Braconnage, trafic, pression démographique… La vie animale est sous pression face à l'expansion humaine. De 15 % à 37 % des espèces pourraient disparaître d'ici à 2050.
La Commission européenne veut en finir avec l'« écomafia » qui organise le pillage de la faune sauvage. Ivoire, viande de brousse, commerce d'espèces protégées... Au total, selon l'United Nations Environment Programme, le marché noir de la biodiversité planétaire a dépassé 20 milliards de dollars par an et se situe désormais dans le Top 5 du trafic criminel mondial, après la drogue et la contrefaçon.
Or, sur la carte de ces échanges illicites dopés par l'essor économique des pays d'Asie, l'Europe est à la fois destination et région de transit. Entre 2011 et 2016, les forces de police ont saisi aux frontières de l'Union plus de 6.000 reptiles vivants, 10.000 peaux de mammifères protégés, mais aussi des coraux, des serpents, des tortues, des iguanes et autres caméléons.
Pour en finir, la Commission propose donc trente-deux mesures sur cinq ans qui seront entérinées à l'occasion du prochain Conseil de l'Environnement, le 20 juin. Elle demande notamment aux Etats d'adapter leurs législations pour punir les trafiquants d'au moins quatre ans de prison. Elle envisage également d'interdire l'exportation d'objets anciens en ivoire provenant de son territoire, de renforcer la coopération des services répressifs et de soutenir les communautés rurales des zones d'où proviennent les espèces sauvages.
Déjà, près de 500 millions d'euros ont été mobilisés par l'Union ces trente dernières années pour aider la conservation de la biodiversité sur le continent africain, et 700 millions de plus ont été débloqués jusqu'en 2020. « Ce plan d'action traduit notre engagement à mettre un terme à cette activité criminelle qui, si elle évolue à ce rythme, verra disparaître les grandes icônes de la faune sauvage d'ici deux décennies », s'inquiète le commissaire européen à l'Environnement, aux Affaires maritimes et à la Pêche, Karmenu Vella.
Cette mobilisation suffira-t-elle ? Le dernier rapport Living Planet du WWF indique que la population de vertébrés sauvages aurait déjà baissé de 52 % entre 1970 et 2010. « La baisse de biocapacité, c'est-à-dire la quantité de ressources disponibles en eau, nourriture et espace, va continuer à se réduire et aggraver ce déclin. Actuellement, ajoute l'organisme, 60 % des ressources et services naturels sont en recul. »
Le braconnage n'est pas seul responsable. « La cohabitation avec l'homme est de plus en plus difficile et les confrontations tournent rarement en faveur de l'animal », explique le vétérinaire Philippe Chardonnet, directeur de la Fondation internationale pour la gestion de la faune sauvage. Le rapport prospectif de la Convention sur la diversité biologique pour le 21e siècle, qui a compilé les plus récentes études sur le sujet, prévoit qu' « une très grande partie des espèces sera vouée à l'extinction du fait du changement dans l'utilisation des terres ». Plus de trois quarts des disparitions dans le monde seront causées par la perte d'habitat, prédit même Janse van Vuuren de l'université de Johannesburg.
Les scientifiques prévoient que l'abondance moyenne des espèces au niveau mondial, un indicateur sensible aux pressions sur l'habitat des espèces, passera de 0,70 en 2000 à environ 0,63 d'ici à 2050, ce qui revient à éradiquer la faune et la flore d'une zone de 9,1 millions de kilomètres carrés, soit l'équivalent de la superficie des Etats-Unis ou de la Chine.
« Un point de non-retour »
A cause de la démographie, c'est en Afrique, où se concentre l'essentiel de la vie sauvage, que le problème sera le plus sensible. La population mondiale croît chaque année de 80 millions de personnes. Or la majorité de cette dynamique se concentre sur ce continent, avec une augmentation trois fois plus rapide que dans le reste du monde. Selon les projections des Nations unies, régulièrement revues à la hausse, le peuplement pourrait y tripler, voire sextupler pour atteindre 6 milliards d'individus en 2100. « L'Afrique s'achemine vers un continent bondé et urbain, constitué de métropoles de dizaines de millions d'individus », prédit le démographe Jean-Pierre Guengant de l'IRD (Institut de recherche pour le développement).
La faune sauvage n'y résistera pas. Déjà 43 % des écosystèmes terrestres sont utilisés pour subvenir aux besoins de 7 milliards d'habitants sur la Terre. « 7 % de plus et nous aurons atteint un point de non-retour pour la biodiversité sauvage », pensent les scientifiques. Les espèces migratrices, notamment, pourraient voir disparaître nombre de « sites critiques » indispensables à leur ravitaillement et à leur reproduction. Dans la réserve de Masai Mara, au Kenya, 81 % de la population de gnous migrateurs a disparu en trente ans à cause de clôtures empêchant leur passage. En Tanzanie, c'est la construction de routes dans le Serengeti, dernière et plus grande zone de pâturage intacte d'ongulés sauvages au monde, qui menace un cheptel de 1,5 million de gnous et, avec lui, un écosystème riche de prédateurs.
Une curieuse corrélation
Les modèles compilés par la Convention sur la diversité biologique pour le 21e siècle prévoient qu'au rythme actuel de consommation des espaces qui constitueront autant de barrières à la migration, la taille des populations d'espèces diminuera de 9 % à 17 % d'ici à 2050. Une projection du WWF va même jusqu'à suggérer que l'abondance des espèces diminuera « de plus en plus vite ».
Un phénomène sournois pourrait en effet accélérer ce déclin : le renoncement des politiques de gestion de la faune sauvage. La fin de l'Union soviétique dans les années 1990 en a déjà fourni un exemple, confirme une récente étude de l'université du Wisconsin publiée dans « Conservation Biology ». Elle constate une curieuse corrélation entre la désorganisation des administrations et le déclin brutal de certaines espèces : jusqu'à 85 % pour les sangliers, cerfs et élans. « L'abandon des politiques de régulation des populations animales a bouleversé les écosystèmes en favorisant les grands prédateurs », spécule Eugenia Bragina, coauteur de l'étude.
A l'inverse, la création de couloirs écologiques, la restauration de milieux naturels et la mise en oeuvre de mesures de protection renforcée agissent aussi rapidement. L'avenir du vautour indien (Gyps indicus), pourtant classé en danger critique d'extinction en 2002 après l'effondrement de 97 % de ses effectifs, est désormais assuré depuis l'interdiction de commercialisation du médicament vétérinaire à l'origine de son empoisonnement.
Paul Molga
EN CHIFFRES
26.000 : espèces disparaissent chaque année de la planète. Au cours de 65 derniers millions d'années, le taux annuel d'extinction moyen s'est établi à une espèce pour un million. Ce taux est 100 fois supérieur aujourd'hui. Entre 15 % et 37 % des espèces, selon les études, pourraient disparaître d'ici à 2050.
25 % : des mammifères sont menacés d'extinction dans un futur proche, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature qui recense également 13 % des oiseaux et 41 % des amphibiens sous pression.
+ 10.000 % : La hausse du braconnage des rhinocéros depuis 2007 (10.000 animaux tués en 2015, dont 1.215 pour l'Afrique du Sud).
39 % de la faune sauvage terrestre a disparu depuis 40 ans : selon l'enquête de Planète Vivante conduite sur 10.000 espèces de vertébrés. S'y ajoutent 39 % de la faune sauvage marine et 76 % des espèces d'eau douce.
Source : les échos