Après une semaine de discussions, les délégués de 130 pays et l’IPBES, vont émettre un rapport préoccupant sur le déclin de la biodiversité. L’écho de cette alerte sera pourtant très limité, comme toutes les précédentes sur ce sujet ineffable et pourtant fondamental.
Lundi 29 avril, de nombreux médias (par exemple cet article du Monde) ont relayé l’information : l’IPBES (Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) réunis ses experts et les délégués de 130 pays pendant une semaine à Paris au siège de l’Unesco. Leur objectif est de faire signer un rapport dressant un bilan mondial de la biodiversité et son évolution lors des 15 dernières années, afin d’alerter sur l’accélération de son érosion et préparer le terrain à des rendez-vous politiques. Les conclusions sont déjà connues et exposées dans ces mêmes médias : la disparition du vivant s’accélère au point de parler de « sixième extinction de masse des espèces« . L’organisme cherche à créer une dynamique telle que celle sur le climat qui – à défaut d’inflexion majeure des politiques – est parvenu à se faire une place sur le devant de la scène politico-médiatique.
Pourtant, à part quelques convaincus, les alertes répétées sur ce sujet n’émeuvent ni les responsables politiques, ni le grand public. Comme l’avait très bien résumé Nicolas Hulot : la biodiversité, « tout le monde s’en fiche« . La petite phrase avait fait grand bruit en son temps… mais plus quant au devenir de l’ex-ministre de la transition écologique qu’au sujet de fond.
On peut se demander pourquoi ce sujet primordial peine à se faire entendre. Il est intrinsèquement complexe d’un point du vue scientifique (encore plus que le climat), et nécessite une certains compréhension des mécanismes du vivant et de l’histoire géologique de la Terre pour en percevoir la portée (si on considère qu’un être humain, aussi expert soit-il, puisse la saisir).
Pour décrire un phénomène, la méthode scientifique consiste à adopter une démarche sceptique, un langage rigoureux et neutre. Or cette approche indispensable à l’élaboration de la connaissance scientifique va à l’encontre des messages percutants requis par les médias dominants; l’audiovisuel et encore davantage les réseaux sociaux fonctionnent sur un temps court et une profusion de l’information. Un article paru en 2016 dans le Monde est un cas d’école : il y décrit des « agrégats » de cas « d’agénésie de membres supérieurs« . Cet article, pourtant très sérieux, est passé inaperçu à l’époque. L’affaire n’éclatera dans la sphère médiatique que deux ans plus tard avec un terme plus explicite : « les bébés sans bras« .
Pour capter l’attention du public sur le sujet de la biodiversité, l’approche la plus ressassée est la mise en avant d’espèces emblématiques de la faune sauvage. Qu’il s’agisse de rhinocéros, de loutres, d’ours polaires ou du panda devenu le symbole de l’association WWF, les images attachantes de ces animaux en danger suscitent l’émotion. Efficace jusqu’à un certain point, cette stratégie n’en a pas moins ses répercutions négatives. Elle rabaisse la biodiversité à sujet secondaire, à l’ordre de l’accessoire, du « musée »; elle s’adresse d’ailleurs bien trop souvent aux enfants (alors que la « science économique » ne s’adresse elle qu’aux adultes !). Cette focalisation sur des espèces emblématiques amène au mieux à des réponses circonscrites au seul cas exposé (comme des programmes de préservation ou de réintroduction), au pire à des postures d’acceptation (« les ours polaires disparaissent… dommage, mais en quoi est-ce grave ? »). De plus, elle est impossible à transposer à la plupart des espèces en danger; il est trop difficile de susciter la compassion pour les espèces d’insectes et de crapauds méconnus de l’autre bout du monde, et encore moins pour une herbe ou un champignon…
Depuis quelques temps, des termes scientifiques « chocs » émergent du brouhaha médiatique et permettent de mieux rendre compte de la gravité de la situation. Nous parlons d’Anthropocène (une nouvel ère géologique) et de 6ème extinction des espèces (causée par l’Homme). Ces concepts funestes sont éloquents pour les initiés, mais il est fort probable qu’ils restent insuffisants à sensibiliser le grand public. Car parler de 6ème extinction signifie qu’il y a eu d’autres extinctions, et donc sous-entend que nous y aurions survécu. Dans notre champ médiatique de l’instantané, la 6ème extinction se télescope avec la 5ème République, avec la 3ème grande crise économique depuis 1900, avec le web 3.0, l’acte 24 des gilets jaunes, ou la 21ème coupe du monde de football remportée par l’équipe France, … Tout comme pour le réchauffement climatique, les sceptiques de la biodiversité ne manqueront pas de dire que la Terre a déjà connu des périodes plus chaudes, qu’elle a connu d’autre extinctions, alors pourquoi s’en inquiéter ? Et d’ailleurs en sommes-nous vraiment responsables ?
