J’aime la Brenne.
Depuis toujours on dit : la Brenne, c’est le pays aux mille étangs. Aujourd’hui on en dénombre plus de 4 000 ! Embarras du choix.
Ce « pays » perdu est vite traversé, rarement visité. Logique, il se situe à écart des grands axes routiers, il faut de la volonté pour s’y arrêter, il ne faut pas être pressé. Pourtant…
C’est un pays de brume qui s’attarde le matin sur les eaux calmes, les roselières, où s’ébattent sternes, guifettes, canards, cygnes, grèbes, grandes aigrettes, hérons…, où planent busards des roseaux et milans, où chassent les libellules.
Un pays de forêts denses et de halliers profonds où se blottissent martres, sangliers et cerfs, où des brames puissants s’entendent les soirs d’automne.
Un pays de plaines et de longues prairies fleuries qu’aiment fouler chevreuils, renards, chats forestiers, faisans, perdrix, lièvres, où volètent mélitées, azurés, sylvandre ou grand nègre-des-bois.
Un pays de broussailles épineuses, de pâtures pour Charolais et Salers, de buttons de grès rouge où se reposait le truculent Gargantua dans ses folles enjambées.
Un pays où des hommes s’efforcent d’établir ou de conserver une alliance équilibrée entre leur travail et la nature. On y chasse, on y pêche, on y randonne, on y cultive, on y élève, on y protège.
Bref, on y vit.
J’aime la Brenne depuis presque trente ans. Pour les amis que j’y ai – Jacques et Elizabeth, Laurent et Claire, Jean-Louis, Geoffroy, Christophe, Tony, Eric… et les autres, les rencontres que j’y fais, les réserves naturelles - Chérine en particulier - que je fréquente, le marché du Blanc le samedi qui fournit mon miel, le restaurant de la maison du Parc pour ses tartines de carpe fumé, la librairie de Mézières pour son choix de livres, les routes de ce plat pays où l’on se perd facilement, avec plaisir.
Et j’aime la Brenne pour les petits matins où je m’en vais par les sentiers dans le jour naissant que le rouge gorge et le merle annoncent en premiers, à la rencontre de la nature, quand seuls retentissent quelques meuglements ou la cloche d’une église, quand un vol de cygnes s’annonce bruyamment à l’approche d’un étang, quand, dans la lumière orange rasante, les toiles des Epeires cornues brillent comme des colliers de perles ou quand un tracteur matinal prend la route des champs.
Caché par les haies et les buissons, j’approche la faune sauvage qui peuple ces territoires, j’écoute les chants des oiseaux ou du vent qui traverse les peupliers d’une musique étrange, je guette la vie. Je m’y sens bien.
Souvent en mars ou en novembre passent les grues qui reviennent ou s’en vont vers des lieux plus propices, dans des vols en V ou en longues files qui zèbrent l’horizon. Elles s’arrêtent à la Mer Rouge, le plus vaste des étangs, au pied du château du Bouchet, on les entend s’appeler toute la nuit mais surtout le matin quand elles prennent leur envol.
Partir avec les grues, découvrir le monde qu’elles savent…
Oui, j’aime la Brenne.
Jean-Baptiste Dumond
Texte tiré du livre "Nos plus belles découvertes de nature" (Terre Sauvage/Nature & Découvertes, 2015) : ici