Rencontre avec Benoist Clouet, photographe de talent, amoureux de l'archipel norvégien du Svalbard depuis plusieurs années, situé aux portes du pôle Nord.
Tu connais très bien l’endroit, au point d’y avoir consacré un superbe livre.
Pourquoi cet attachement ?
Après 10 voyages sur place, c’est vrai que je commence à bien connaître le Svalbard. C’est un lieu extraordinaire et unique.
La première fois que je suis allé là-bas, il y a un peu moins de 10 ans, j’ai été subjugué par la magie des lieux et j’ai eu la conviction que je devais revenir. Et c’est ce que j’ai fait depuis, à peu près à toutes les périodes de l’année entre février et octobre.
Beaucoup de choses me fascinent sur ces terres incroyables. Les animaux et les grands espaces sauvages bien sûr mais pas uniquement… Le Svalbard recèle des secrets plus subtils, qui, lorsqu’on les découvre, s’offrent à vous de manière inattendue. Le silence absolu de la nuit polaire par exemple, où le seul son que vous entendez est la pression sanguine qui cogne dans vos oreilles, les lumières rasantes qui viennent effleurer la blancheur immaculée des vallées glaciaires en hiver, la puissance des éléments lorsqu’une tempête se déchaîne et ne vous permet à peine de tenir debout, un magnifique paysage où le cadre restreint du viseur d’un appareil photo ne permet pas de retranscrire l’immensité et la beauté des lieux, et puis bien sûr les rencontres inattendues avec un renard polaire, un ours, un groupe de renne, une baleine bleue, un groupe de bélougas…
C’est tout ça le Svalbard, c’est ça que j’ai voulu montrer dans mon livre et c’est pour ça que j’y retourne plusieurs fois par an.
La première vision lors du premier séjour ?
C'était il y a presque 10 ans. J'allais embarquer sur le navire M/S Origo avec un groupe de norvégiens. Le jour de mon arrivée à Longyearbyen, la veille notre embarquement, j'ai loué une voiture avec deux autres photographes dont Ole Jorgen Liodden qui est devenu un très bon ami depuis, et partenaire pour monter des expéditions photographiques. Nous sommes sortis de la ville pour tenter d'aller faire quelques photos...
Alors que nous faisions des photos de macro de Silène Acaule, ces petites fleurs roses typiques du Haut Arctique (ou des milieux alpins), un magnifique renard polaire est passé tout près de nous au milieu de ces magnifiques fleurs.
La plus belle émotion sur place ?
Elles sont nombreuses mais j'avoue que l'une des plus intenses fut celle de la rencontre l'hiver dernier d'une femelle ourse polaire avec son petit dans un mètre de poudreuse. J'ai eu la chance d'embarquer sur le seul bateau autorisé à naviguer à cette période de l'année (hors bateau scientifique ou de pêche).
Nous avions repéré des traces dans la neige mais sans pouvoir repérer d'ours. Nous étions sur le point de partir lorsqu'au dernier moment, dans le dernier "coup de jumelles" passé le long de la côte, nous avons vu une femelle ourse marchant sur une crête dans la neige suivie par un ourson. La tempête faisait rage et les ours finirent par s'allonger dans la neige attendant que le temps se calme.
Après un long moment à rester "calfeutrés" dans la neige avec son petit, elle finit par s'étirer puis descendre droit vers notre zodiac que nous avions fini par mettre à l'eau. Nous attendions sous la neige depuis déjà pas mal de temps et elle est descendue tout droit avec son ourson. Nous avons passé de longues heures avec eux sans que cela ne les dérange... ils nous ignoraient complètement. Ce fut une rencontre formidable.
Si tu dois choisir 3 photos prises là-bas, lesquelles et pourquoi ?
Je te propose des images assez récentes et inédites, parce qu'elles me plaisent et qu'il y a des chances qu'elles apparaissent dans un prochain projet à venir... c'est donc un peu une sorte d'exclusivité...
La première est ce groupe de rennes qui se suivent en file indienne. Je les ai photographié il y a deux ans en hiver dans une immense vallée glaciaire à l'intérieur des terres bien à l'Ouest de Longyearbyen. J'aime l'ambiance qui se dégage et j'avoue avoir été surpris de voir ces rennes marcher les uns derrière les autres dans la neige et la bourrasque.