S’il était nécessaire de le rappeler, les précédentes comparaisons sont illusoires, car elle ne se situent pas sur la même échelle de temps. Les 5 grandes extinctions qui ont marqué l’histoire de notre planète ont eu lieu il y a des millions d’années. La dernière en date il y a 65 millions d’année, quand la chute d’une météorite géante a probablement entraîné la disparition de 70% des espèces vivantes (dont les dinosaures). Si l’on ramenait cette durée de 65 millions d’années à une échelle d’un an, les premiers hominidés ne seraient apparus que le 11 novembre (il y a 7 millions d’années), homo sapiens le 31 décembre vers 9h00 (il y a 100 000 ans), l’écriture inventée à 23h15 (il y a 5500 ans), la 5ème République promulguée après 23h59… Donc aucun homme, aucune société, aucune civilisation n’a jamais connu un tel épisode, et n’en connaîtra aucun autre. La vie retrouvera son foisonnement c’est certain, peut-être en février (dans quelques millions d’années).
Impossible équation à résoudre que d’exposer la gravité de la situation sans abandonner une lucidité et une rigueur scientifique indispensables pour être pris au sérieux. Les « lanceurs d’alertes » doivent néanmoins apprendre à développer un langage plus explicite, à appeler un chat un chat, à employer un parler vrai. L’érosion de la biodiversité, la 6ème extincition et l’Anthoropocène ne sont ni plus ni moins qu’une agression contre la nature, une destruction de la vie sur Terre. L’enjeu est aujourd’hui de décider si cette destruction sera ou non un anéantissement emportant avec lui l’espèce humaine.
Enfin, ultime écueil pour la cause de la biodiversité, et non des moindres : il exige une profonde remise en cause de ce que nous sommes. Il n’existe pas de solution unique (même en apparence) car les causes de la perte de biodiversité sont multiples et cumulatives : destruction et morcellement des habitats, pollutions diverses, espèces invasives, réchauffement climatique, etc… Nombre de nos « solutions » ont un revers de médaille parfois pire que le gain escompté comme ce projet de centrale solaire géantesur la plateau du Larzac ou les agrocarburants. Pour le dire sans détour, toute activité humaine impacte négativement la biodiversité, et l’ont peut remonter très loin ce « péché originel », jusqu’au paléolithique avec la disparition de la mégafaune sur la plupart des continents.
Il ne faut pour autant sombrer ni dans un relativisme absolu (car bien qu’ancienne la perte de biodiversité s’accélère à un rythme exponentiel), ni dans des thèses misanthropiques et funèbres « anti-humaines ». Les espèces disparues le sont à jamais (laissons Jurassic Park au rayon de la science-fiction), la 6ème extinction a déjà lieu et ne pourra pas être effacée, mais les ressources de la nature sont telles qu’ils reste un espace pour que l’Homme trouve enfin une situation d’équilibre avec son environnement, avec le reste du vivant. La climat – lui-même irrémédiablement altéré, mais qu’il reste possible de contenir à un niveau non-apocalyptique – n’est qu’une des facettes de cette crise de la vie sur Terre. Nous devons cesser d’exploiter la nature et (ré)-apprendre à vivre avec elle, retrouver le sens premier de l’écologie (science qui étudie les relations entre les êtres vivants et leur milieu) et en faire le point central de toute société, de tout politique.