Suivons Gérard David, photographe animalier de talent et formatuer à la Nikon school, sur les traces du léopard des neiges.
Pourquoi le choix de suivre cette espèce en particulier ?
Je vais en Inde depuis de très nombreuses années pour observer la faune qui y vit, le tigre bien sûr, mais aussi les très nombreuses espèces emblématiques de ce pays continent. J’aime les félins et la montagne il était presque logique que je parte à la rencontre du léopard des neiges
La panthère des neiges est mise en avant sur la bande-annonce du nouveau documentaire de la BBC, Planet Earth II.
Est-ce le symbole ultime de la faune sauvage menacée partout dans le monde, préservée uniquement parce que vivant dans des contrées inaccessibles ?
Je ne sais s’il s’agit d’un symbole mais je présume que le challenge de filmer le léopard des neiges dans son milieu naturel a du motiver les réalisateurs de ce film. Peu de documentaires ont été réalisés sur ce félin mystérieux et solitaire en raison surtout des difficultés à l’atteindre et à l’observer. Jusqu’à maintenant, son aire d’existence l’avait protégé mais malheureusement les nuages s’amoncellent sur son avenir.
Pouvez-vous nous faire un rapide état des lieux sur l’espèce : répartition géographique, statut IUCN, menaces, mesures prises pour sa conservation par des états ou des ONG… ?
Estimée entre 4000 et 6500 individus ,la population de léopard des neiges se répartit sur les quelques 1.8 millions de km2 de l’arc himalayen :on le rencontre dans les12 pays de cette zone : Afghanistan ,Bhoutan ,Chine ,Inde ,Kazakhstan , Kirghizstan, Mongolie ,Népal ,Pakistan ,Russie , Tadjikistan ,Ouzbékistan . Ils vivent généralement à des altitudes élevées, entre 2700 et 5000 mètres d’altitude
Il est classé EN (en danger) selon la terminologie UICN et comme pour de nombreuses autres espèces ,la menace provient de plusieurs facteurs : Perte d’habitat (principalement en raison de l’accroissement de l’élevage, même à haute altitude ) ,diminution du nombre de proies (ongulés sauvage ,en compétition avec le bétail pour la nourriture ) , le braconnage et le commerce illégal .
Conscient du symbole que représente cet animal mythique, les 12 pays concernés ont en 2013, à Bichkek (Kirghizstan) décidé de la mise en place d’un programme majeur de protection : « Global Snow Léopard and ecosystem protection program « .Coordonnant l’action des ONG qui agissent globalement ou localement, définissant les grands axes de la protection et moyens à mettre en œuvre, cette organisation présidée aujourd’hui par les plus hautes instances politiques des pays concernés n’oppose pas l’animal et l’homme mais vise plutôt à intégrer ce dernier au cœur de la cohabitation et de la protection
Partir à la recherche de l’animal nécessite une organisation et des moyens logistiques conséquents. Comment se monte un tel voyage ? Etes-vous aidés localement ?
Je pense que la manière de « monter « un tel voyage est différente selon les pays. Selon que vous partez en Mongolie, en Russie, en Chine ou en Inde, la complexité ou les obstacles administratifs pourront varier.
Je ne peux parler que de ce que je connais, L’inde : l’existence d’un parc national dans l’himalayen indien et les pratiques du trek d’été ont permis le développement d’une forme de « tourisme hivernal « lié au léopard des neiges (même si on est loin du tourisme, bien sûr) Ce n’est pas un hasard si les films de la BBC sont tournés dans cette magnifique région qu’est le Ladakh.
On ne peut bien sûr pas s’aventurer dans la montagne seul surtout en Hiver : au cours des 2 voyages en 2015 et 2016, j’ai pu bénéficier de la collaboration d’équipes locales remarquables : d’abord les conseillers scientifiques et spécialistes de l’espèce qui vous donnent tous les données sur le félin puis les Guides ,Spotteurs ,porteurs ,Cuisiniers :tous mettent leur connaissance de la montagne et des animaux à notre service et permettent de « conduire « notre expédition avec le maximum de chances de réussite. D’où l’importance du choix du chef d’expédition et en cela, j’ai été particulièrement bien conseillé par mon ami Sumantha Gosh que vous connaissez déjà.
Quelles sont les difficultés particulières pour aller à la rencontre de l’espèce : altitude, froid, pays instable, comportement craintif de l’animal… ?
Ce voyage est certainement l’un des plus « engagés « qu’il m’ait été donné de faire. Le séjour prolongé en altitude (2 semaines à 4000m), les températures parfois très basses (-15,-20 °C la nuit), l’hébergement en camp de toile mettent les organismes à rude épreuve .Le bivouac permet de « loger « sous tente, à proximité des lieux de présence des félins. Le confort, très correct, pourra paraitre rudimentaire à certains.