La seconde est une image réalisée fin septembre 2015 aux alentours de 81° Nord. Une ours avait tué un phoque sur la banquise ce qui attira trois ou quatre ours sur la zone. Aux premières lueurs du jour, un des mâles dominants présents venaient de se nourrir et a commencé à se nettoyer le pelage alors que le premier rayon du soleil caressait son pelage en contre-jour. Un moment magique.
La troisième est un lagopède photographié en mars dernier non loin de Longyearbyen. C'était un matin assez froid et j'avais repéré une bonne vingtaine de lagopèdes sur une grande étendue de neige où certains graminées dépassaient de la surface enneigée. Au début du printemps les mâles choisissent des territoires qu'ils défendent : ils étaient donc très occupés à se pourchasser dans de grands cris bruyants, à faire des poursuites aériennes, etc. Au milieu de cette intensité de comportement, cet individu était calmement en train de se nourrir de graminées. Je me suis allongé au ras du sol, il m'a regardé, j'ai déclenché. Cette image a gagné au Global Arctic Awards cette année - Gold Medal dans la catégorie "Arctic and Northern Wildlife".
Quelles espèces sont le plus facilement observables ?
Il y a beaucoup d'espèces visibles au Spitzberg. Mais les plus faciles à trouver sont certainement les rennes, les morses, les phoques barbus et les oiseaux bien sûr (sternes arctiques, guillemots à miroir, guillemots de Brünnich, meugles nains, etc.)
L’archipel devient un lieu "à la mode" pour les opérateurs touristiques, des croisières scientifiques y sont même organisées. Y vois-tu un danger à terme (« Galapagos » de l’hémisphère Nord) ou au contraire une chance (on protège mieux ce que l’on connaît bien)
C'est vrai que le Spitzberg devient une destination "à la mode" comme ce fut le cas pour d'autres destinations comme l'Islande il y a quelques années, ou peut-être encore avant le Kenya ou la Tanzanie... Je ne connais pas les Galapagos donc je ne peux pas comparer. Le Spitzberg reste néanmoins un lieu très protégé et très réglementé.
C'est difficile de mettre le monde sous cloche et de porter un point de vue tranché alors que j'ai moi-même le privilège de pouvoir y aller plusieurs fois par an. Les opérateurs que je connais travaillent avec un grand respect des lieux et des règles... même si c'est vrai que je reste toujours extrêmement surpris de voir de temps en temps des énormes bateaux de croisières débarquer à Longyearbyen.
Le Spitzberg accueille la banque mondiale de graines, conservant des échantillons de l'ensemble des graines vivrières de la planète. Penses-tu que l’endroit puisse également devenir le dernier refuge sur Terre pour certaines espèces (ours polaire, renard arctique,…) vu les changements climatiques actuels ?
Rien ne permet de définir que le Spitzberg sera le dernier refuge sur terre pour les ours polaires malheureusement. L'archipel comme l'ensemble de l'Arctique subit de plein fouet le réchauffement climatique. C'est un endroit merveilleux avec ses glaciers se jetant dans la mer, ses milliers d'oiseaux nichant sur les falaises, ses morses, phoques, rennes, renards polaires et bien sûr ours polaires.
Mais là-bas aussi on voit les glaciers reculer rapidement, la banquise qui met de plus en plus de temps à se reformer chaque hiver, des températures qui se réchauffent... En mars dernier, j'ai passé 15 jours sur place et nous avons eu des températures particulièrement chaudes pour la saison (entre -7 et 0°C au lieu de -20°C).
As-tu constaté une évolution visible entre ton premier et ton dernier séjour ?
Le recul des glaciers est très net et visible à l'œil nu. L'été dernier je me suis retrouvé devant un glacier que je n'avais pas vu depuis 2008 et j'ai été choqué de voir à quel point il avait reculé !
L’Antarctique se sanctuarise (Mer de Ross, TAAF…) quand l’Arctique est l’objet de toutes les convoitises avec le recul de la banquise (forages, routes maritimes…) Es-tu inquiet pour l’avenir ?
Forcément... les grandes puissances n'ont pas forcément intérêt à sanctuariser l'Arctique et au train où vont les choses, je ne sais même pas si mes propres enfants auront le privilège de pouvoir voir les merveilles que je découvre chaque année.
