Entre 2018 et 2020, l’ONG française Awely a mené une étude des pratiques mises en œuvre par les organisations de conservation du tigre pour limiter les conflits entre villageois, le tigre (Panthera tigris) et le léopard (Panthera pardus) au Bangladesh, en Inde, au Népal, au Bhoutan et en Indonésie. Cette étude était commanditée par l’UICN international, dans le cadre d’un vaste programme de conservation du tigre financé par la banque allemande de développement (KfW).
Pourquoi cette étude ?
En 2010, les estimations portaient à moins de 3200 le nombre de tigres sauvages, contre environ 100 000 au début du 20ème siècle, trois sous-espèces ayant complètement disparu. Cette même année, face à ce constat catastrophique, une mobilisation mondiale sans précédent pour sauver cette espèce emblématique a été entreprise au « Sommet du tigre » de Saint-Pétersbourg, où les pays de l’aire de répartition des tigres se sont engagés à doubler le nombre de tigres dans la nature entre 2010 et 2022.
Dans toutes les régions où les tigres et les léopards coexistent avec les humains, des conflits sont susceptibles de survenir. Ces conflits font notamment référence aux dommages que les prédateurs peuvent causer au bétail, à la menace qu’ils représentent pour les humains ou parce qu’ils sont en concurrence avec nous pour le gibier. Ces dommages perçus ou réels peuvent fortement affecter le soutien local à la conservation du tigre et du léopard, dans certains cas abattus par peur ou en représailles. Avec l’objectif de doubler la population de tigres sauvages, et dans un contexte mondial de dégradation croissante de l’habitat et de concurrence pour les ressources, les conflits entre les tigres, les léopards et les humains est susceptible d’augmenter. Œuvrer pour une meilleure coexistence est donc un aspect fondamental pour leur conservation à long terme.
Les projets visités
Six mois de terrain ont été nécessaires pour réaliser cette étude, à la rencontre des équipes de terrain, des responsables de parcs nationaux, des gardes forestiers, des chefs de villages, des victimes de prédation et de l’ensemble des bénéficiaires des différentes activités mises en œuvre. Au total, plus d’une quinzaine de projets ont été visités par la coordinatrice des programmes d’Awely, afin de comprendre les avantages et les limites des actions mises en œuvre pour améliorer la coexistence entre les communautés et les grands prédateurs.
Enseignements clés
Les tigres évitent naturellement les humains. Les mangeurs d’homme ne sont en général plus capables de chasser leurs proies naturelles.
Généralement, le léopard espèce opportuniste, est dans bien des endroits, responsable de prédation sur le petit bétail ou sur les chiens domestiques, et peut s’approcher très près des habitations, notamment la nuit.
Le tigre, connu pour avoir naturellement peur de l’homme, semble plutôt éviter les villages et les activités humaines. Dans certaines zones où il vit en très grande proximité avec les humains, des cas de prédation sur le gros bétail et d’attaques sur les personnes sont à déplorer.
Attention cependant avant de déclarer un tigre comme étant « un mangeur d’hommes » : dans bien des cas, les attaques sur les humains sont la conséquence d’une réaction de défense, où l’animal n’a plus d’autre choix que d’attaquer pour se protéger, et la victime n’est pas mangée. Parfois cependant, il arrive qu’un individu particulier attaque les humains de façon répétée, et consomme ses victimes. Il semblerait que ces tigres soient devenus mangeurs d’homme après avoir été blessés, et se retrouvant dans l’incapacité de chasser leurs proies naturelles.
Créer du dialogue et instaurer un climat de confiance entre tous les acteurs impactés
Chaque contexte de conflit est particulier, et le problème s’arrête rarement aux dégâts visibles occasionnés par le prédateur. Ces dégâts peuvent en réalité être la « goutte d’eau » venant exacerber des tensions sous-jacentes et persistantes entre différents groupes humains. Avant de parler de solutions concrètes, il est nécessaire de comprendre les besoins, les croyances, les perceptions, les attitudes qui attisent les tensions et conditionnent les comportements des groupes humains affectés. Bien souvent, le dialogue est rompu entre les communautés, les ONGs, et les autorités chargées de la gestion de la faune sauvage. Avant d’envisager de construire des abris anti-prédateurs, de former une équipe de secours, ou encore de monter un fond de compensation financière pour soutenir les victimes, il est fondamental de recréer du lien entre tous les acteurs, où chacun aura son mot à dire et une responsabilité à prendre dans l’élaboration de solutions qui soient efficaces sur le long terme.
A quoi sert cette étude aujourd’hui ?
Cette étude a permis de confronter et de croiser les connaissances et savoir-faire entre de nombreuses organisations oeuvrant pour la coexistence humains-tigres / léopards. Les leçons apprises permettent aux organisations de conservation telles que la nôtre, d’améliorer leur approche et de s’inspirer des bonnes pratiques qui existent ailleurs. C’est le cas par exemple, du projet que nous menons actuellement au Népal, dont l’objectif est de limiter les attaques de tigres sur les humains en périphérie d’un parc national.
Awely, des animaux et des hommes est une ONG française créée en 2005. Depuis sa création, Awely a fait de l’amélioration de la coexistence homme-faune sa spécificité, en travaillant sur la limitation des dégâts causés par un panel d’espèces en Afrique et en Asie : éléphants, rhinocéros, hippopotames et autres herbivores, crocodiles, léopards en Zambie, au Népal et en Inde, tigres au Népal, lions en Tanzanie. En 2019, Awely a créé une nouvelle initiative nommée le Réseau Carnivores. Cette initiative a pour objectif d’identifier une organisation ayant besoin d’une expertise pour limiter les conflits humains-carnivores auxquels elle fait face. Dans ce cadre, Awely a renouvelé en 2020 son partenariat avec l’organisation népalaise le National Trust for Nature Conservation (NTNC), afin de développer des moyens de protection des villageois et apaiser les tensions générées par les attaques de tigres dans une zone pilote localisée en périphérie du parc national de Bardia, au Népal. En 2021, Awely initie son premier projet en France, ayant pour objectif l’anticipation du retour du loup dans la Vienne.
A lire : Corbett, J. (2004). Tigres et léopards mangeurs d’homme (Montbel). ISBN-10 : 2914390122
https://www.montbel.com/corbett-tigres-et-leopards,fr,4,M012.cfm
A écouter : À la rencontre du tigre au Népal, Kris de Bardia (guide animalier)