l'euthanasie comme système de gestion primaire des surplus alors que ce n'est pas une mesure reconnue pour la gestion des populations aux USA et que l'Australie et la WASA ne  l'acceptent que si d'autres mesures de type contraceptives sont mises en place.

Vous justifiez de la nécessité de maîtriser les populations également par le fait que la place n'est pas infinie. C'est vrai, mais nous venons de démontrer que la contraception est éthique et remplit le même rôle. Mais par ailleurs, nous pouvons encore faire de la place aux espèces qui le demandent : nous avons beaucoup d'espèces domestiques dans les zoos qui n'ont peut être pas leur place ( cependant ils permettent une bonne pédagogie et une connection avec les animaux qui est très éducative). Autre façon de gagner de la place : revoir les connections entre petites populations. Les connaissances génétiques nous font scinder des populations en sous populations qui deviennent trop petites pour être viables et que nous devons faire vivre séparément. Ces sous populations ont elles toujours de la pertinence alors que dans la nature l'hybridation des ses sous populations est fréquente.

Je suis Veterinaire et à ce titre,  les decisions d'euthanasie que prennent les zoos impactent sans cesse mon activité en heurtant ma sensibilité et mes convictions : tous les animaux méritent des soins sans jugement de valeur et à ce titre un jeune animal en bonne santé ne peux pas être euthanasié. C'est ce que disent la loi, le code de déontologie Veterinaire et mes convictions. Comment faire la différence entre le soigneur qui a tué la girafe Marius et les criminels qui ont abattus le rhinocéros de Thoiry? L'intention n'est pas la même? Heureusement, mais dans les deux cas pour le public c'est une balle dans la tête! Quel message faire passer au public  : nous tuons pour conserver?

Un peu comme en Afrique du Sud où la chasse sert à financer la conservation!

Tout cela semble paradoxal à côté de ceux qui braconnent pour survivre avec leurs familles dans des pays de misère humaine.

Nous devons gérer notre population captive raisonnablement pour qu'elle puisse longtemps servir d'ambassadrice auprès du public et participer au financement de la conservation in situ.
Que ceux qui décident des euthanasies , s'en occupent eux mêmes et ils verront combien c'est psychologiquement perturbant pour des soignants d'abattre des animaux en parfaite santé alors qu'ils sont nés pour sauver une espèce. "

Une association à mettre en avant ?

Elephant heaven : une association qui se bat pour construire en France un refuge pour elephant. Mais les plus lourds à bouger , ce ne sont pas les éléphants mais les administrations!

Une suggestion pour aider à sensibiliser le grand-public ?

Aller sur votre site internet!!!

Pour conclure ?

Dans la salle de consultation de médecine de l'école Veterinaire de Maisons Alfort autrefois, il y avait une plaque en l'honneur de Fernand Mery avec une citation : "  « Les connaître pour les comprendre, les comprendre pour les aimer, les aimer pour les protéger "

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