Illustration Philippe Guerlet
Pour les mers et les océans en revanche, la cible des 10 % fixée en 2010 par la communauté internationale n’a pas été atteinte. Et les indicateurs manquent encore pour évaluer précisément la qualité de la gestion de ces espaces préservés.
Il faut, pour une fois, regarder le verre à moitié plein : la communauté internationale a tenu l’une de ses promesses en matière de protection de la biodiversité. Comme elle s’y était engagée en 2010, la superficie des aires protégées s’est largement étendue, pour couvrir au moins 17 % des terres. C’est ce que confirme le rapport final sur le sujet publié mercredi 19 mai par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
« Bien que les données disponibles ne montrent qu’une couverture de 16,64 % des zones terrestres et des eaux intérieures, il est clair qu’avec de nouvelles mises à jour, l’objectif de couverture de 17 % sera dépassé », précise-t-il.
Pour les mers et les océans en revanche, la cible des 10 % n’a pas été atteinte. Au cours des dix dernières années, la superficie des aires marines protégées a toutefois également largement progressé, pour atteindre près de 8 %.
Il y a une dizaine d’années, réunis à Nagoya, au Japon, à l’occasion de la Conférence des parties (COP) de la convention sur la diversité biologique, les dirigeants de la planète adoptent vingt objectifs de protection de la nature, baptisés « objectifs d’Aichi ». La cible n° 11 vise à accroître la surface des aires protégées et conservées : à l’époque, elles n’englobent que 10 % des terres et 3 % des mers. Depuis, près de 21 millions de kilomètres carrés – soit une superficie supérieure à celle de la Russie – ont été ajoutés au réseau mondial. Celui-ci couvre aujourd’hui 22,5 millions de kilomètres carrés de terres et 18,8 millions de kilomètres carrés de mers, soit une hausse de 42 % en une décennie.
Malgré ces progrès, les Nations unies ont dressé, en septembre 2020, le constat d’échec de la décennie d’Aichi, aucun des vingt objectifs n’ayant été totalement atteint.
Pour les dix prochaines années, les ambitions mondiales doivent être approuvées lors de la COP15 prévue en octobre à Kunming, en Chine. Une coalition d’Etats plaide pour que soit adopté à cette occasion le principe de protéger 30 % de la surface terrestre d’ici à 2030. Dans ce contexte, ce rapport de l’UICN et du PNUE se veut un outil pour « prendre des décisions éclairées sur la meilleure façon de sauvegarder la biodiversité », en dressant le bilan de la décennie écoulée.
« Tracer une ligne sur une carte ne suffit pas »
Pour James Hardcastle, le directeur du programme liste verte de l’UICN, la leçon principale à en tirer est évidente : il faut « regarder au-delà du pourcentage ». « Ce chiffre est important, car il est une source de motivation et peut être facilement mesuré, mais tracer une ligne sur une carte ne suffit pas, explique-t-il. Il faut aussi que l’aire protégée soit efficace et bien gérée, avec une gouvernance de qualité. »
A l’échelle de la planète, les indicateurs manquent pour qualifier précisément la qualité de la gestion des aires protégées : moins de 19 % d’entre elles l’ont mesurée. Mais l’exemple des 252 sites du patrimoine mondial de la nature en donne une idée. Ces lieux, parmi les plus précieux de la planète – tels que la Grande Barrière de corail en Australie, le mont Etna en Italie ou la chaîne des Puys en France –, sont régulièrement évalués. Or, depuis 2017, davantage d’entre eux ont vu leurs perspectives de conservation se dégrader plutôt que s’améliorer. Et moins de la moitié de ces sites sont conservés de façon efficace.
« La cible d’Aichi n’incluait pas de bonne définition de l’efficacité d’une aire protégée,ajoute James Hardcastle. A quoi ressemble un aire efficiente ? Qu’est-ce qui doit être fait ? A l’UICN, nous avons développé une définition, un “standard”, qui est celui de la liste verte. Nous pensons qu’un standard similaire devrait être adopté lors de la COP15. »
Avec la liste verte, un label lancé en 2012, l’UICN recense les zones dont la gestion est efficace pour la sauvegarde des espèces, et dont la gouvernance est juste et respecte les droits des différentes parties. Ses critères sont universels et fonctionnent pour tout type d’espace protégé. « Concevoir et comptabiliser les aires protégées ne suffit pas,insiste Neville Ash, le directeur du Centre de surveillance de la conservation de la nature du PNUE. Elles doivent être gérées efficacement et gouvernées de façon équitable pour assurer un avenir meilleur aux peuples et à la planète. »
Les nouvelles aires protégées devront être également placées « au bon endroit ». Le réseau mondial est plus représentatif qu’il y a dix ans des différents types d’écosystèmes : 44 % des 821 écorégions terrestres – des zones écologiquement homogènes en termes d’habitat et d’espèces – atteignent l’objectif de 17 %, et 47 % des 232 écorégions marines atteignent celui de 10 %. Pourtant, un tiers des zones les plus importantes en termes de biodiversité ne bénéficie toujours d’aucune protection.
Les aires protégées doivent aussi être mieux reliées entre elles, une dimension cruciale pour permettre aux espèces de se déplacer et maintenir les processus écologiques. Si des progrès ont été faits, moins de 8 % de la surface terrestre mondiale sont à la fois protégés et connectés.
« La crise s’accélère »
Ce rapport insiste également sur l’importance de mieux identifier et soutenir les « autres mesures de conservation efficaces par zone » (AMCE) : cette appellation compliquée désigne les espaces situés en dehors des réseaux d’aires protégées nationaux et régionaux, mais qui contribuent à une conservation efficace.
Ce sont, par exemple, des territoires où vivent des peuples autochtones ou des terrains militaires laissés à l’abandon. Définis formellement depuis 2018, ils ne sont pour l’instant répertoriés que dans cinq pays et territoires. Ils pourraient toutefois jouer à l’avenir un rôle important, en diversifiant les formes de gouvernance et en mettant l’accent, une fois encore, sur l’efficacité.
Les aires protégées demeurent l’un des piliers des politiques de conservation de la nature. De plus en plus étendues, elles n’ont pourtant pas réussi ne serait-ce qu’à freiner l’érosion de la biodiversité. Nombre d’acteurs soulignent que seule une approche intégrée, combinant des mesures de protection ambitieuses et une transformation profonde des modes de production et de consommation, permettra d’inverser la tendance.
« Oui, la crise s’accélère, mais s’il n’y avait pas d’aires protégées, la situation serait dix fois pire, rappelle James Hardcastle. La situation ne s’aggrave pas à cause des aires protégées mais parce que nous n’en avons pas assez.