En France, 340 animaux et plantes sont devenus invasifs après avoir été importés. Comme certains représentent un danger pour les écosystèmes, les autorités ont lancé plusieurs plans pour contrer leur propagation.
Quel est le point commun entre l’écureuil à ventre rouge, la carpe argentée, le cygne noir, la grenouille taureau et la jacinthe d’eau ? Aucun n’évolue d’ordinaire en France. Il s’agit d’animaux et de plantes introduits volontairement ou involontairement sur un territoire hors de leur aire de répartition naturelle, et dont la propagation, corrélée à l’intensification des échanges commerciaux, à la dynamique et aux tendances démographiques, représente une menace potentielle pour les écosystèmes, les espèces endémiques (particulièrement des milieux insulaires), l’économie (rendements agricoles, foresterie) et la santé humaine (vecteurs de zoonoses et de pathogènes).
D’après la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, près du cinquième de la surface terrestre est menacé par des invasions végétales et animales. Des griefs qui valent à ces «nouveaux nuisibles» d’être classés comme «espèces exotiques envahissantes» (EEE), ce qui signifie qu’ils peuvent être visés par des mesures d’éradication (tirs, piégeage, arrachage, bâchage…). Cependant,«toutes les espèces introduites ne sont pas envahissantes, schématiquement une espèce sur 1 000 le devient», tempère le ministère de la Transition écologique.
A ce jour, on recense 196 EEE en France métropolitaine, 340 avec l’outre-mer, toujours d’après le ministère qui, en appui de la stratégie nationale relative aux EEE de 2017, a annoncé un plan national de prévention. Celui-ci est axé «sur la sensibilisation des acteurs vecteurs de ces introductions (compagnies de transport maritime, passagers aériens, zoos, jardineries…), la formation des particuliers et des structures possédant des EEE, l’élaboration de guides d’informations pratiques, le renforcement des contrôles, tant aux frontières qu’au niveau des détenteurs, et de la réglementation en outre-mer, territoires particulièrement touchés et sensibles aux EEE».
«Laisser-faire»
«L’idée du plan ministériel est de se concentrer sur les espèces les plus préoccupantes, dites émergentes, c’est-à-dire qui viennent d’arriver sur le territoire, qui sont encore peu nombreuses et sur lesquelles il est encore possible d’agir», glisse Emmanuelle Sarat, coordinatrice du Centre de ressources EEE au comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Elle cite comme exemples trois nouvelles espèces d’écrevisses : l’écrevisse à taches rouges, l’écrevisse marbrée et l’écrevisse à pinces bleues sont accusées notamment de rentrer en compétition avec les écrevisses indigènes à pattes blanches, déjà menacées par la destruction des habitats.
Car, une fois installées, les EEE sont quasiment impossibles à éradiquer. C’est le cas du ragondin, du raton laveur, de la jussie (une plante aquatique)… ou encore de la perruche à collier, originaire d’Afrique et d’Inde, qui a débarqué en France dans les années 70 et dont la population est estimée entre 10 000 et 20 000, rien qu’en Ile-de-France (lire ci-contre). «Le principe de précaution voudrait que l’on intervienne dès le début de l’introduction d’une espèce invasive potentielle, mais la sympathie pour certaines espèces, particulièrement quand elles sont introduites pour leurs qualités esthétiques, remet bien souvent en cause ce principe, favorisant les partisans d’un laisser-faire. Ceci est particulièrement vrai en ville», expliquent, dans un article de 2017, les chercheurs Alizé Berthier, Philippe Clergeau, Richard Raymond, qui parlent de «belles invasives».
Actuellement, la réglementation française interdit la libération de la perruche à collier en milieu naturel. Pour les espèces les plus préoccupantes – et réglementées à l’échelle de l’Union européenne sur la base d’analyses de risque effectuées par des scientifiques européens -, la détention, l’importation, le transport et la commercialisation sont aussi prohibés. «Sauf que la perruche n’est classée qu’à l’échelle de la France et, de fait, n’a pas encore bénéficié de cette expertise concernant ses impacts», pointe Emmanuelle Sarat.
«Saupoudrage»
Bérangère Abba, la secrétaire d’Etat en charge de la Biodiversité sortante, ne s’arrête pas là :500 actions «coups de poing» seront menées d’ici 2025 pour réagir rapidement face aux espèces susceptibles de s’installer. «La première opération cofinancée par le ministère à hauteur de 90 000 euros vise à éradiquer les populations d’écrevisses à taches rouges dans le département de l’Aveyron, précise son cabinet à Libération. Les opérations menées en 2022 et 2023 concerneront tout d’abord le plan d’eau où l’écrevisse a été identifiée, avec des opérations de vidange et de chaulage [technique de traitement à la chaux, ndlr] du plan d’eau pour agir, avant l’été, sur les œufs d’écrevisses à taches rouges et, pendant la période estivale, sur les individus adultes.» Coût annoncé de la première série d’opérations pour 2022 : 1,5 million d’euros.
Pas de quoi susciter l’enthousiasme de notre spécialiste de l’UICN, pourtant partenaire du ministère dans ce dossier. «On se félicite de cette prise de conscience mais il faut faire des actions continues, du suivi, pour être sûr que les mesures aient un effet. Les actions « coup de poing » ne peuvent pas permettre ça. Intervenir ponctuellement sur des espèces ne va pas changer la donne. Cela reste du saupoudrage, une action de communication, lance Emmanuelle Sarat. On préférerait avoir 3 millions d’euros pour financer des projets structurants comme de la recherche en prise avec les préoccupations des gestionnaires, en métropole et en outre-mer. Il y a tellement de besoins de financements pour la biodiversité. L’argent serait peut- être plus utile pour créer des aires protégées ou sauvegarder une espèce menacée.»
Pour l’heure, les espèces exotiques envahissantes n’ont pas causé d’extinction d’espèces indigènes en France métropolitaine, mais des régressions de leur population à l’échelle locale. Par exemple, la crassule de Helms forme un tapis végétal très épais qui remplace d’autres espèces aquatiques et peut affecter la reproduction des amphibiens. En revanche, certaines disparitions ont déjà été constatées en outre-mer, qui héberge près de 80 % de la biodiversité nationale. Elle abrite aussi le plus grand nombre d’espèces animales et végétales mondialement menacées, les rendant ainsi particulièrement vulnérables aux EEE. D’après l’UICN, «l’escargot carnivore de Floride, introduit en Polynésie française à des fins de contrôle biologique contre l’achatine [une espèce d’escargot géant d’Afrique, ndlr], est directement responsable de l’extinction de près de 57 espèces d’escargots endémiques de la famille des partulidés.» Un remède pire que le mal.
Source : Libération / 17 mai / A.CO.