Pire que celles de 1976 et 2003, la sécheresse actuelle entraîne une surmortalité des poissons, oiseaux et mammifères en raison de l’assèchement historique des cours d’eau et des sols.
Un hérisson qui a été recueilli est hydraté, dans le Centre de soins de la faune sauvage des Alpes-Maritimes, en raison de la chaleur et de la sécheresse, à Saint-Cézaire-sur-Siagne, le 1er août 2022. ÉRIC GAILLARD/REUTERSHécatombe de carpes dans le marais breton-vendéen, entre Noirmoutier et Saint-Jean-de-Monts (Vendée). Mort par dizaines de biches et de cerfs dans le parc naturel de la Sierra de Baza, près de Grenade, dans le sud de l’Espagne. Asphyxie de centaines de grenouilles consécutive à la quasi-disparition du lac Petrus dans le Mercantour, à la frontière italienne. La sécheresse sans précédent qui sévit actuellement dans l’ouest de l’Europe, la pire depuis le début des relevés en 1959, est un désastre pour la faune sauvage.
« Et encore ! Nous ne voyons que la partie émergée de l’iceberg », alerte Jean-Noël Rieffel, directeur de l’Office français de la biodiversité (OFB) en région Centre-Val de Loire. « La situation est historiquement très dégradée et 2022 s’annonce comme une année de référence en termes de surmortalité des espèces aquatiques et terrestres », prédit-il.
Sous terre, de manière invisible, une infinité d’insectes et d’invertébrés meurent d’assèchement. L’indice d’humidité des sols est plus bas que celui enregistré lors des précédentes sécheresses historiques, en 1976 et 2003, d’après les mesures du CNRS. Par endroits, tous les micro-organismes disparaissent et, avec eux, les fonctions qu’ils jouent dans la chaîne alimentaire, explique l’OFB, établissement sous tutelle du ministère de la transition écologique.
Multiplication des assecs
C’est ainsi que des sangliers apparaissent à proximité des tuyaux d’irrigation ou sur les plages. Faute de coléoptères, lombrics et chenilles, et même escargots et limaces, qui constituent habituellement leur régime de remplacement quand les premiers viennent à manquer, les hérissons paient un lourd tribut, parcourant des kilomètres pour trouver de la nourriture. Nombre d’entre eux finissent écrasés sur les routes.
Le hérisson est un animal sentinelle. Son comportement donne l’alarme, lorsque l’état de l’écosystème qui l’abrite se dégrade. Même chose avec la rainette verte. Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), l’amphibien présent dans les mares, étangs et lacs de la moitié nord de la France est parmi les premières espèces à être touchées par l’assèchement des zones humides et la pollution des eaux. Il figure sur la liste des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).
Dans les milieux aquatiques, les effets de la sécheresse sont palpables. Début août, à Orléans, la température de la Loire s’élevait à 31 °C. Le 15 juillet, la température du dernier fleuve sauvage du Vieux Continent, avec la Vjosa, en Albanie, a même atteint un pic à 32 °C. « Ce niveau, rarement atteint par le passé, s’avère létal pour de nombreux poissons. Il provoque une catastrophe chez les grands migrateurs comme l’alose ou le saumon de Loire-Allier, dernière souche sauvage d’Europe occidentale, qui remontent habituellement le fleuve en cette saison », observe M. Rieffel.
Ces espèces sont condamnées à une double peine : l’augmentation de la température de l’eau due au rayonnement solaire et à la baisse du niveau général du fleuve, et la diminution des écoulements, qui ralentit la mobilité indispensable au cycle biologique des poissons. « De nombreuses mortalités piscicoles nous sont signalées depuis le début de l’été, mais elles augmentent en fréquence depuis quelques jours », indique l’expert.
En cause, la multiplication des assecs, ces cas les plus extrêmes de l’étiage qui se manifestent quand l’eau ne s’écoule plus et que le lit de la rivière ou de l’étang s’assèche. La sécheresse de 2022 intervient dans un contexte déjà fortement dégradé. Selon une étude de l’Observatoire national des étiages publiée en mai, « toute la France est affectée par l’assèchement estival des petits cours d’eau » depuis une décennie. Entre 2012 et 2021, le taux cumulé des assecs a été« globalement en hausse », relate l’étude.
