« La panthère des neiges », film éblouissant tourné par Marie Amiguet et Vincent Munier, sera en salle le 15 décembre 2021. Le grand photographe amoureux de vie sauvage a entraîné l’écrivain Sylvain Tesson (cf son livre) au Tibet dans sa quête du félin menacé. A ne pas manquer
Accompagnée par une musique de plus en plus intense, une meute de loups dévale des pentes saupoudrées de neige. Elle fond sur un troupeau de yacks dans la vallée, l’encercle, et dans une chorégraphie rodée depuis les origines, sème le chaos chez les imposants herbivores. Le point de vue de la caméra, posée sur une lointaine hauteur, transforme les animaux en figurines noires et claires, s’affrontant sur un échiquier en folie balayé par l’attaque. La proie choisie subit les crocs des loups. Puis, le sol de la prairie est strié de vagues par le souffle du vent, les nuances gris et ocre des cimes tout autour se mêlent au bleu du ciel, et l’écran petit à petit s’emplit d’immenses volutes de poussière rouge tourbillonnante…
Ce qu’en dit Marie Amiguet, co-réalisatrice du film : ICI
Vincent Munier et Sylvain tesson parlent du film sur France Inter : ICI
Sur les traces d’un félin mythique, la panthère des neiges
Le calme revenu, deux hommes surgissent derrière l’arrondi sensuel d’une colline, chargés de lourds sacs à dos, l’un lesté d’un long trépied photo. Sylvain Tesson, écrivain baroudeur, et Vincent Munier, célèbre photographe animalier, sont les protagonistes d’une expédition documentée par ce dernier en duo avec la réalisatrice Marie Amiguet. Les hauts plateaux du Tibet forment le spectaculaire décor de leurs affûts sur les traces d’un félin mythique, dont le titre du film porte le nom : la panthère des neiges.
Obsédante quête que celle de la panthère pour Vincent Munier : parti de nombreuses fois auparavant en solitaire à sa recherche, il avait engrangé quantité de vidéos et de photos sur le milieu de vie de l’animal, plusieurs fois immortalisé par son objectif. Et espoir enfoui pour les autres membres d’une éprouvante équipée de plusieurs semaines, à des altitudes dépassant les 4000 mètres par des températures allant jusqu’à moins 25° C
« La patience est la vertu la plus élégante«
Il n’est pas exact néanmoins d’affirmer que l’écrivain volubile et le taiseux photographe, dont Marie Amiguet fixe avec spontanéité, finesse, et une pointe d’humour la relation, les échanges et dévoilements réciproques, seraient les protagonistes exclusifs de cette aventure. Les animaux, le monde sauvage tout entier, crèvent l’écran par leur beauté et par le simple mystère de leur existence. Ils ne sont pas la toile de fond du tournage, mais bel et bien les acteurs d’un exaltant récit et les sujets d’une découverte dont le merveilleux se renouvelle à chaque observation. Cela, oui, constitue un objet crucial du film : l’affût. L’attente immobile qui précède la si fantasmée révélation de l’animal. Du minutieux pistage d’une corniche où s’installer et poser le matériel photo, pour Vincent Munier, et des moments où il va enfin ajuster les jumelles à ses yeux et accepter l’incertitude d’une vision, pour Sylvain Tesson, Marie Amiguet tire les ingrédients d’une rencontre humaine.
« La patience est la vertu la plus élégante« , commente l’écrivain en voix off. Il suit tel son ombre le photographe, envers lequel il éprouve une admiration chaleureuse, teintée de questionnement existentiel. Comment s’approprier le mode de vie d’un homme qui se fond dans le sauvage si harmonieusement ? Quelle est notre place parmi les autres êtres vivants ? Dans quelles ressources puiser durant les heures glaciales passées à l’affût ? Caméra braquée sur son visage creusé de perplexité, Sylvain Tesson, aux prises avec chaussettes chauffantes et apprentissage du suivi des traces, verse parfois dans une sorte d’autodérision attachante, conscient de ses efforts d’adaptation à une aventure exceptionnelle qui requiert « tout de même une sacrée vie intérieure… », lâche-t-il !
