Biodiversité : « Il faut inscrire le putois sur la liste des animaux protégés »

A l’appel de la SFEPM – https://www.sauvonslesputois.fr/ -, face au déclin préoccupant des effectifs en France et parce que la protection de la biodiversité passe par des mesures concrètes, un collectif de scientifiques et de personnalités engagées demande dans une tribune au « Monde » la signature immédiate d’un arrêté ministériel protégeant cette espèce.

Tribune. Pourquoi le Royaume-Uni, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, l’Italie ou encore la Catalogne protègent à différents niveaux le putois d’Europe (Mustela putorius) ? Parce que sa sauvegarde est nécessaire, étant donné la baisse globale de ses effectifs en Europe de l’Ouest depuis plusieurs décennies.

En France, l’espèce est encore classée « susceptible d’occasionner des dégâts » – nouvelle dénomination des « nuisibles ». On lui reproche de consommer à l’occasion des couvées de perdrix d’élevage lâchées par millions pour la chasse ou de s’introduire parfois dans des poulaillers, ce qui est écologiquement anecdotique ou facilement évitable. Ce classement national est actuellement effectif dans seulement deux départements ; les putois y sont à ce titre piégeables, sans aucune raison scientifique.

C’est aussi largement le cas d’autres espèces indigènes comme la fouine, la martre, le renard ou encore le geai des chênes, mais à la différence de celles-ci, qui restent communes, le putois est dans une situation préoccupante.

L’agriculture intensive responsable

Le déclin de ses populations au niveau national est documenté depuis un rapport remis en 2017 par la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) au ministre de l’écologie de l’époque. Ce constat est officiellement confirmé la même année par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (désormais intégré à l’Office français de la biodiversité). Les causes identifiées de ce déclin sont essentiellement l’agriculture intensive, l’urbanisation, les collisions routières, les pathologies, les pollutions et enfin le piégeage volontaire ou accidentel dans des pièges destinés à d’autres espèces.

Notre demande d’inscrire le putois sur la liste des mammifères protégés, à chaque fois redéposée sur le bureau des différents ministres de l’écologie qui se sont succédé depuis quatre ans, est soutenue par toutes les instances scientifiques compétentes : le Museum national d’histoire naturelle ; le Conseil national de protection de la nature, qui a émis dès 2018 un avis favorable à l’unanimité concernant cette demande ; enfin le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui a écrit dès 2019 au ministre de l’écologie de l’époque pour lui demander de prendre un arrêté en ce sens.

Bérangère Abba, secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, a évoqué en 2020 l’hypothèse que le statut « nuisible » du putois soit réexaminé en 2022, sans aucun engagement sur l’obtention d’un statut « protégé ». Ces paroles positives sont absolument insuffisantes.

Pour les chasseurs, un symbole

Pourquoi la France ne protège pas cette espèce, alors que tous les arguments scientifiques sont réunis ? Il semble que le blocage soit strictement politique et lié au lobby de la chasse. Espèce chassable, le putois n’intéresse pourtant pas les chasseurs au quotidien ; les putois tués le sont par opportunité lors de la traque d’autres gibiers. L’opposition des représentants du monde de la chasse tient surtout pour eux du symbole, refusant qu’on retire un nom à la liste des 90 espèces de gibier.

La protection réglementaire du putois permettrait non seulement de sauver chaque année plusieurs milliers de putois actuellement tués par piégeage ou chasse, mais aussi et surtout la mise en œuvre de programmes de conservation passant par la restauration de milieux naturels, la création de passages à faune sous les routes et autres actions proposées dans un plan national de conservation remis en 2021 par la SFEPM au ministère. Pour ce faire, il ne manque plus qu’une décision ministérielle protégeant cette espèce, dans l’intérêt général et sans que personne ne soit lésé.

Premiers signataires de la tribune : Isabelle Autissier,présidente d’honneur du WWF France ; Laurent Ballesta,photographe naturaliste et biologiste ; Yann Arthus-Bertrand, photographe, président de la fondation GoodPlanet ; Aurélien Barrau, astrophysicien ; Allain Bougrain Dubourg,président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Marc Giraud, porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages ; Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l’environnement ; Baptiste Morizot, enseignant-chercheur en philosophie ; Vincent Munier, photographe nature ; Matthieu Ricard, docteur en génétique cellulaire, moine bouddhiste ; Cédric Villani,mathématicien, député (non inscrit) de l’Essone.