Je ne suis pas un spécialiste de ces grands sujets et je n'ai évidemment pas toutes les données en main pour comprendre tous les enjeux... mais ce que je sais, c'est qu'actuellement, il pleut au Spitzberg avec les températures les plus chaudes de Norvège alors qu'il devrait faire environ -20°C. Modestement, à mon niveau, la photographie reste un excellent vecteur pour montrer la beauté de ces lieux qui sont en train de disparaître sous nos yeux.
Tu accompagnes des voyages avec l’agence Photographes du Monde. Quels conseils donnerais-tu pour partir ?
Nous accompagnons plusieurs expéditions par an afin de pouvoir offrir des choses différentes.
Cette année, nous y allons en mars, en juin et en septembre. Nous travaillons aussi avec plusieurs bateaux. Tous nos voyages sont par contre 100% destinés à la photo avec des petits groupes.
Mes conseils sont donc de bien définir ce que l'on veut. Pour une première approche, les mois de juin/juillet sont très bien, car on a la possibilité de pouvoir, à peu de chose près, tout voir !
Notre croisière en mars est plus une approche hivernale que nous sommes les seuls à faire, en partenariat exclusif avec des norvégiens.
Quant à fin août/septembre, c'est parfait pour les lumières rasantes du soleil de minuit.
Tes images sont sublimes, on y devine que les conditions de prise de vues sont difficiles. Peux-tu nous décrire les principaux obstacles ?
Merci, content qu'elle te plaisent. J'ai vraiment eu toutes les conditions de prise de vue, certaines difficiles, en hiver notamment, mais aussi certaines il faut l'avouer, plus facile, prises d'un bateau ou en zodiac dans les belles lumières de l'été.
Les principaux obstacles de prise de vue sont différents selon les conditions : en hiver, c'est la gestion du froid ! Photographier avec deux paires de gants, alors que le vent fait rage, que ton trépied vibre de partout et que ta batterie descend à vue d'oeil, c'est pas toujours simple.
L'autre problème est la prise de vue en zodiac où tout se fait à main levée. Quand on est en mer, que ce soit à n'importe quelle période, dès que ça bouge un peu, la prise de vue au 500 mm à main levée devient plus contraignante et il faut bien connaître son télé pour le maitriser et arriver à sortir de bonnes images. Il faut aussi de bonnes épaules pour tenir plusieurs heures à faire de l'image à main levée.
La troisième contrainte (ou je dirai plutôt la priorité) est la sécurité et le respect des lieux : la sécurité car nous sommes sur une terre hostile, territoire de l'ours polaire qui peut surgir à n'importe quel moment, la glace qui peut elle aussi être très dangereuse (iceberg qui se retourne, vêlage de glacier...) ; et respect des lieux, des animaux qui y vivent, des vestiges... ça doit rester une priorité sur tout le reste, notamment une priorité sur "LA" belle image que tant de photographes veulent ramener chez eux.
Mais globalement, je n'ai pas à me plaindre. J'emmène des gens qui sont subjugués par le spectacle et comprennent très bien qu'il faut préserver ce joyau polaire.
Le dernier voyage ?
Mi mars pour une nouvelle expédition hivernale au Svalbard. J'accompagne depuis plusieurs années des voyages au Svalbard pour l'agence pour l'agence Photographes du Monde.
Or pour la seconde année consécutive, j'ai la chance d'accompagner un groupe sur le seul bateau (hors scientifiques et pêcheurs) qui navigue à cette période de l'année. Nos partenaires norvégiens ont longuement discuté avec le gouverneur du Svalbard afin de rendre cela possible.
C'est incroyable de re-découvrir les fjords et les glaciers à cette période de l'année, alors que je les connais déjà pourtant bien. Tout est différent, d'un blanc immaculé... c'est fantastique. J'espère que nous aurons de belles rencontres... mais je n'ai pas trop de doute à ce sujet.
Le livre "80°NORD - Svalbard" de Benoist est disponible en version standard pour 38 euros et en coffret - Edition limitée avec un magnifique tirage d'art pour 110 euros.
Ce livre a été récompensé aux Global Arctic Awards en 2015 en gagnant le prix "Best Book of the Arctic"
Vous pouvez vous le procurer en suivant ce lien