Dans un ouvrage rafraîchissant, le biologiste Hervé Le Guyader explore ce concept complexe et explique comment nous pouvons encore, mais urgemment, agir pour sa préservation.
«Le pire n’est pas obligatoirement à venir.»
En ces temps catastrophistes où biodiversité rime avec fatalité, Hervé Le Guyader, professeur émérite de biologie évolutive à Sorbonne Université, fait le «pari de l’espoir» et livre ses réflexions dans un petit livre à l’«optimisme mesuré» (1). Le scientifique s’attache d’abord à bien définir le concept complexe de biodiversité, apparu il y a une trentaine d’années. L’une des définitions les plus justes et compréhensibles à ses yeux est celle du biologiste américain Edward O.Wilson, selon qui «c’est toute la variété du vivant étudiée à trois niveaux : les écosystèmes, les espèces qui composent les écosystèmes, et enfin les gènes que l’on trouve dans chaque espèce».
Gènes oubliés
Las, déplore Hervé Le Guyader, nous ne parlons plus que d’écosystèmes et d’espèces et nous oublions les gènes, alors qu’il s’agit pourtant de l’un des éléments clés de la biologie et que les trois niveaux de la biodiversité (gène, espèce, écosystème) sont en interaction constante. Pour preuve, le biologiste cite quelques exemples frappants. Le cabillaud de la mer Baltique a ainsi réagi à la surpêche, la disparition de sa nourriture et la prolifération de prédateurs et de parasites en évoluant en un temps record : alors qu’il y a une trentaine d’années, ces poissons devenaient sexuellement viables lorsqu’ils atteignaient 30 cm de long, ils le sont aujourd’hui à 20 cm ! «Ce qui s’est passé au niveau de l’écosystème retentit au niveau du gène», résume Hervé Le Guyader. Lequel, outre l’étymologie et la biologie, convoque aussi de manière très intéressante dans son ouvrage l’anthropologie, l’ethnologie, les racines de la culture, la neurophysiologie humaine, l’espace et le temps.
Le temps du vivant
Publications récentes à l’appui, il soutient que non, «nous ne sommes pas encore dans la sixième extinction» de masse. Celle-ci est confondue avec la dynamique qui précède ces extinctions, et qui est bien archi-actuelle : la chute drastique des populations constituant une espèce, comme c’est le cas de façon spectaculaire en Europe pour les insectes ou oiseaux. Pas question pour autant de regarder le monde se consumer les bras ballants. Car cette extinction de masse «n’est pas loin ! Elle pourrait avoir lieu dans cinq à vingt-trois siècles. A l’échelle géologique, c’est maintenant ; à l’échelle humaine, cela laisse du temps pour agir». Et il faut le faire «immédiatement, de manière active».
Comment ? L’auteur n’entend pas ici livrer de vade-mecum de la protection de la biodiversité, puisqu’«on sait où et comment agir : arrêter la destruction des habitats naturels et la surexploitation des ressources vivantes, lutter contre la pollution, les espèces invasives et le réchauffement climatique». Citant notamment l’écrivain Romain Gary, le philosophe Michel Serres ou le philologue Heinz Wismann, il préfère proposer une approche psychologique. Une «manière de vivre» qui ne soit plus guidée par la seule satisfaction immédiate de tous ses désirs, mais par le temps long, le temps du vivant, l’ouverture à soi-même et, partant, aux autres, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux. La vraie question, dit-il, n’est pas «comment l’homme va-t-il sauver la nature ?» mais plutôt «comment l’homme peut-il s’ouvrir à la nature ?». Inspirant.
Coralie Schaub/Libération, 17 février
(1) Biodiversité, le pari de l’espoir de Hervé Le Guyader, Le Pommier, 156 pp., 16 euros.
Photo d’illustration Photo Getty Images