L’ambassadeur français à l’Environnement, Yann Wehrling était de passage à Pékin à l’occasion de la Foire internationale d’horticulture. Il en a profité pour rencontrer les responsables chinois dans la perspective de la COP15 Biodiversité qui se tiendra l’année prochaine à Kunming, dans le sud-ouest du pays. L’occasion de parler de la biodiversité en Afrique et des filières françaises de l’environnement au secours des grues de Sibérie en Chine.
RFI : Pourquoi être venu parler environnement et biodiversité à Pékin ?
Yann Wehrling : L’environnement est un sujet qui monte, ici, en Chine. Préoccupation de l’opinion publique, préoccupation du pouvoir chinois, c’est évidemment un sujet qui, pour la France, est également très important, c’est la raison pour laquelle je suis là. En plus de cela, ils accueillent fin 2020, la COP15 Biodiversité. Le propos que l’on tient auprès de la Chine, c’est que COP21, COP15 c’est un sujet très voisin. Le climat, la biodiversité, c’est lié, c’est la planète, c’est l’avenir de notre environnement et donc de nous-mêmes, de l’humanité. Nous avons à travailler ensemble pour que la réussite de la COP21 profite à la COP15 qui doit aussi être une réussite.
Comment travailler ensemble concrètement ?
Le premier point, c’est vraiment de se mettre autour d’une même table, régulièrement, ce que nous avons commencé à faire et ce que nous allons continuer à faire, avec l’expérience française et l’objectif chinois d’avoir une réussite, aborder tous les sujets qui doivent être abordés. On a une base qui est le rapport des scientifiques, l’IPBES [Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques], le fameux « GIEC de la biodiversité », qui a rendu son rapport à Paris en avril dernier et qui nous donne des recommandations. Sur la base de ces recommandations, nous pouvons avancer sur des propositions très précises pour l’ensemble de la communauté internationale.
Il y a évidemment une présence africaine très importante à cette foire horticole. C’est important aussi que la France et l’Afrique travaillent sur cette question de biodiversité ?
J’allais dire que la France et l’Afrique, c’est une histoire ancienne. La Chine dans cette dynamique relationnelle joue un rôle important. La Chine est présente en Afrique, nous avons à croiser nos expériences et nos activités, aujourd’hui en Afrique, et nos appuis au gouvernement africain et aux populations africaines pour justement aller vers plus de durabilité. On a un continent en plein développement, tout l’enjeu est de faire en sorte que ce développement ne se fasse pas au détriment de l’environnement. Nous avons fait en Europe des erreurs, les Chinois ont fait en Chine des erreurs, il faut faire en sorte que les mêmes erreurs ne soient pas commises en Afrique, il y a une richesse de biodiversité extraordinaire. Il y a à la base ce qu’on appelle des hot-spots de biodiversité, c’est-à-dire des endroits où la biodiversité est très importante, dans les forêts équatoriales notamment, dans tout le centre de l’Afrique, avec des espèces notoires comme les éléphants ou les rhinocéros par exemple, ou les girafes ou les lions, je ne vais pas lister toutes les espèces qui sont très nombreuses et très emblématiques. Nous avons un intérêt collectif, c’est un bien commun de l’humanité, de protéger ces espèces, mais pas au détriment des populations. Tout ça, c’est une alchimie très complexe à réussir à construire et il faut le faire avec les Chinois qui sont très présents, aujourd’hui, en Afrique, comme les Français.
L’Afrique est riche en biodiversité, très riche même, c’est là le modèle inversé, c’est l’Afrique qui est riche, mais en même temps elle a besoin de se développer. Qu’est-ce que les Chinois et la France peuvent faire ? C’est des moyens financiers, c’est plus que ça ?
Oui, c’est investir en Afrique et permettre aux Africains d’avoir un mode de développement durable. C’est évidemment un sujet très complexe, c’est la question des ressources. Mais vous savez le sujet est global, il est international, il est vrai en Amérique du Sud, en Amazonie. La question de savoir comment on peut, demain, avoir une économie dans le monde qui ne prélève pas plus de ressources que ce que la planète peut nous procurer, c’est un enjeu international. Et il est particulièrement vrai dans des pays dont le potentiel de développement est encore énorme, où les ressources naturelles sont très importantes et attisent beaucoup de convoitises. Il y a des minerais, il y a de la forêt, il y a de l’agriculture… Notre objectif, par exemple la France a développé depuis l’année dernière une stratégie contre la déforestation importée, c’est-à-dire que nous assumons totalement notre rôle de pays riche dans la déforestation. C’est-à-dire qu’à chaque fois que nous achetons des produits issus de pays africains ou de pays d’Amérique du Sud, dans des endroits où il y a des forêts tropicales extrêmement riches, nous pouvons éventuellement participer de la déforestation, donc nous devons sélectionner nos activités en fonction du fait qu’elle participe ou non à la déforestation, ceci en pleine discussion et en plein accord avec les pays africains. L’objectif est de faire en sorte que les productions faites en Afrique se fassent sur des terres déjà déforestées et que les forêts soient préservées.
