Le président de la Ligue pour la protection des oiseaux dénonce une multiplication des agressions contre l’environnement et annonce, face aux rétropédalages du gouvernement en matière d’écologie, qu’il boycottera la rentrée du Conseil national de transition écologique.
Autorisation de la chasse à la tourterelle des bois alors que l’espèce est à l’agonie, suspension pour un an seulement de la chasse à la glu et maintien des autres chasses dites «traditionnelles», réautorisation des insecticides néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles»… Allain Bougrain-Dubourg, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), dénonce «un millefeuille d’agressions à la nature et de régressions» de la part de l’exécutif. Un coup de gueule rare venant d’une des plus importantes figures de la cause environnementale, qui vient de publier aux éditions les Echappés On a marché sur la terre, journal d’un militant.
Le gouvernement a autorisé vendredi la chasse de 17 460 tourterelles des bois, une espèce pourtant menacée. Qu’en pensez-vous ?
Je suis outré. Le gouvernement autorise cela alors que cette espèce a perdu 80 % de ses populations en trente ans, que la Commission européenne nous dit de cesser le feu, que les scientifiques du Comité d’experts sur la gestion adaptative (Cega) sont du même avis, comme 75 % des 20 000 réponses à la consultation publique sur le sujet. C’est un mépris du travail scientifique et des consultations publiques, lesquelles sont une mascarade indécente, car on laisse croire aux citoyens que leur avis compte. Idem pour le courlis : aucun pays d’Europe ne le chasse car il est lui aussi à l’agonie, seule la France le fait. La consultation publique a là aussi donné un avis majoritairement défavorable. Or malgré cela, un arrêté a autorisé sa chasse et nous avons été obligés d’aller devant le Conseil d’Etat. Cette fois-ci aussi, pour la tourterelle, nous avons illico déposé un référé devant le Conseil d’Etat pour tenter de faire cesser le massacre. Mais je suis choqué par la démarche de l’exécutif, qui a publié son arrêté la veille de l’ouverture de cette chasse, de sorte que même si le Conseil d’Etat suspend l’arrêté, cela aura permis aux chasseurs de tuer pendant quelques jours un maximum d’oiseaux.
Jeudi, l’Elysée annonçait pourtant une suspension pour un an de la chasse à la glu pour les merles et les grives…
C’est une tentative de diversion d’une indécence inqualifiable. Je suis assez sidéré de voir que le Président de la république, qui a tout pouvoir semble-t-il sur l’avenir de la chasse en France, puisse espérer réautoriser la chasse à la glu l’année prochaine. Nous sommes mis en demeure par la Commission européenne de faire cesser définitivement cette pratique odieuse et non sélective. La glu permet en principe de chasser exclusivement les grives et les merles, mais dans les faits elle capture beaucoup d’autres oiseaux. Quant aux autres chasses «traditionnelles», tout aussi barbares [elles consistent à capturer alouettes des champs, vanneaux huppés ou pluviers dorés par strangulation ou écrasement, ndlr],elles sont maintenues. Alors qu’elles sont aussi dans le collimateur de Bruxelles et que nous sommes le dernier pays de l’UE à les pratiquer. Il faut en finir avec ces «loisirs» cruels.
Pourquoi, avec France Nature Environnement (FNE) et les Amis de la Terre, avez-vous décidé de ne pas assister mardi à la réunion de rentrée du Conseil national de la transition écologique (CNTE, une instance de dialogue composée notamment de représentants d’élus, de syndicats ou d’ONG) ?
Parce que nous ne voulons pas cautionner une situation inacceptable. On assiste ces derniers temps à un rétropédalage surréaliste sur plusieurs sujets, à un millefeuille d’agressions contre la nature et de régressions. La coupe est pleine. Il y a la chasse, mais il y a bien sûr aussi la réautorisation des néonicotinoïdes. Ces pesticides ne tuent pas que les abeilles, toute la chaîne du vivant en souffre. La réunion de mardi prévoit la présentation du projet de loi destiné à entériner la dérogation à leur interdiction pour la culture de la betterave, annoncée début août [alors qu’aucune dérogation n’était plus possible depuis le 1er juillet, selon la loi biodiversité de 2016]. Sauf que ce texte ouvre en fait la porte au retour des néonicotinoïdes pour toutes les filières. C’est d’autant plus inacceptable que c’est la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili elle-même, alors secrétaire d’Etat, qui avait porté la loi de 2016. Je n’ai pas de mots pour qualifier la situation que nous vivons. Il n’y a pas de précédent.
D’autres sujets me préoccupent. La pêche en eau douce pourrait être prolongée d’un mois en octobre pour compenser le mois «perdu» à cause du confinement au printemps. Mais toutes les rivières sont asséchées : il faut plus que jamais suspendre la pêche, dès que possible. Autre chose encore, la simplification des procédures environnementales. Nous n’y sommes pas opposés par principe, mais cela peut être dangereux et mener à la levée des contraintes environnementales. C’est le cas pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, pour l’organisation des Jeux olympiques dans la capitale… Partout où l’on regarde, on constate que derrière une apparente bonne volonté se cachent en réalité des reculs. Nous ne voulons plus être complices de cela.
Les lobbys de l’agriculture intensive et de la chasse semblent plus que jamais avoir l’oreille de l’Elysée et de Matignon. Que peut faire Barbara Pompili dans ce contexte ?