La panthère des neiges, une espèce en danger
C’est le félin le plus discret du monde. Insaisissable, Panthera uncia – appelée panthère ou léopard des neiges – évolue sur un territoire immense de plus de 1.800.000 km2 de la Chine à la Mongolie, au Népal et au Pakistan. Elle choisit de préférence les hautes altitudes, entre 2500 et 5 000 mètres où son pelage la rend presqu’invisible, ce qui rend son observation extrêmement difficile. Sa durée de vie est d’environ 20 ans. Ses bonds pour attraper ses proies (essentiellement des petits mammifères) peuvent atteindre 10 mètres. Sa population ayant décliné de 20% ces dernières années en raison du braconnage pour sa fourrure – et ses organes qui entrent dans la pharmacopée chinoise- , la panthère des neiges est désormais considérée comme une espèce en danger, classée sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Il n’en resterait que 4.000 à 6.000 individus dans les 12 pays qu’elles habitent.
Carole Chatelain
On reproche à Vincent Munier d’occulter les meurtrissures du monde, de n’en montrer que la beauté… Il assume. Le photographe confie à ce puissant levier la tâche de secouer les cœurs engourdis, de susciter des élans. Mais surtout, ce faisant, en parfait accord avec sa coréalisatrice, il dévoile aux spectateurs un étincelant et gracieux condensé de vie sauvage. La grandeur de ce film empreint de respect envers les animaux est bien celle d’instiller progressivement en nous la conscience de recevoir un cadeau inouï : celui de partager leur intimité et l’espace qu’ils habitent, d’admirer la pureté de leur être. Les défilés et les courses insouciantes des antilopes du Tibet, filmées à contrejour, déplient des silhouettes esquissées par un pinceau de lumière. Le chat de Pallas, avançant précautionneux dans la neige aux aguets d’un rongeur dont les moustaches frémissent, est suivi par la caméra qui se pose tour à tour sur ses yeux rétrécis par la concentration, sur le ciel où planent des rapaces postulant au banquet, puis sur les hommes qui scrutent la scène aux jumelles. Ah ! La justesse jubilatoire d’un si drôle montage ! On en oublierait les ours, inattendu et bouleversant symbole d’un monde dont nous nous savons douloureusement séparés. Et puis… la panthère.
La panthère… la panthère !
« Panthère… panthère… panthère« , chuchotent presque religieusement les deux hommes unis par une sorte de transcendance, en touchant ça et là sur le sol d’une grotte les premières traces du félin repérées. Que de désir ! Va-t-elle se montrer ? Elle imprime d’abord sur les capteurs d’un piège photographique à infrarouge les images fantomatiques de son passage. Puis, sa queue épaisse, son profile souple, apparaît sur les lignes brisées d’une crête, énigmatique et secrète encore. L’équipe cherche désormais le lieu idéal pour installer un camp d’observation. Patience.
Tension et patience aussi pour le spectateur, bercé et soulevé d’émotion tout le long du film par la magnifique bande son originale composée par Warren Ellis en collaboration avec Nick Cave. Le générique de fin, un morceau entêtant dont les paroles viennent de Sylvain Tesson, est titré « We are not alone ». Nous ne sommes pas seuls. Répétés comme un mantra, ces mots portent la révélation vécue par l’écrivain durant cette aventure : « J’ai beaucoup voyagé et j’étais observé. J’étais observé et je l’ignorais. Nous ne sommes pas seuls (bonne nouvelle pour la vie)… Ils sont invisibles à nos yeux (bonne nouvelle pour la vie)… ». Maintenant, prodigieusement, se retrouver les yeux dans les yeux avec la panthère des neiges. Non, nous ne raconterons pas la fin. Oui, vous aussi, vous aimeriez la rencontrer ? Alors n’hésitez pas une seconde, allez voir ce film éblouissant.
Source : Sciences et Avenir