Il y a une urgence climat. Aujourd’hui, on a l’impression que c’est partagé en Chine comme en France. Les opinions en parlent, les médias en parlent, les politiques en parlent. Est-ce que c’est la même chose pour la biodiversité ou on commence ?
Le président de la République Emmanuel Macron a dit à plusieurs reprises, maintenant, que la question de la biodiversité devait arriver à un niveau d’intérêt et d’importance au moins égale à celui du climat. C’est exactement cette ligne de conduite, à l’international, que nous conduisons notre diplomatie. Il est important que la question de la biodiversité soit beaucoup plus prise en compte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les scientifiques ont objectivé la question. Nous sommes à un niveau d’alerte extrêmement important, presque 40% des espèces sont menacées, un million d’espèces sont menacées. Nous sommes dans l’urgence et dans une alerte maximale. 5%, aujourd’hui, des mammifères de la planète sont dans le domaine du sauvage, tout le reste ce sont des humains et nos animaux d’élevage. Vous voyez un peu l’état de la biodiversité ? Elle est dans un état dramatique. Il va falloir que l’on se retrousse les manches, que l’on travaille tous ensemble, je veux dire la communauté internationale dans son ensemble et, en premier lieu, les pays les plus investis, la France, la Chine, et bien d’autres pays heureusement dans le monde sont aujourd’hui totalement conscients de la situation.
Justement, pour la Chine, j’ai vu des affiches en arrivant, à l’aéroport de Pékin, on voit ces affiches pour la protection notamment des espèces menacées en Afrique. C’est une chose dont vous parlez avec les Chinois ?
Les sujets sont nombreux, mais celui-là est un sujet très important. Il s’agit du braconnage, le braconnage des espèces les plus en danger : les éléphants, les rhinocéros, les girafes maintenant, de plus en plus d’espèces aujourd’hui sont en danger critique. Il y a un problème de braconnage, c’est-à-dire de la chasse illégale qui, ensuite, entretient des trafics internationaux dont certains alimentent la criminalité organisée tel que le terrorisme par exemple. Aujourd’hui, tout le monde a intérêt à lutter contre le braconnage et la Chine s’y est mise. C’est une excellente nouvelle, parce qu’on sait que souvent le marché chinois peut être ciblé comme étant un marché qui est destinataire des espèces braconnées comme l’ivoire, les cornes de rhinocéros. Le fait que le gouvernement chinois fasse une campagne en interne, en Chine, est extrêmement important. Évidemment, l’idée est de sensibiliser la population qui pourrait être éventuellement cliente ici ou là de poudre de cornes de rhinocéros ou d’objets en ivoire, que derrière il y a des massacres épouvantables, et la disparition d’espèces. C’est très important que la Chine fasse ce genre de campagne.
La diversité à protéger également en Chine et notamment avec les entreprises françaises ou en tout cas avec les acteurs français, les experts ?
La France est très investie auprès de la Chine pour les projets sur lesquels elle a une expertise. En l’occurrence, la préservation des milieux naturels. Nous avons accompagné dans un projet d’écomusée dans le nord de la Chine, près de Kangping, un écomusée qui, très concrètement, est une zone humide que l’on a restaurée. L’Agence française de développement, l’AFD, s’est impliquée. Cette zone humide, aujourd’hui, qui a été complètement restaurée, accueille l’ensemble de la population mondiale des grues de Sibérie. Les grues de Sibérie, c’est une espèce dont il ne reste que 4 000 individus à peu près, elle est en danger critique d’extinction avec un tel nombre, et l’ensemble de cette population des grues de Sibérie vient se poser, se reposer, deux à trois mois de l’année pendant sa période de migration. Donc, c’est très important de faire la démonstration que quand une espèce est en danger critique d’extinction, nous pouvons agir pour la préserver avec des opérations de ce type-là, c’est simplement leur donner un habitat dont elles ont besoin pour se nourrir et se reposer.
Source RFI