Alors que l’année 2016 marque les 40 ans de la première grande loi relative à la protection de la nature en France, le réseau des spécialistes des espèces du Comité français de l’UICN dresse à cette occasion un bilan de la situation. Si l’avenir de nombreuses espèces de la faune et de la flore est aujourd’hui très préoccupant, quelques succès marquants tracent la voie à suivre et démontrent que les actions de conservation permettent de sauver des espèces parmi les plus menacées.Des responsabilités mondiales
Selon la dernière mise à jour de la Liste rouge de l’UICN, la France figure parmi les 10 pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces animales et végétales menacées au niveau mondial. Avec 1143 espèces mondialement menacées présentes sur son territoire, notre pays porte une responsabilité majeure dans la lutte contre l’érosion de la biodiversité qui frappe la planète.
Ce sont en particulier les collectivités françaises d’outre-mer qui placent la France dans cette position. Les territoires français ultra-marins sont en effet quasiment tous situés dans des points chauds de la biodiversité mondiale, c’est-à-dire des régions très riches en espèces mais également très menacées : îles Caraïbes, îles de l’océan Indien, Polynésie-Micronésie, Nouvelle-Calédonie. A l’échelle du continent européen, la France est également directement concernée : 275 espèces mondialement menacées sont recensées dans l’Hexagone. Cette situation est liée à la grande diversité des habitats naturels considérés comme prioritaires au niveau européen sur notre territoire, ainsi qu’à la richesse biologique de la zone méditerranéenne, autre point chaud de la biodiversité mondiale.
Les principales menaces pesant sur les espèces sont bien connues : dégradation et fragmentation des milieux naturels, surexploitation, introduction d’espèces devenant envahissantes, pollutions et changement climatique.
Une loi constituant un acte fondateur
La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature a posé les grands principes du droit français de l’environnement en matière de préservation des espèces et des milieux et a apporté des outils importants pour les faire respecter. Elle est en particulier à l’origine des premières listes d’espèces animales et végétales protégées. Elle a permis de renforcer significativement la protection des espaces naturels, avec la création des réserves naturelles et des arrêtés de protection de biotope. Elle a introduit un régime de permis obligatoire pour la détention et la commercialisation des espèces de la faune et de la flore protégées au niveau international par la Convention de Washington (ou CITES). Elle aégalement imposé la réalisation d’études d’impact environnemental avant tout projet d’aménagement portant atteinte aux milieux naturels et a introduit le principe de la compensation écologique.
Par ses dispositions novatrices, la loi de 1976 a constitué un véritable tournant pour la protection de la nature en France. Sa mise en œuvre a impulsé une réelle dynamique positive et favorisé l’investissement de nombreux bénévoles et professionnels dans la conservation de la biodiversité.
Des succès qui tracent la voie à suivre
Parmi les succès marquants, la protection réglementaire de la Loutre d’Europe et les campagnes menées en sa faveur ont fini par porter leurs fruits : alors que l’espèce était en situation très précaire il y a quelques décennies, elle a désormais recolonisé de vastes secteurs de son territoire dans la plupart des régions françaises. Les actions de protection des zones humides ont amélioré la situation de plusieurs échassiers, comme la Spatule blanche ou le Blongios nain. Le Bouquetin des Alpes, lui, avait quasiment disparu de l’arc alpin français. Grâce à l’action d’associations, à sa protection et à la création des parcs nationaux alpins, il a aujourd’hui repeuplé plusieurs départements. Enfin, suite au succès de son programme de réintroduction, le Vautour moine niche à nouveau dans les Grands Causses, après avoir disparu de France pendant près d’un siècle.
D’autres succès sont encourageants mais restent fragiles. Dans les Antilles françaises et en Guyane, la situation des tortues marines est en voie d’amélioration, grâce à la mobilisation continue des acteurs de la société civile depuis de nombreuses années pour assurer la surveillance des plages de ponte, désormais renforcée par un plan national d’action. De même à la Réunion, où la restauration des plages et la réduction des captures accidentelles en collaboration avec les pêcheurs de l’île ont permis le retour de la Tortue verte.
