Photographes animaliers

Gilles THOMAS

Même si je suis né aux confins du Cotentin en 1958, ma vie quotidienne a presque toujours été citadine notamment pour des raisons professionnelles.

Loin d'être un regret, ce contexte a cristallisé ma perception des dérives du monde des villes et a forgé ma prise de conscience de la nécessaire mutation des priorités et de l'évolution indispensable des comportements.

Etre une composante de cet univers urbain a incroyablement amplifié le désir de l’évasion, le souhait d’agir à l’éveil des consciences au sujet de la préservation d’un environnement équilibré respectueux de toutes les composantes de la Nature.

Le temps de la vie professionnelle se concilie difficilement avec un investissement sur ce sujet mais, depuis quelques mois, une nouvelle phase de mon existence me permet d’aborder une nouvelle approche de ces objectifs.

Entretien avec...

Votre rapport avec la faune

Quels parcours jusqu'à l'animal sauvage et la photographie  ? 

En fin de compte, c’est une longue et une courte histoire …

Dans les années 1980, déjà touché par le virus du voyage, équipé de mon Minolta reflex argentique, je tentais modestement de fixer sur la pellicule les étonnements, émotions et sensations mêlées que je vivais et ressentais au hasard de mes périples.

Puis, après un accident sportif, j’ai dû réorganiser la pratique de la majorité des activités auxquelles je m’adonnais et je me suis investi dans la plongée sous-marine. J’ai eu le bonheur de m’immerger dans de nombreuses mers où les écosystèmes étaient d’une beauté sidérante. Naturellement, je me suis équipé de matériels de prise de vue vidéo subaquatique pour partager le spectacle de cette faune que j’avais le privilège d’admirer. Au fil des années, les règlementations aériennes se sont considérablement durcies, les plus de 60 kg de mon seul matériel de prise de vue sont devenus intransportables et j’ai dû me résoudre à les laisser sur le quai.

Ensuite et depuis près de 30 ans, avec mon épouse adorée, Agnès, passionnée comme moi de voyage, nous partons dès que possible, au-delà de nos frontières pour faire nôtre la recommandation de Goethe de « voyager avec deux sacs, l’un pour donner, l’autre pour recevoir » ; nous espérons avoir un peu donné mais nous sommes certains d’avoir beaucoup reçu !

Bien entendu, une nouvelle fois, comment recevoir sans partager ? Ecrire ? Photographier ? C’est à l’occasion d’un inoubliable voyage en Alaska durant lequel nous avons pu approcher, en immersion et grâce à l’incroyable Lionel MAYE, les Ours Grizzly que des évidences se sont imposées : le Monde Animal Libre et Sauvage est d’une époustouflante beauté mais également d’une extrême fragilité et la photographie, même amateur, pouvait permettre de très directement faire toucher du doigt, ces deux réalités.

Agnès, qui est une très talentueuse photographe, et moi, nous nous y consacrons, tous deux, depuis.

Un maître à penser ? 

La notion de « Maître à Penser » me trouble quelque peu … je préfère la multitude de personnalités et d’anonymes, de personnages d’antan ou contemporains, de spécialistes ou d’amateurs qui, a un moment de mon existence, m’ont fait découvrir de nouveaux horizons, m’ont apporté une vision novatrice, ont enrichi mes connaissances, ont nourri mon enthousiasme, ont suscité mes passions ; je leur dois tant !

Une œuvre marquante ? 

Il y en eu beaucoup mais, avant toutes celles-ci, celle qui me marqua profondément pendant les années de mon enfance, fut la revue « Tout l’Univers » dont j’attendais fébrilement chaque mercredi la parution de la semaine dans laquelle je me plongeais pendant des heures à la découverte du monde.

Une belle rencontre / émotion avec la faune  ? 

J’aurai bien des difficultés à décrire UNE belle rencontre tant mes émotions sont intenses au contact de la faune sauvage.

On dit souvent qu’avec l’âge s’accentuent la pondération, la circonspection et le détachement …

En ce qui me concerne, les ans produisent l’effet inverse, chaque jour, je suis plus sensible que la veille.

Mais ce cheminement a des effets contrastés : d’un côté, il entretient et même développe ma capacité d’émerveillement mais, de l’autre, il rend l’affliction vis-à-vis de ce que l’humanité inflige directement ou indirectement à la biodiversité, de plus en plus vive.

Si j'étais un animal sauvage ? 

Même si je suis d’un caractère enjoué et d’humeur égale, je serai … un Ours ! Tout dans cet animal me fascine et notamment sa physiologie, ses comportements et ses rythmes de vie.

Un animal disparu qui reviendrait ? 

Tous ceux que l’indigence de nos agissements a transformé en unique souvenir !

Un animal fantastique qui existerait ? 

Le PHENIX pour que toutes les très nombreuses espèces animales qui disparaissent chaque jour, puissent renaitre de leurs cendres et nous laisser une nouvelle chance de modifier nos comportements pour qu’elles puissent vivre à jamais libres et sauvages.

 

Photographie animalière

Votre photo à laquelle vous tenez particulièrement ? 

J’avoue ne pas avoir une photo particulière à laquelle je tiens spécialement.

