Les associations de protection animale ont obtenu le retrait d’un arrêté autorisant la pêche aux squales, responsables de 11 morts et 7 blessés graves depuis dix ans sur l’île. Mais les «prélèvements» vont en fait se poursuivre.
«Victoire pour les requins du littoral réunionnais !» ; «L’Etat bat en retraite !» Mercredi, un collectif d’associations écologistes et de protection animale se sont réjouies du retrait d’un arrêté datant de juillet, «portant autorisation d’opérations ciblées de prélèvements de requins sur le littoral des communes de Saint-Paul, Trois-Bassins, Saint-Leu et L’Etang-Salé». Ce texte autorisait jusqu’en 2023 la pêche aux requins-bouledogues et aux requins-tigres, responsables d’attaques mortelles sur la côte ouest de La Réunion. Depuis le début de la crise, en 2011, l’île dénombre 30 morsures de requins, principalement sur des surfeurs et bodyboarders, qui ont fait 11 morts et 7 blessés graves.
Dès le départ, le gouvernement a lancé un programme scientifique, pour mieux connaître les requins incriminés, en effectuant notamment des marquages. Mais les attaques se poursuivaient. En 2013, sommé par le tribunal administratif de «mettre fin au risque», le préfet a programmé des «prélèvements». Comprendre une pêche visant à éliminer les squales. Aujourd’hui encore, la mesure est applaudie par les adeptes des sports nautiques, dénoncée par les écologistes ; le débat dégénère parfois en échauffourées…
Enjeu presque dérisoire
Près de dix ans plus tard, la justice a-t-elle réellement tranché en faveur des protecteurs de l’environnement ? Et la pêche aux requins est-elle désormais interdite à La Réunion, comme l’a rapporté une partie de la presse locale ? Sea Shepherd et les autres associations du collectif ont certes gagné une bataille. Le recours qu’elles ont intenté contre l’arrêté de juillet a porté ses fruits, puisque le préfet a retiré in extremis le texte, mardi, à la veille de l’audience au tribunal administratif de Saint-Denis.
Mais l’Etat annonce qu’il lancera une consultation du public «avant le 31 décembre», condition nécessaire pour prolonger la mesure. Surtout, il assure qu’un arrêté précédent, datant de février 2019, est en vigueur jusqu’à la fin de l’année et autorise les prélèvements. Didier Derand, le porte-parole du collectif, estime «discutable» cette interprétation. «Sea Shepherd [qui a aussi attaqué l’arrêté de 2019 et perdu en première instance, ndlr], va faire appel», prévient celui qui n’hésite pas nager au large pour prouver la non-dangerosité des requins.
L’enjeu est en fait presque dérisoire : les deux arrêtés concernent en effet les seuls prélèvements «post-observation», c’est-à-dire lorsqu’un requin est signalé en zone de protection renforcée «2A» de la réserve naturelle nationale marine, créée en 2007. Mais ce protocole est rarement utilisé : selon Michaël Hoarau, directeur adjoint du Centre sécurité requin (CSR) de La Réunion, seuls quatre requins ont été pêchés depuis 2018 après une alerte dans cette zone.
En réalité, les squales sont principalement prélevés en zone de protection 2B, dans le périmètre général de la réserve ou à l’extérieur de celle-ci. Et cela va continuer. Comme les bouledogues et les tigres ne sont pas des espèces menacées, «on dispose de peu de moyens juridiques pour contester la pêche dans ces périmètres», se désole Didier Derand. L’ancien représentant de la fondation Bardot espère convaincre l’Union internationale pour la conservation de la nature de changer le statut de protection des deux squales.
«Les attaques se font de plus en plus rares»
En attendant, la pêche aux requins se poursuit à La Réunion. Depuis mars 2018, 52 bouledogues, espèce responsable de 90% des attaques, et 245 tigres ont été prélevés par des pêcheurs payés à cet effet. Les professionnels sont alertés automatiquement sur leur téléphone portable lorsqu’un squale a mordu aux hameçons postés en face des plages réunionnaises.
«Le comité régional des pêches avait prélevé 49 bouledogues en 2016. Au CSR, nous en avons pêché 7 cette année, 12 en 2020, 19 en 2019. La preuve qu’il y en a de moins en moins.»
— David Guyomard, responsable du suivi scientifique du programme de pêche de prévention au Centre sécurité requin
Pour quels effets ? David Guyomard, responsable du suivi scientifique du programme de pêche de prévention au Centre sécurité requin, est confiant : «Le comité régional des pêches avait prélevé 49 bouledogues en 2016. Au CSR, nous en avons pêché 7 cette année, 12 en 2020, 19 en 2019. La preuve qu’il y en a de moins en moins. D’ailleurs, les attaques se font plus rares.» La dernière agression remonte effectivement à mai 2019, qui s’était soldée par la mort d’un surfeur de 28 ans au large de Saint-Leu.
Aux effets potentiels de la pêche, s’ajoutent les mesures de précaution déployées depuis : des filets anti-requins sont désormais tendus au large des plages de baignade non protégées par le lagon. Le surf, lui, est autorisé, mais seulement sur des spots surveillés par la ligue régionale ou un club agréé, les zones étant surveillées par des «vigies requin» (plongeurs, caméras…). La plupart des sportifs ont en outre équipé leur planche d’un dispositif électromagnétique répulsif.
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: (Michael Bogner/Getty Images/iStockphoto)
Libération 11 octobre 2021