Suscité par une pétition citoyenne réclamant d’interdire le déterrage du blaireau et la vénerie, le rapport d’information du Sénat a modifié les témoignages recueillis. Pour les mettre à la sauce grand veneur.
Faut-il, ou non, déterrer les blaireaux pour les éliminer ? Le Sénat s’est penché cette année sur cette pratique de chasse particulière. Elle consiste à utiliser des chiens pour acculer les mustélidés au fond de leur antre souterrain, puis à creuser pour les attraper sous terre à l’aide de pinces… L’animal n’étant pas comestible, les équipes de vénerie s’adonnent surtout à l’exercice pour se distraire ou s’entraîner, souvent hors saison de la chasse grâce à l’obtention de périodes dites « complémentaires », entre mai et septembre. Mais cette habitude ne plaît pas à tout le monde : alors que 83 % des Français sont contre selon un sondage Ipsos, l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS) a lancé une pétition sur le site du Sénat, déclenchant une enquête sur le sujet. Ou du moins, une sorte d’enquête.
Depuis 2020, la chambre haute propose aux citoyens d’initier des pétitions sur sa propre plate-forme. Si elles récoltent plus de 100.000 signatures, l’assemblée s’engage à traiter le dossier. C’est ce qui s’est passé sur le déterrage des blaireaux. Comme le texte de l’ASPAS a obtenu 104 745 signatures, le Sénat a lancé un débat sur la question – à laquelle il a joint une autre problématique autour de la chasse à courre — et un rapport d’information a ensuite été lancé. Seulement voilà, à écouter divers acteurs consultés, il faut espérer que les pétitions citoyennes ne débouchent pas toutes sur un tel travail parlementaire : auditions biaisées, erreurs, caviardages de témoignages… Le texte, confié à un sénateur pro chasse de la Commission des Affaires Économiques, Pierre Cuypers, aurait été orienté. Son contenu ne serait « pas très objectif » assure ainsi en privé le président de l’Office Français de la Biodiversité, Olivier Thibault. « On est sortis ulcérés de notre audition, parce que le sénateur ne connaissait pas le sujet, souffle Coline Robert, avocate de l’ASPAS,
jugeant le texte « mensonger et malhonnête ». « Les personnes qui ont été auditionnées étaient majoritairement du côté des chasseurs » ajoute Manon Delattre, juriste de l’association. Au total, 20 personnes ont participé aux auditions lors de 9 rencontres, dont 6 chasseurs et un anthropologue pro chasse.
L’ASPAS n’est pas la seule à tempêter : plusieurs experts consultés reprochent à Pierre Cuypers de ne pas avoir respecté le sens de leur propos. « Le rapport a été confié à un élu pro chasse, c’était déjà un parti pris. Le problème, c’est qu’on s’aperçoit maintenant que les contributions ont été manipulées ! accuse Yves Vérilhac, ancien directeur général de la Ligue Pour les Oiseaux. Ce n’est pas digne d’un élu de la République, et c’est un manque de respect envers les citoyens qui ont signé cette pétition. »
Source : L’informé; Photo : Jeremy – stock.adobe.com
Le point de vue d’Yves Vérilhac : Le Sénat, les blaireaux et la démocratie
Nous avons été nombreux à saluer la volonté d’ouverture démocratique du Président du Sénat lorsque, en janvier 2020, il a donné la possibilité aux citoyens français de saisir cette assemblée sur un sujet qui leur tient à cœur. Il s’agissait, je cite, « de revivifier le droit de pétition et faire plus de place à la démocratie participative. La plateforme permet notamment de soumettre aux sénateurs une proposition de loi ou de la soutenir ». Il ne s’agissait rien de moins que de « revitaliser la démocratie ».
Ainsi saisie, la conférence des présidents décide de la suite à donner aux rares pétitions qui arrivent à franchir le cap des 100.000 signatures dans un délais de six mois. Elle peut de ne pas en tenir compte sans autre justification, proposer un texte, ou créer une commission dédiée.