Bien entendu, quelques images sont très chères à mon cœur mais les « élues » de ce palmarès varient au gré des rencontres que je peux faire, des conditions dans lesquelles les images ont été prises, de l’émotion que j’ai ressentie au moment de la prise de vue.

La Nature Sauvage n’est pas pudibonde, elle s’offre à l’admiration de celles et ceux qui ont la capacité de l’observer humblement et respectueusement.

La photo animalière d’un confrère que vous auriez aimé prendre ? 

Il y a tant de photographes qui ont un talent inouï et qui sont tellement inspirants mais je dois dire que, ces derniers mois, une photo m’a tout particulièrement impressionnée et touchée.

Cette image réalisée par Nicolas ORILLARD-DEMAIRE et titrée « Stress » fige un lion traversant avec grande difficulté les eaux tumultueuses de la rivière Mara en crue qui montre le prédateur majeur de la savane devenu la proie fragile des mâchoires des flots bouillonnants …

Une image choc qui vous touche au cœur !

Et la technique : frein ou atout ?

Bien entendu, un atout pour la réalisation satisfaisante du cliché mais à la condition expresse qu’elle ne vienne jamais contraindre l’expression de la spontanéité, de la sensibilité, de l’émotion.

Je préfère mille fois une photo techniquement imparfaite mais qui véhicule l’intensité du frisson du moment.

Votre « terrain de jeu » préféré ?

Même si j’ai eu le privilège de régulièrement m’immerger dans le continent africain, les Territoires du Nord m’attirent comme un aimant surpuissant.

Tout y est tellement sidérant, l’humain y est d’emblée remis à la juste proportion d’une espèce parmi tant d’autres qui doit y évoluer avec une humilité imposée par la démesure de la rudesse qui y prévaut.

Sur toutes ces terres, l’isolement est un amplificateur de l’émerveillement.

Le voyage à faire absolument avant que le rideau de l’obturateur ne se ferme définitivement ?

J’aurai envie de dire … le prochain !

Mon enthousiasme est plus intense chaque jour, la perspective de la découverte m’emporte au plus haut point, le bonheur me submerge à chaque départ.

Malgré tout, dans 18 mois, je partirai dans le Grand Nord Canadien à la quête de la rencontre avec le Loup Arctique, ce périple pourrait revêtir les atours de la concrétisation du rêve ultime … avant le voyage suivant !

Des conseils ?

Maitriser son matériel, apprendre à connaitre le milieu, échanger avec les photographes plus expérimentés mais développer sa propre approche, son propre investissement, son propre style.

Il y aura des fourvoiements mais ils seront les fondations de la construction d’un engagement sincère.

Si le choix est fait du partage des images, ne jamais oublier que ces photographies auront le pouvoir de contribuer à l’éveil des consciences sur la beauté et la fragilité de la Nature, cela donne une Responsabilité.

Et enfin, pour conclure … ouvrir grands les yeux et le cœur !

 

Biodiversité

Des urgences ? (climat, déforestation, braconnage…)

A mon sens, en matière de protection de la biodiversité, il faut être pragmatique … on peut appeler à l’inversion des grands courants sociétaux humains, on peut appeler à la révolution des comportements de nos congénères à l’échelle planétaire, on peut appeler à la décroissance de nos modèles économiques, on peut appeler à l’abandon de nombre de nos habitudes de vie et de consommation acquises depuis la révolution industrielle mais toutes ces mutations éventuellement envisageables à des termes tellement lointains ne sauveront pas un incroyable nombre d’espèces sauvages d’ores et déjà en danger d’extinction.

En revanche, et c’est là l’urgence, une politique affirmée de CREATION DE SANCTUAIRES est relativement aisée à mettre en œuvre et est d’une grande efficacité pour peu que l’engagement gouvernemental ne soit pas laxiste et que les populations humaines locales soient consultées, écoutées et impliquées dès les 1ères étapes de l’action.

Une association de protection à mettre en avant ? 

Le PAYS DE L’OURS, bien sûr mais j’ai aussi beaucoup d’admiration pour toutes les associations locales qui, de par le monde, œuvrent, avec souvent très peu de moyens, à la protection de la biodiversité et au « retissage » du lien équilibré entre l’Homme et la Nature.

Une suggestion pour sensibiliser le grand-public ?

Communiquer, communiquer, communiquer ! L’ignorance doit être combattu, la connaissance est le terreau de la prise de conscience qui, elle-même, peut être le marchepied de la mise en action.

Plutôt optimiste ou pessimiste pour la suite ? 

Bien malheureusement, je dois me résoudre à être pessimiste !

Tout dans les différentes études traitant de l’état de la biodiversité rendues régulièrement publiques amène au pessimisme.

J’en viens à me demander si la coexistence de l’Homme Moderne et de la Nature Sauvage est encore possible tant j’ai le sentiment que la survie de l’un ne peut plus se faire qu’au détriment de celle de l’autre …

Puisse l’Avenir prouver mon erreur !

Pour conclure ?

« C’est une triste chose de songer que la Nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas », Victor Hugo.

Distinctions & Parutions

Expositions

  • Festival « Photo à Ciel Ouvert » de l’Ile d’Olonne (85340) jusqu’au 10 octobre 2021,
  • Festival « Prenons la Pause », les 23 & 24 octobre 2021 à Volgelsheim (68).

 

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