Ce fervent militant, à l’origine de plusieurs vidéos virales sur les réseaux sociaux, incarne les hésitations qui traversent le mouvement antispéciste, sur la radicalité du discours à tenir et des actions à mener.
Ils sont une vingtaine, regroupés dans un square près du métro Solférino, au cœur de Paris. Ils peaufinent la stratégie : Marcel et Chantal tiendront la banderole, les plus jeunes brandiront des pancartes derrière eux. « Amadeus, tu es prêt ? — Non, deux minutes, le micro ne tient pas. » Enfin, c’est le top départ, le petit groupe hétérogène aux tee-shirts rouge vif estampillés « Liberté pour les animaux » marche vers le ministère de l’écologie.
Pantalon beige, polo bleu marine, baskets aux pieds et micro en main, Amadeus interroge les représentantes des associations One Voice et Paris Animaux Zoopolis (PAZ), qui protestent, ce 17 septembre, contre le possible revirement du gouvernement sur l’interdiction des chasses traditionnelles d’oiseaux. Puis il saisit le mégaphone pour mener les troupes aux cris de « Chasse abolition ! ». L’action durera quinze minutes, sous l’œil indulgent des gendarmes et de la centaine de personnes qui ont regardé son live sur Facebook. Quelques jours plus tard, il sera invité par C8 sur le plateau de « Balance ton post ! ».
Amadeus VG Humanimal, 39 ans, est organisateur d’initiatives pour la cause animale. Son pseudo reflète son engagement : Amadeus (son deuxième prénom), VG pour végan et Humanimal « pour montrer qu’animaux et humains font partie d’un seul et même groupe ». S’il est proche d’associations reconnues, comme One Voice, L214 ou Sea Shepherd, il ne dépend d’aucune. Chasse, cirque, fourrure, corrida, abattoirs… le militant est partout. Mais peu le connaissent vraiment. « Ce n’est pas moi [qui suis]important, c’est la cause que je porte. Qu’est-ce que ça vous apporte de savoir que Johnny Hallyday s’appelait Jean-Philippe Smet ? », s’amuse-t-il.
Il tient aussi à son anonymat parce qu’il affirme craindre pour sa vie – il a déjà reçu des menaces et même des coups de la part de circassiens. « Nous sommes en guerre, affirme-t-il sans ambages. Un jour, il y aura des morts et je ne veux pas en faire partie. »Résultat selon lui de l’affrontement de deux visions du monde. « Je suis antispéciste, donc, mon but, c’est l’arrêt de l’exploitation des animaux et que l’ensemble de ceux-ci ait le droit de vivre et de ne pas souffrir. Or on m’impose une vision du monde où on peut les manger. »
« Réductionniste étapiste »
Amadeus est devenu végan en 2002 – il ne consomme ni n’utilise aucun produit d’origine animale. Depuis, il expérimente et réfléchit à la meilleure stratégie pour aider les animaux. Réaliste, le militant sait « qu’on n’arrivera pas à l’abolition demain ». Il se définit ainsi comme « réductionniste étapiste », c’est-à-dire partisan d’un programme en plusieurs phases, la quatrième et dernière étape consistant à « imposer notre vision et faire de l’antispécisme une réalité ».
La première phase, portée par la fondation Brigitte Bardot ou L214, était de sensibiliser à l’animal et à sa souffrance, en diffusant par exemple des images d’abattoirs. La deuxième avait pour but de montrer que la consommation de viande n’est pas un choix mais le résultat d’une injustice. C’était le temps des actions coups de poing, des intrusions dans des McDo ou des attaques de boucheries. S’il a parfois été présent lors d’opérations radicales, Amadeus préfère la discussion ; il n’a jamais eu affaire à la justice. La radicalité du discours doit-elle déboucher sur la radicalité dans les actes ? Le militant incarne les hésitations qui traversent ce courant de pensée. « Sans Malcom X, il n’y aurait jamais eu de Martin Luther King, mais il y a des actions qui sont mauvaises pour la cause », lâche-t-il.
Aujourd’hui, nous serions donc dans la troisième phase : faire du véganisme un mouvement mainstream, « pleinement accepté socialement, presque stylé »,notamment en rendant les produits végans plus accessibles. C’est l’étape qui correspond le plus à cet adepte de la pédagogie, « car c’est ce qui a marché pour [lui] ». « Le véganisme n’est pas une secte, dit-il, je veux montrer que c’est pour tout le monde, pas que pour les bobos parisiens. » Pragmatique, il n’essaye plus de convertir ses proches, réfractaires, mais « cible » les « vacillants », les hésitants. C’est-à-dire les « chiens-chats »,comme il les surnomme – ceux qui sont déjà sensibilisés au sort des animaux de compagnie –, et les écologistes, réceptifs au discours sur les émissions de CO2 par la filière viande.
