Le biologiste Francis Hallé milite pour la recréation d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest, dans les Vosges du Nord.
Cela fait longtemps qu’il se bat pour éviter la destruction des forêts tropicales. Les canopées sont pour lui «l’endroit le plus vivant du monde». Des lieux à défendre qu’il étudie et dessine depuis des années et à qui il a consacré sa vie. Optimiste, le biologiste Francis Hallé veut croire qu’on va, peut-être, après les incendies en Amazonie et en Australie l’été dernier, avoir un plus grand respect pour les forêts… La pandémie qui vient de balayer la planète accentue cette hypothèse car elle résulte directement de la déforestation et devrait plaider pour un plus grand respect de la forêt primaire.
C’est là le grand projet de Francis Hallé : la recréation d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest, à un endroit situé entre la France et l’Allemagne, dans les Vosges du Nord, où on laisserait la nature travailler, où il ne serait plus question de planter des arbres, pas plus que de récolter du bois mort ou de chasser.
«Tempo de la nature». Cette «création» au long cours aurait pour but, d’après le biologiste, de permettre un maximum de stockage de carbone. Un bon projet pour le climat, une initiative qui ne coûterait pas cher – même s’il ne la chiffre pas. Pour ce faire, il a monté l’Association Francis Hallé pour la forêt primaire qui rencontre, selon lui, une bonne réaction du public, même s’il s’agit d’un projet pour le – très – long terme. Avec cette forêt-là, explique le biologiste, «nous nous trouvons dans le tempo de la nature, c’est-à-dire celui de la patience et de la longueur du temps. Il va donc falloir attendre que les arbres qui sont là disparaissent», très probablement remplacés par des chênes et des hêtres.
Car, précise-t-il, on ne peut pas «créer la forêt primaire», on ne peut que réunir les conditions où elle peut s’installer d’elle-même. Tout dépend de l’âge de la forêt. «Supposez qu’elle ait 400 ans, il faudra six siècles. Depuis un sol nu il faut mille ans. Ce temps long n’est pas un choix de notre part. Sous les tropiques, cela va beaucoup plus vite ; c’est imposé par la nature, personne ne peut accélérer le processus.»
Les Etats-Unis (dans l’Oregon particulièrement), la Russie, la Chine, l’Argentine et le Chili sont des pays dotés de forêts primaires ; leurs ancêtres n’ont pas, contrairement aux nôtres, «tout détruit», comme le dit Francis Hallé. Il s’agit donc, tout simplement, de remettre les choses dans l’état où elles seraient si on n’avait pas anéanti notre environnement, pour exploiter le bois ou remplacer le milieu naturel par des terres agricoles… Faire renaître une forêt, «c’est utopique, mais ceux qui n’ont pas d’utopie ne vont nulle part», sourit le biologiste.
Cathédrales.Lorsqu’on lui fait remarquer qu’il est rare de voir se monter des projets misant sur des échéances aussi longues, là encore, Francis Hallé a une réponse : «Est-ce qu’on est encore capables de faire cela, je l’espère en tout cas, sinon notre société est très mal partie. Je crains qu’on ait perdu le sens du long terme. Mais quand il s’agit de forêts, on y est obligés», tranche notre chercheur. Avant d’ajouter que nos ancêtres ont bien construit des cathédrales avec plusieurs générations d’humains à la manœuvre, que les pyramides des pharaons ne se sont pas non plus faites en une seule journée…
Commencer sans voir la chose se finir, voilà une proposition qui ne manque pas de sagesse, voire de philosophie. Et Francis Hallé de conclure : «Ce projet a réuni une quantité de gens et un enthousiasme débordant, bien qu’il soit utopique et un peu fou. Deux choses qui nous font du bien et nous manquent.»
Didier Arnaud/Libération, 23 août 2020
Illustration : Avril 2020. Illustration sur la biodiversité. Filtration de la pollution, dans l’eau et l’air, régulation du climat, lutte contre les épidémies La nature rend une multitude de services, souvent ignorés, aux humains. Autant d’arguments pour la préserver.