Biodiversité : protéger 30 % de la planète… quid des 70 % restants ?

D’ici la fin 2022 se tiendront à Kunming, dans le sud de la Chine, les négociations finales pour établir la nouvelle stratégie mondiale de protection de la biodiversité à l’horizon 2030. Ce moment décisif réunira les différents gouvernements signataires de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, soit 196 États Parties et l’Union européenne.

À l’instar des COP pour le climat, il s’agira d’examiner lors de cette rencontre les progrès accomplis, d’établir des priorités et de décider les plans de travail dans un contexte où tous reconnaissent que la dégradation des écosystèmes est en grande partie imputable aux activités humaines ; la communauté scientifique et les ONG influenceront fortement ces négociations.

La mesure phare de cette nouvelle stratégie mondiale, formulée dès 2020, concerne l’établissement de 30 %, voire 50 %, d’aires protégées dans le monde, incluant si possible au moins 10 % de zones sous protection dite « forte ».

Retour sur la conférence de Nagoya de 2010

Ce nouveau cadre prendra la suite de celui adopté à Nagoya en 2010 et caractérisé par 20 objectifs dits d’Aichi, visant la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité à l’horizon 2020.

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Le constat scientifique et politique du cadre de Nagoya est sans appel : sa mise en œuvre a été un échec presque total. Le seul objectif relativement atteint concerne la surface d’aires protégées à l’échelle planétaire : 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures et 10 % des zones marines et côtières. Pourquoi cet objectif, et uniquement lui, a-t-il été atteint ?

Détail des 20 objectifs d’Aichi. United Nations

Les aires protégées tout en haut de la liste

Cet objectif était l’un des plus précis et mesurables du cadre mondial adopté à Nagoya. La communauté de la conservation de la nature était d’autre part déjà bien organisée depuis des années pour pouvoir créer et gérer de nouvelles aires protégées.

Cet objectif a profité d’un véritable « modèle d’affaires » dans ce domaine, liant différents acteurs aux intérêts écologiques (mettre la nature à l’écart des pressions humaines contribue à la préservation de la biodiversité), politiques (créer des aires protégées est un acte politique aisément communicable) et financiers (des organisations variées font vivre une économie de la conservation allant des bailleurs de fonds aux ONG en passant par les administrations bénéficiaires et les communautés concernées).

Pour la période 2010-2020, il n’est pas aisé de savoir quelle part de l’investissement et quelle mobilisation des acteurs ont été concentrées sur cet unique objectif d’accroissement de la surface d’aires protégées. Mais cet effort a été certainement beaucoup plus important que celui consacré aux autres objectifs d’Aichi.

Au moins 30 % des terres et 30 % des océans

Il est raisonnable de croire que protéger strictement une partie de la planète préservera au minimum une partie de sa biodiversité. Cette vision n’est pas universellement partagée, notamment par les peuples autochtones et les communautés locales qui concilient bien souvent biodiversité et production agricole.

Cette vision est très liée à l’approche historique étasunienne de la protection d’une nature sauvage mise sous cloche, comme dans les grands parcs de l’Ouest américain… même si les États-Unis d’Amérique sont le seul pays à ne pas être négociateur du futur accord mondial, les États-Unis et le Vatican n’étant pas des « parties » signataires de la Convention sur la diversité biologique.

Carte présentant la répartition des aires protégées au niveau mondial. Actuellement, plus de 22,5 millions de km² sur terre et 28 millions de km² en milieux marins et côtiers sont aujourd’hui protégés. protectedplanet.org, CC BY-NC-ND

Rappelons l’objectif phare de l’actuelle négociation : protéger au moins 30 % des terres et au moins 30 % des océans d’ici 2030. Ce but est également devenu le principal objet de la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples, coprésidée par le Costa Rica, la France et le Royaume-Uni, et lancée à Paris le 11 janvier 2021 lors du One Planet Summit sur la biodiversité.

Se focaliser sur les aires protégées… une fausse bonne idée ?

Même si l’expansion des aires protégées constitue un instrument essentiel des politiques de protection de la biodiversité, il est avéré que des « niveaux élevés d’ambition pour la conservation et la restauration de la biodiversité […] ne peuvent être atteints sans changements transformateurs ».