On voit bien qu’elle n’a pas de pouvoir, qu’elle est déjugée par l’Elysée de façon humiliante. Notre refus d’accepter son invitation à la réunion du CNTE est une façon de la soutenir, en montrant que le millefeuille d’agressions contre l’environnement ne passe pas inaperçu, que nous ne sommes pas dupes et que nous ne voulons plus participer à cette situation humiliante. Comme nous savons que Barbara Pompili partage notre point de vue, nous prenons la parole à sa place. Son devoir de réserve, on l’occupe. Ceci dit, il y aura des limites à ce qu’elle est en mesure de digérer. A un moment, elle sera amenée comme Nicolas Hulot à démissionner, faute d’être en conformité avec l’élémentaire respect de l’éthique initiale.
Vous parlez d’humiliation. Les défenseurs de la nature subissent-ils aussi des menaces ?
Nous subissons des pressions et des violences insupportables, notamment de la part d’agriculteurs et de chasseurs. En août, dans les Alpes-Maritimes, des bergers ont par exemple fait interrompre une projection du documentaire Marche avec les loups de Jean-Michel Bertrand. Il y a deux poids deux mesures entre d’un côté l’agriculture, protégée par la cellule Déméter [Cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, créée en 2019 par la gendarmerie nationale] et de l’autre nos associations, qui ne sont pas protégées par l’Etat.
Pire, j’ai vraiment le sentiment que nous vivons une période de radicalisation de la part de l’Etat. Les relations entre les ONG environnementales et celui-ci n’ont pas toujours été faciles, mais il y avait toujours des horizons lumineux. Sous Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, nous avons vécu des moments d’humiliation pour la nature, mais aussi des moments d’espoir. Nous étions frustrés car les progrès nous semblaient trop lents, ne prenaient pas en compte l’urgence, mais on progressait quand même. Alors qu’aujourd’hui, l’horizon est bouché. Nos seules victoires désormais, à nous les associations de protection de la nature, c’est quand nous empêchons une défaite de plus pour celle-ci. On se bat au quotidien pour enrayer les agressions contre la nature, même plus pour favoriser son épanouissement.
J’ai eu la chance de connaître une époque où l’Etat créait des réserves, développait l’éducation à l’environnement, où des espèces devenaient protégées alors qu’elles étaient jugées nuisibles jusqu’alors. Aujourd’hui, alors que l’arche de la biodiversité prend l’eau, que le déclin du vivant s’accélère, on continue de tirer sur des espèces en mauvais état de conservation, malgré les engagements du candidat Macron.
Celui-ci n’a d’ailleurs jamais voulu recevoir les associations de protection de la nature, alors qu’il reçoit le président de la Fédération des chasseurs deux fois par an, qu’ils s’appellent sur leurs portables. Et que nous avons rencontré tous ses prédécesseurs. Je me sens plus proche d’un Valéry Giscard d’Estaing, grand chasseur devant l’éternel mais qui avait une notion des équilibres naturels, que d’Emmanuel Macron qui est complètement hors-sol sur ces questions.
Vous avez été un des rares à critiquer publiquement la Convention citoyenne pour le climat. Que pensez-vous des mesures proposées en juin par les citoyens ?
Beaucoup d’entre elles ont été portées par les associations depuis des années et sont en fait les enfants du Grenelle de l’environnement de 2007. Nous y sommes donc favorables et espérons qu’elles seront mises en œuvre. Mais je rappelle le mépris considérable qu’il y a eu à l’égard des propositions du grand débat national, lancé début 2019 suite à la fronde des gilets jaunes. Il y a eu des milliers de réunions publiques partout en France. Nous-mêmes, la LPO et les associations naturalistes, avons participé à un débat à Paris sur le thème de la biodiversité, en présence d’Emmanuelle Wargon, alors secrétaire d’Etat, et nous en avons sorti des dizaines de mesures. Que reste-t-il de ce grand débat ? Rien. Tout cela a été mis sous le tapis. Et on a inventé la Convention citoyenne, alors qu’on n’avait pas besoin de former des citoyens pour qu’ils nous expliquent comment faire pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre. Les scientifiques du Haut Conseil pour le climat créé par Emmanuel Macron ou du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le font depuis longtemps.
Même procrastination autour de la question du bien-être animal. Malgré l’évolution de la sensibilité de l’opinion publique, qui très clairement rejette la maltraitance, malgré les images répétées, dramatiques, qui révèlent la réalité du transport d’animaux, des élevages, des abattages etc., on se contente de promesses pour l’avenir. Quand il était ministre de l’Ecologie, en 2017, Nicolas Hulot a commencé un travail sur le sujet, qui a été repris par son successeur François de Rugy, puis par Elisabeth Borne, sans que les choses n’avancent. Quelle décision allons-nous prendre à l’égard des cirques, des Marineland, du déterrage des blaireaux dans des conditions inacceptables ? A chaque fois, on multiplie les débats, les conventions, on joue avec la patate chaude. Nous sommes usés de fatigue par ces réunions permanentes qui prétendent refaire le monde et qui finalement nous renvoient à notre incapacité à agir. On continue sans arrêt à jongler avec les vœux pieux, le cirque gouvernemental doit s’arrêter.