Quatre ans après, il est normal de s’intéresser au bilan de cette initiative a priori généreuse. Combien de textes votés, de rapports rendus, et sur quels sujets ? Quelle répartition entre les sujets de société, l’environnement, le travail, les services publics etc. ? Malheureusement le site dédié https://petitions.senat.fr/ ne permet pas de voir toutes les propositions de pétitions, le nombre atteint et la suite qui leur a été donnée. Tout au plus a-t-on accès à la soixantaine de pétition encore actives, totalisant chacune de 1 à 181 signatures maximum.
A titre d’exemple, le devenir de la pétition pour interdire le déterrage des blaireaux (vénerie sous terre) initiée par l’ASPAS et qui a recueilli 104.745 signatures entre le 30 mars et le 21 septembre 2022 est significatif. La Conférence des Présidents du 21 septembre 2022 a décidé de renvoyer cette pétition à la commission des affaires économiques. On peut s’interroger sur le choix de la commission du développement économique pour traiter d’un tel sujet plutôt que celle de l’aménagement du territoire et du développement durable ; et sur la décision de fermer la pétition.
L’internaute qui retrouve cette pétition sur le net grâce aux mots clés « pétition », « sénat » et « blaireaux » https://petitions.senat.fr/initiatives/i-1012?locale=fr n’a pas accès au rapport issu de la mission sénatoriale créée à cette occasion. Il lui faudra trouver une autre adresse https://www.senat.fr/rap/r22-470/r22-47010.html
Du reste, peut-être vaudrait-il mieux qu’il évite d’en prendre connaissance tant le rapport est subjectif, à charge contre tout idée de mettre fin à cette pratique d’un autre âge.
Le rapporteur n’a pas été choisi au hasard : il a par le passé soutenu la pénalisation fiscale des donateurs aux associations relayant les messages des lanceurs d’alerte, signé une tribune contre ceux qui critiquent la chasse, et une autre en faveur des chasses dites « traditionnelles » des oiseaux dont la glu, demandé inscription de celles-ci au patrimoine cynégétique national, voté pour la répression des obstructions à la chasse et des lanceurs d’alerte qui filment la réalité des élevages etc.
Un sénateur tellement engagé contre la cause animale qu’il recueille la note peu envieuse de 0,3/20 sur le site « les politiques et les animaux » https://www.politique-animaux.fr/pierre-cuypers
Pire encore, les sénateurs ont « mal compris » les spécialistes auditionnés pour l’occasion. Lorsque le représentant de la SNCF explique que « l’expérience (de création de terriers artificiels) est « difficilement reconductible », les sénateurs entendent que « La SNCF n’estime pas l’expérience reconductible. ». Lorsque l’Office français de la Biodiversité écrit que « l’état des populations de blaireau est actuellement favorable en France », les sénateurs entendent qu’elles « seraient en expansion ». Tandis que l’OFB estime que « Un report de la période complémentaire (pendant le sevrage des jeunes) pourrait permettre d’augmenter la proportion des jeunes sevrés et constituer un compromis. », le rapporteur comprend que « l’OFB et la FNC rejettent l’interdiction de toute chasse des juvéniles ». L’OFB cite des sources scientifiques sur le stress dû à la vénerie, le rapporteur écrit « quoiqu’il en soit, l’OFB a indiqué au rapporteur qu’il existait peu d’études sur le stress et l’éventuelle souffrance de l’animal chassé ».
L’ANSES est citée en référence pour justifier des risques de transmission de la tuberculose bovine. C’est oublier que l’ANSES écrit que » l’élimination préventive des blaireaux (et autres espèces sauvages) ne peut en aucun cas être justifiée au motif de la lutte contre la tuberculose ». Et jusqu’à découvrir grâce aux sénateurs zélés que les chiens de vénerie sont tellement bien traités qu’ils vont à la messe Saint-Hubert…