De tels changements sont sans doute bien plus complexes et difficiles à affronter politiquement et économiquement que la création d’aires protégées. Il s’agit, selon l’IPBES (la plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) dans son évaluation mondiale de 2019 :

« d’une réorganisation fondamentale à l’échelle du système à travers les facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris les paradigmes, les objectifs et les valeurs, nécessaires à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité, au bien-être humain à long terme et au développement durable. »

Des facteurs de dégradation bien identifiés

Le texte en négociation pour ce nouveau cadre mondial de la biodiversité qui devrait donc être finalisé en 2022 soutient ces changements transformateurs, alors que certains États témoignent au contraire de leurs intérêts pour le status quo.

Comme dans le cadre précédent, les aires protégées sont loin d’être l’unique objectif identifié. Et l’amplitude des efforts et des moyens à mettre en œuvre pour l’ensemble de ces objectifs est essentielle, puisqu’ils sont tous interconnectés.

Or se mobiliser ou financer principalement les aires protégées détourne le regard des défis essentiels à relever.

Les scénarios d’évolution proposés par la dernière évaluation mondiale de la biodiversité montrent ainsi que si les objectifs de conservation de la nature et de restauration des écosystèmes ne sont pas combinés à d’autres actions concrètes visant des changements transformateurs, les tendances actuelles à la dégradation de la biodiversité se poursuivront.

Des actions concrètes complémentaires doivent notamment cibler les cinq principaux facteurs directs de dégradation identifiés par l’IPBES dans son évaluation mondiale de 2019 : les changements d’usage des terres et de la mer ; l’exploitation directe de certains organismes ; le changement climatique ; la pollution ; les espèces exotiques envahissantes.

Chaque heure, 11 hectares de sols disparaissent en Europe du fait de l’expansion urbaine. Shutterstock

Transformer le système économique mondial

On le comprend aisément, le prochain cadre mondial de la biodiversité doit aussi concerner les 70 % de zones non protégées.

L’enjeu réside dans notre capacité à transformer le système économique vers des productions plus durables de biens et de services, tout particulièrement pour les denrées alimentaires ; à réduire la consommation, les déchets et le gaspillage ; à accompagner les transitions écologiques des systèmes agroalimentaires et celles des villes avec des infrastructures plus vertes ; à réduire les pressions sur les écosystèmes d’eau douce…

 

En un mot, à se mobiliser énergiquement sur le second objectif de la Convention sur la diversité biologique visant « l’utilisation durable » de la biodiversité.

Les évaluations faites sur les besoins financiers pour mettre en œuvre ce nouveau cadre mondial estiment qu’environ 20 % seulement des efforts devrait être consacré aux aires protégées. L’essentiel doit donc être investi pour stopper et/ou transformer les activités et pratiques non durables, et pas essentiellement sur la conservation directe de la nature.

Oser investir dans des changements transformateurs

L’évaluation mondiale de 2019 d’IPBES a évalué que 80 % des Objectifs de développement durable pour 2030 pourraient ne pas être atteints si la dégradation de la biodiversité se poursuit.

À côté des intérêts divergents, il existe aussi des intérêts communs qui pourraient permettre d’avancer vers une trajectoire plus juste et durable. Les négociateurs du cadre mondial pour la biodiversité sont notamment confrontés à la question des subventions – quelque 475 milliards d’euros par an – visant à soutenir des activités néfastes à la biodiversité dans le domaine agricole, celui de la foresterie ou celui des pêcheries.

Ces subventions néfastes pour la biodiversité mettent en évidence l’incohérence des politiques publiques et soulignent le besoin de dépasser les approches sectorielles. Il est ainsi urgent de stopper et de rediriger ces flux financiers afin d’accompagner les transitions des secteurs d’activités actuellement problématiques et non durables.

Cohabiter la Terre

La manière dont les humains se conduisent donne l’impression qu’ils sont en guerre contre la planète et l’ensemble des autres espèces vivantes. Et, d’une certaine manière, à moyen et long terme, en guerre contre eux-mêmes. La vision politique à 2050du nouveau cadre mondial pour la biodiversité est pourtant celle de… « vivre en harmonie avec la nature ».

Au moment où les négociations internationales pour la biodiversité se finalisent, il est donc urgent de se focaliser tout autant sur ces « 70 % restants ».

Source : The Conversation