Il peut être parfois envisagé de dormir « chez l’habitant «, dans les villages isolés : on est alors au chaud le soir mais parfois plus éloignés des spots d’observation. Mais le léopard peut aussi venir « chasser « dans les villages et tuer une chèvre, un mouton ou un Yack
On peut aussi ressentir une certaine frustration car la densité animalière est faible et il peut s’écouler de longues heures avant d’apercevoir un Bharal, un renard, un Gypaète ou un Ibex. Je ne parle même pas du loup ou du Léopard, car là, on parle plutôt de jours sans (quand on a la chance d’en voir). Impatients s’abstenir …..
Quelle est la technique d’approche ?
Nous rejoignons ce qui sera notre camp de base en 1 ou 2 heures de montée, après avoir laissé les voitures. Des chevaux prennent le relais pour le portage des bagages et du matériel de bivouac.
A partir du camp de base, dont la localisation aura été choisi judicieusement par le chef d’expédition, en fonction de multiples critères : Observation récentes, présence de proies potentielles, indices de présence (mais aussi eau disponible, même gelée), nous allons multiplier les observations à la lunette sur les crêtes environnantes ou sur les pentes ensoleillées, là où nous pensons que le félin peut se trouver.
Son territoire est vaste .Nous allons aussi nous éloigner du camp (parfois à 3 ou 4 heures de marche, et plusieurs centaine s de mètres de dénivelé) pour aller explorer les vallées adjacentes, rechercher tous les indices de présence (traces de pas ou carcasse, poils, jets d’urine ou excréments) Nous surveillons aussi tout mouvement des ongulés qui pourrait être le signe de la présence du prédateur. Enfin nous sommes en liaison avec d’autres guides qui nous renseignent sur leurs observations.
Si un léopard des neiges est aperçu, nous rejoignons le lieu d’observation (mais ça peut prendre du temps), quitte éventuellement à déplacer le camp de base (tout cela est géré par l’équipe d’expédition)
Peut-on parler d’une quête quand l’on considère le peu de chances de croiser l’animal ?
Il s’agit bien d’une quête, même si la citation de R.L Stevenson « L’important n’est pas la destination mais le voyage en lui-même « semble particulièrement adaptée à cette « aventure « Même en mettant tous les atouts de notre côté, il n’y a pas de certitudes quant à l’observation du Léopard.
Beaucoup d’autres rencontres sont possibles avec les animaux, bien sûr mais aussi avec les ladakhis si souriants et chaleureux. Ces montagnards, bouddhistes cultivent un art de vivre plein de bonté et de compassion. Et je n’oublie pas les paysages somptueux, les sommets alentours culminant à plus de 6000m.
Et il faut aussi compter avec la chance, beaucoup de chance et surtout y croire, sans pression ni impatience
Racontez-nous votre plus belle rencontre...
Peut être la première observation du léopard des neiges, le premier jour de mon premier voyage : Une nuit à -15°c, le réveil très matinal, la montée très éprouvante sur la crête qui surplombait notre campement et alors que chacun récupérait de l’effort, le « cri « de notre chef d’expédition « Shan «
Dans le jour naissant, sur une crête éloignée, il venait de voir apparaitre dans sa lunette la silhouette si caractéristique du félin. L’observation ne dura que quelques dizaines de seconde mais reste à jamais gravée dans ma mémoire et dans celle de mes compagnons de voyage. Il ne nous fut pas permis de revoir le léopard pendant toute la durée de notre séjour.
Heureusement lors du 2eme voyage, dans de toutes autres circonstances, avec mes amis, nous sommes restés 2 jours entiers auprès d’un mâle qui veillait jalousement sur une proie, à quelques dizaines de mètres seulement
« Shan « sait se faire désirer mais il peut vous combler.
Des images à mettre en avant ?
Oui, bien sûr, la première lorsque le léopard s’est levé et s’est avancé face à nous. Je me demandais jusqu’où il irait à notre rencontre. La 2eme, c’est la silhouette se découpant sur la crête, après le coucher du soleil
En tapant « panthère des neiges » dans le moteur de recherche Google, les premières images apparaissant ont toutes été prises dans des zoos.
Pensez-vous que la survie de l’espèce passe nécessairement par des programmes de conservation et reproduction dans des zoos (comme pour certains lémuriens par exemple)?