Ces réussites remarquables sont le plus souvent le résultat d’actions efficaces des pouvoirs publics et des associations de protection de la nature, menées en synergie et soutenues par des moyens financiers et humains adaptés, sur la base de lignes directrices scientifiques et avec l’adhésion des acteurs locaux.
Des efforts à conforter et des obstacles à surmonter
Pour autant, d’autres espèces demeurent en situation précaire alors qu’elles font l’objet d’initiatives pour restaurer leur état de conservation. C’est le cas d’oiseaux comme l’Aigle de Bonelli et le Râle des genêts, ou d’un papillon comme l’Azuré de la sanguisorbe, qui bénéficient actuellement de plans nationaux d’action. C’est le cas également de plusieurs plantes faisant l’objet de programmes de conservation, comme la Saxifrage oeil-de-bouc ou l’Armérie de Belgentier. Les actions entreprises doivent encore s’inscrire dans la durée pour assurer à ces espèces un avenir pérenne en France.
Pour d’autres espèces, malgré la mise en place de programmes et de plans de conservation, la situation reste très préoccupante en raison d’un manque d’actions, de coordination, de concertation ou de moyens financiers. L’Anguille d’Europe, bien que protégée à divers titres et bénéficiant de plans de gestion dans tous les pays de l’Union européenne, subit toujours de nombreuses pressions et demeure menacée. En dépit des efforts entrepris, le Vison d’Europe et la Grande Mulette continuent quant à eux de voir leurs effectifs chuter de manière alarmante. Et la situation complexe et fragile de l’Ours brun, du Loup et du Lynx en France illustre bien les difficultés de coexistence et les polémiques qui n’ont pas été résolues depuis 40 ans.
Enfin, au-delà du cadre législatif national, les collectivités françaises du Pacifique font face à d’importants défis. Si l’Etat français est garant de la préservation de la biodiversité sur l’ensemble de son territoire, les collectivités locales et la société civile s’y trouvent souvent en première ligne pour sauvegarder les espèces endémiques menacées. C’est le cas par exemple en Polynésie française avec les actions entreprises pour éviter l’extinction d’un arbuste emblématique comme le Tiare ’apetahi ou d’oiseaux rarissimes comme le Monarque de Fatu Hiva.
Vers une indispensable amplification des actions
Le cadre législatif fixé par la loi de 1976 a constitué une avancée incontestable pour la protection de la nature en France. Quarante ans après, la nouvelle loi adoptée cette année « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » devra conforter les progrès obtenus et surtout impulser une amplification des actions. Dans un contexte marqué par la dégradation continue et prononcée des habitats naturels et par le nouveau défi du changement climatique, cette amplification devra passer par un renforcement de l’intervention publique et de la mobilisation des réseaux associatifs pour répondre à l’urgence de la situation et écarter le risque de voir disparaître des espèces animales et végétales de notre territoire.
Selon la Liste rouge des espèces menacées en France, coordonnée par l’UICN France et le Muséum national d’Histoire naturelle, l’état des lieux est aujourd’hui préoccupant pour de nombreuses espèces : 32 % des oiseaux nicheurs, 23 % des amphibiens, 22 % des poissons d’eau douce et 12 % des libellules sont par exemple menacés dans l’Hexagone, tout comme 33 % des oiseaux nicheurs de Guadeloupe ou 43 % des plantes de Mayotte.
Compte tenu de ses responsabilités de premier plan au niveau mondial, la France se doit de donner une ambition forte à sa politique de préservation de la biodiversité. Alors que les Etats sont réunis en ce moment à Cancún, au Mexique, pour évaluer la mise en œuvre de leurs engagements adoptés dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, il reste désormais quatre ans à la France pour répondre à l’objectif 12 d’Aichi l’engageant à éviter d’ici 2020 l’extinction des espèces menacées sur son territoire et à améliorer leur état de conservation.