Les oiseaux touchés par ricochet
Durant les années les plus sèches (2012, et 2017 à 2020), ce sont le pourtour méditerranéen, les pays de la Loire, le Centre et la Bourgogne qui ont été les plus concernés. Il y a encore dix ans, les assecs étaient « ponctuels ». A partir de 2015, ils ont été de plus en plus nombreux à être observés au moins deux mois de suite. Et, depuis 2017, il n’est pas rare que les assecs durent « trois mois ou plus ».
L’impact est notable sur la mortalité des écrevisses à pattes blanches, sur celle des insectes aquatiques tels que les odonates (famille à laquelle appartiennent les libellules), des mollusques comme la moule perlière (inscrite sur la liste rouge européenne des espèces menacées) et des amphibiens comme le triton et la salamandre, précise l’OFB. « Seuls les animaux capables de partir à la recherche d’eaux plus fraîches peuvent en réchapper. Les autres sont en danger de mort, à cause d’une plus forte concentration des polluants dans les cours d’eau et de la prolifération d’espèces exotiques envahissantes », relève Loïc Obled, directeur national de l’OFB chargé de la police, de la connaissance et de l’expertise.
Par ricochet, les oiseaux sont eux aussi touchés. A proximité des milieux aquatiques, les populations de canards et de limicoles, ces échassiers aux grandes pattes et au long bec, se concentrent là où il reste de l’eau, dégradant les conditions sanitaires générales et perturbant les milieux, par l’accumulation de fientes et le développement de maladies. Depuis le mois de juillet, l’OFB enregistre une recrudescence de grippe aviaire parmi les oiseaux sauvages.
La sécheresse touche autant les migrateurs, qui se préparent au grand retour vers l’Afrique, que les oiseaux inféodés à l’agriculture, comme les perdrix. Elle fait aussi échouer les éclosions de toutes les espèces aviaires, par dessèchement de la membrane interne de l’œuf, et elle accroît la mortalité des oisillons, en particulier chez les espèces cavicoles (qui nichent dans les cavités) et celles qui vivent dans les frondaisons (le feuillage des arbres), où la température du nid, parfois proche de 50 °C, devient rédhibitoire. Sont également durement touchés les martinets et les hirondelles insectivores, qui logent sous les toitures et se retrouvent sous-alimentés et déshydratés.
Période de « grand désordre »
« La sécheresse actuelle est sans commune mesure avec celles de 1976 et 2003, parce qu’elle s’inscrit dans une tendance longue liée aux émissions de gaz à effet de serre. C’est important de le souligner, car si les populations animales peuvent récupérer à moyen terme d’un événement climatique ponctuel, elles ont beaucoup plus de mal à s’en remettre si cet événement se répète », fait remarquer Philippe Grandcolas. Directeur adjoint scientifique de l’Institut écologie et environnement (INEE) au CNRS, ce dernier considère que la Terre est entrée dans une période de « grand désordre », caractérisée par une « recomposition » des écosystèmes. Certains animaux s’installent ailleurs, tels les insectes thermophiles : ayant besoin de températures élevées pour se développer, ils sont aujourd’hui repérés en Bretagne et en Normandie, alors que, dans un passé récent, ils vivaient exclusivement au sud de la Loire.
D’autres, y compris parmi les mammifères, ne tolèrent pas le changement climatique et les événements qui l’accompagnent. Après la sécheresse de 2003, une étude menée dans la réserve nationale de Chizé (Deux-Sèvres) avait mis en lumière un impact fort sur la condition physique et les performances reproductrices des chevreuils avec, pour les faons qui terminent leur allaitement en été, un déficit de masse corporelle durable et une surmortalité.
En 2002, un article paru dans la revue Nature – « Ecological responses to recent climate change » – avait aussi révélé « un modèle cohérent de changement écologique dans tous les écosystèmes, du niveau des espèces à celui des communautés ». Vingt ans plus tard, ces perspectives s’assombrissent. Les sécheresses pourraient devenir « de plus en plus fréquentes et sévères dans la région méditerranéenne, en Europe occidentale et dans le nord de la Scandinavie », d’après une étude britannique de la Royal Meteorological Society, publiée en 2017. En raison de la gestion « non durable »des terres, elles devraient « progressivement causer plus de dommages » d’ici à la fin du XXIe siècle.