Heureusement, il existe maintenant des images du Léopard des neiges prises en milieu naturel, souvent d’ailleurs avec l’aide de piège photo. Le travail du photographe Steve Winter pour le National Geographic est absolument magnifique. Le film qu’avait tourné Eric Dragesco il y a quelques années en Mongolie m’a bien sûr largement inspiré et j’attends avec impatience « de voir le travail que Vincent Munier a entrepris au Tibet sur le Léopard des neiges. Nul doute qu’il va nous émerveiller.
Si la survie du léopard des neiges devait aboutir à des programmes de conservation dans les zoos, je pense qu’il serait trop tard et que l’humanité serait réellement en danger. Comment imaginer qu’un animal des grands espaces et des hautes montagnes puisse subsister « en cage « ? Cela me semble terrifiant. L’homme peut difficilement subsister dans ce milieu hostile, il n’y a pas de raisons de lui prendre son territoire. Reste à combattre le braconnage, à gérer intelligemment les conflits Homme-Animal et aussi aider les habitants de ces contrées à les protéger
Sentez-vous un élan de sympathie autour de l’animal qui aiderait à sensibiliser, comme le panda et l’ours polaire peuvent en bénéficier ?
Je ne sais si l’on peut parler d’élan de sympathie, car l’animal présente une mine peu engageante. Cela dit, comme la plupart des grands félins, il fascine et nous interpelle
Sa capacité à survivre dans un environnement hostile est extraordinaire et crée la même émotion qu’une ascension sur l’Everest ou un pic Himalayen. A ce titre il force l’admiration et le respect.
Avez-vous un volet scientifique durant ces observations ?
Je ne me permettrais pas d’affirmer cela mais chaque voyage me donne l’occasion de rencontrer ou retrouver les amis scientifiques ou hommes de terrain qui contribuent quotidiennement à la protection du léopard des neiges. J’ai eu le privilège d’être invité au « Global Snow Leopard Conservation Forum « lorsque celui-ci s’est retrouvé à Paris lors de la Cop 21 et j’ai pu mesurer l’engagement et l’enthousiasme des organisations gouvernementales et non gouvernementales engagées dans le projet.
Votre prochain voyage sur place ?
Normalement, je dois retrouver mes amis ladakhis en mars 2018, pour une nouvelle « aventure » et un nouveau chapitre de ma quête du léopard des neiges
Comment les lecteurs peuvent-ils aider ?
Je crois beaucoup à l’éco-tourisme. En allant sur place (je parle de l’Inde), malgré les conditions difficiles, chacun peut contribuer à la mise en place d’une économie solidaire et protectrice des milieux. Les ladakhis sont conscients que les visiteurs venus pour tenter d’observer « Shan « participent au développement de la région, en sauvegardant les traditions et rendent leurs conditions de vie moins difficiles. Surtout ils sont incités à ne pas détruire le félin, malgré la prédation sur le bétail ; Ils sont aussi incités à préserver leur mode de vie traditionnel tout en bénéficiant des améliorations de leurs conditions de vie (Panneaux solaires, communications, etc.)
Mais si vous hésitez à vous rendre sur place, les ONG locales (ou internationales) ont besoin de financement pour leurs actions : travail de recherche, construction de bergerie « fermées «, surveillance et protection contre le braconnage, Indemnisation des éleveurs pour la perte de bétail, programme de formation et de sensibilisation des villageois (jeunes et moins jeunes)
Justement, une association locale ou un individu à mettre en avant ?
J’ai une pensée particulière pour les membres de l’ONG indienne « Snow leopard Conservancy India Trust » basée à Leh (Ladakh) et c’est grâce à leur aide que j’ai pu découvrir ce merveilleux animal
http://snowleopardindia.org/index.php
Je remercie également le Dr Koustubh Sharma, référent scientifique et coordinateur du programme international qui m’a transmis sa passion et que j’ai eu le plaisir de « guider « sur mon « territoire «, à Paris
http://www.globalsnowleopard.org/
et puis bien sur mon ami Sumantha Gosh Guide, naturaliste, fondateur de l’ONG « Mahseer Conservancy « (http://www.mahseerconservancy.com/about_us.html ) qui m’aura permis de réaliser les 2 voyages et de rencontrer des personnalités extraordinaires
Références
L’ouvrage de référence sur un plan scientifique :
Snow Leopards: Biodiversity of the World: Conservation from Genes to Landscapes 1st Edition chez Elsevier
Un roman « initiatique « Le léopard des neiges de Petre Mathiessen
Le film de Eric Dragesco « Sur les traces de la panthère des neiges : »
http://www.stevewinterphoto.com/Photography/Snow-Leopards/2
http://cpn.canon-europe.com/content/interviews/steve_winter.do