Le déboisement a augmenté de 30 % en mars par rapport à 2019, en raison d’une réduction des patrouilles de la police environnementale.
En Amazonie, une chose est sûre : les bûcherons ne connaissent pas le con!nement. Tout au contraire. Au mois de mars 2020, la déforestation a augmenté de près de 30 % dans la partie brésilienne de la grande forêt tropicale par rapport au même mois de l’année 2019. Selon le système d’alerte satellitaire de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE), 326 km2 de forêt tropicale auraient été rasés durant la période : l’équivalent de trois fois la super!cie de la ville de Paris.
L’explosion de la déforestation inquiète les experts et les défenseurs de l’environnement. Elle survient en saison des pluies, période durant laquelle le déboisement est en règle général ralenti. Surtout, elle a lieu alors que l’épidémie de Covid-19 se répand au Brésil : avec 2 741 décès au 21 avril et plus de 43 000 cas ociellement recensés, le pays est de très loin le plus touché d’Amérique latine.
C’est tout sauf un hasard : depuis le début de la pandémie, la police environnementale (Ibama) a réduit au strict minimum ses patrouilles. Ociellement, il s’agirait de protéger les agents de terrain de l’institution (dont un tiers aurait plus de 60 ans) et d’éviter la contamination des populations indigènes. En réalité, selon les ONG, le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro pro!terait du chaos ambiant pour faciliter un peu plus l’exploitation de la forêt tropicale.
Une « opportunité »
« Beaucoup d’orpailleurs et de voleurs de bois voient cette épidémie comme une opportunité et souhaitent tirer avantage de la situation, décrypte Adriana Ramos, experte à l’ONG Institut Socioambiantal. La baisse des moyens et la réduction des contrôles de l’Ibama n’ont pas commencé avec le coronavirus. La politique de ce gouvernement depuis le début consiste à encourager ceux qui détruisent illégalement la forêt. »
Mme Ramos pointe en particulier une mesure discrètement rati!ée en décembre 2019 par Jair Bolsonaro et facilitant l’exploitation de la forêt amazonienne. La « MP 910 », décriée par les organisations de défense de l’environnement, devrait, une fois adoptée par le Congrès, grandement #exibiliser les conditions de régularisation de propriétés établies illégalement par la déforestation au Brésil, en particulier en Amazonie. « La hausse de la déforestation ces derniers mois est une conséquence directe du changement de législation sur le droit à la terre », insiste-t-elle.
Ce n’est pas le seul signal négatif envoyé par le gouvernement Bolsonaro concernant la protection de la forêt. Depuis la mi-avril, le vice-président Hamilton Mourao a certes formé un très médiatique Conseil national de l’Amazonie, censé coordonner les supposés eorts de protection mis en place par le gouvernement. Mais ni l’Ibama, ni la Funai (Fondation nationale de l’Indien), ni aucune ONG ou organisation scienti!que n’ont été associés au projet. Le « Conseil » comptera en revanche pas moins de 19 militaires.
Surtout, le 14 avril, le ministre de l’environnement Ricardo Salles a brutalement démis de ses fonctions l’un des plus importants dirigeants de l’Ibama : Olivaldi Azevedo, en charge du très stratégique département de la protection environnementale (Dipro). Sa faute ? Avoir autorisé une équipe télé de la chaîne de Globo à accompagner une grande opération de l’Ibama, visant à expulser des garimpeiros (chercheurs d’or ou de pierres précieuses) opérant illégalement sur des terres indiennes dans l’Etat du Para. Selon la presse, le ministre n’aurait pas apprécié qu’une telle publicité soit donnée à l’événement.
Alors que débutera au mois de mai la saison sèche, nombreux sont les experts à s’inquiéter d’un grand retour des incendies en Amazonie, provoqués par la déforestation illégale. La situation est particulièrement critique dans les réserves indigènes, où la nature est davantage préservée, mais où les invasions de garimpeiros et madeireiros (coupeurs de bois) se sont multipliées ces dernières semaines. Les tribus, abandonnées à elles-mêmes, sont parfois obligées de prendre les armes et de se défendre seules contre les nouveaux assaillants. Début avril, des Indiens de la terre de Raposa Serra do Sol (Etat du Roraima) ont démantelé un campement de chercheurs d’or.
Far West
« Il n’y a plus aucun contrôle ! Déjà qu’en temps normal les envahisseurs n’ont pas peur de la police, alors là, avec le coronavirus et la !n des patrouilles, ils se sentent tout permis », témoigne Neidinha Surui, directrice de l’ONG Kanindé, qui se bat pour la défense des droits des peuples autochtones dans l’Etat amazonien du Rondônia – en particulier ceux de la terre Uru-Eu-Wau-Wau, abritant les dernières tribus isolées de la région. « On y a repéré autour de 400 hectares de forêt rasés ces dernières semaines. On a aussi vu des éleveurs larguer des semences d’herbe à vache sur le terrain déforesté depuis un hélicoptère pour faire des pâtures, sans aucune crainte d’être pris. Il n’y a plus de limite ! », témoigne Neidinha Surui.
Dans une Amazonie qui se transforme de plus en plus en Far West, la violence s’installe, à mesure que les pouvoirs publics s’en vont. Le 18 avril, c’est justement dans la région d’Uru-Eu- Wau-Wau qu’a été retrouvé le corps d’un jeune Indien de 33 ans, nommé Ari, assassiné et roué de coups, le long d’une route. Menacé de mort, ce dernier faisait partié d’un groupe de vigilance, veillant sur la terre de la tribu. Il n’est pas le premier à trouver la mort depuis le début de l’épidémie : le 31 mars, c’était Zezico Rodrigues, leader de la tribu Guajajara dans l’Etat du Maranhao, qui perdait la vie. Cernée par la déforestation, sa réserve d’Arariboia est l’une des plus menacées du pays.
Le Monde/23 avril