Pour mener à bien ses multiples initiatives, pas toujours couronnées de succès, Amadeus s’appuie depuis 2017 sur une association confidentielle, Consocratie, dont l’objectif initial est de montrer que « nous pouvons changer la société par nos actes de consommation » – « Acheter, c’est voter, donc soutenir », aime-t-il répéter. Grâce aux dons qu’elle reçoit, l’association lui permet de préparer des événements et de financer en partie les vidéos qu’il réalise avec une petite équipe de volontaires.
Lives, microtrottoirs, séquences face caméra – avec le journaliste et militant Hugo Clément notamment –, happenings dans des élevages – comme en 2019 avec le rappeur Stomy Bugsy –, vlogs, dégustations de produits végan, recettes de cuisine… Il adapte le format « en fonction de [son] but et de [son] auditoire ». Ainsi, dans ses enquêtes thématiques – sur le « poulet du futur », les œufs ou le soja –, le ton presque rappé – « c’est ma culture », dit-il – se veut plus explicatif que véhément, les informations sont sourcées, le montage travaillé. Et ça marche : ses vidéos, diffusées notamment par L214 ou le site Mr Mondialisation, dépassent les 200 000 vues.
« Travail de toute une vie »
« C’est un militantisme original et novateur,salue Amandine Sanvisens, cofondatrice de PAZ. Il est très ouvert, s’adresse à l’opinion publique mais aussi au mouvement en interne. Il a créé des lieux de rencontre comme le VG Lab [désormais fermé]. » Son « Journal de la cause animale », diffusé depuis début 2019 sur Facebook, est dans la ligne de sa « stratégie mouvementiste », en réunissant autour de la table des intervenants de tous horizons. Si certains lui reprochent de trop se mettre en avant, Amandine Sanvisens balaye l’argument : « L’important c’est de faire et, lui, il fait. C’est le travail de toute une vie. »
Amadeus est en effet militant à temps plein. Certaines de ses vidéos sont rémunérées par les associations qui les reprennent à leur compte, mais il n’en retire aucun salaire. Il a organisé sa vie pour ne plus avoir à la gagner. En 2013, grâce à l’argent qu’il avait accumulé en travaillant depuis ses 17 ans, tout en vivant chez ses parents avec un mode de vie décroissant, il a pu emprunter et acheter un appartement en proche banlieue parisienne, là où il a grandi. Il l’a réaménagé pour pouvoir en habiter une partie et en retirer une petite rente en louant l’autre moitié.
Pourtant, rien ne le prédestinait à consacrer sa vie à la cause animale. « Je ne suis pas devenu végan par amour des animaux, je n’ai jamais eu de chien ou de chat, mais pour être cohérent avec mes valeurs. » Enfants de parents soixante-huitards, un père dans l’agroalimentaire, une mère qui organisait des campagnes de santé publique, Amadeus et ses deux grandes sœurs grandissent livrés à eux-mêmes. Il traîne dans le quartier et « joue au voyou ». « Je ne manquais de rien mais je faisais du business pour le business »,jusqu’à vendre des armes.
A 17 ans, déscolarisé, il rencontre Jo Dalton (son « re-père », comme il surnomme cette figure paternelle), un antifasciste membre d’une bande de « chasseurs de skins », les Black Dragons, qui vient de sortir de prison. Il découvre la discipline, le sport, le combat antiraciste… et « la force d’une vie menée en harmonie avec ses valeurs ». Il trouvera sa propre voie alors qu’il regarde un reportage animalier avec sa grand-mère. A l’écran, un lion attaque et dévore une gazelle ; lui est en train de manger sa cuisse de poulet. Il réalise qu’il serait capable de tuer pour se nourrir, mais qu’il n’en a pas envie. Par cohérence, c’est décidé, il ne mangera plus de viande ni de poisson. Il reprend ses études (économie, sociologie et philosophie) et « déconstruit la vision anthropocentrée de la société ».
Frugivore puis granivore – « Je poussais la logique au bout, je ne consommais que des végétaux déjà morts » –, il teste tout. Jusqu’à tomber malade. « Comme beaucoup, j’ai voulu faire plus fort que la science », regrette-t-il. Depuis 2017, il s’est stabilisé dans un régime végan, complémenté en B12 (seule vitamine qu’on trouve quasi exclusivement dans les produits animaux ou sous forme de complément alimentaire), et il a retrouvé un équilibre plus en adéquation avec sa pensée. « Aujourd’hui je me rends compte que la quête de perfection n’était pas une bonne stratégie pour sauver un maximum d’animaux aquatiques et terrestres. Pour convaincre les gens de devenir végan, ou même végétarien, il faut leur faire envie, pas leur faire peur. »
Et pour 2022 ?
Amadeus ira voter en 2022, car il « vote à chaque fois ». Il devrait opter pour la candidate du Parti animaliste, le seul mouvement qui défend la même cause que lui, même si elle a peu de chances d’être élue. Au second tour, il espère avoir un candidat favorable à « la cause ». Mais sa vision utilitariste le pousse à se poser la question du vote d’extrême droite : « Ça pourrait mener à la révolution et donc permettre de tout remettre à plat. Il faut parfois envisager un mal pour avoir un mieux après. »
Le Monde