Il est toujours désagréable d’être rappelé à ses responsabilités et à faire cesser ses mauvais comportements … C’est probablement la raison pour laquelle il a été si difficile de faire admettre la réalité de la crise du climat. Tant d’années de déni sur le rôle de nos émissions de gaz à effet de serre pour en arriver encore aujourd’hui à des discussions interminables sur les manières de pratiquer une indispensable sobriété ! Les expertises scientifiques collectives des plateformes internationales comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ont joué un rôle majeur dans cette prise de conscience et cette acceptation : quand l’ensemble de la communauté scientifique s’accorde sur le constat de la crise et de ses causes grâce à l’analyse de toutes les recherches publiées et validées par les pairs, il devient difficile de nier ou de prétendre le contraire ! Certes, une minorité s’essaie toujours à cet exercice de déni par obstination ou par intérêt immédiat mais il n’est vraiment plus politiquement correct de nier le réchauffement et ses causes.
En ce qui concerne la crise de la biodiversité, nous en sommes pourtant encore loin : pourquoi est-il donc encore politiquement acceptable d’être biodiversité-sceptique, de nier l’ampleur de la crise, de ses causes, de ses conséquences, ou de l’impossibilité d’y suppléer technologiquement, malgré les analyses détaillées de la plateforme intergouvernementale IPBES sur la biodiversité ? Pourquoi les analyses scientifiques sur la crise de la biodiversité sont-elles souvent perçues à tort comme si elles étaient inspirées par une doctrine militante ou politique saugrenue ?
La biodiversité, un jeune concept en quête de reconnaissance
Probablement parce que le concept de biodiversité n’est pas compris ou accepté par tous. Créé il y a à peine cinquante ans, il avait pour but de nous faire prendre conscience que les différences entre individus, espèces ou écosystèmes sont souvent aussi importantes sinon plus que leurs points communs. Si l’on observe une abeille sur une fleur, on voit bien deux organismes très différents issus d’une évolution en interaction pendant 150 millions d’années. Chacun de ces partenaires a ses particularités, permettant à l’un de se nourrir de nectar et de pollen et à l’autre de se reproduire. C’est cela qui importe aujourd’hui, en matière de fonctionnement des écosystèmes ou de production alimentaire humaine ! De tels exemples de fonctions ou d’interactions se comptent par millions dans les écosystèmes et nous fournissent quotidiennement les myriades de services que nous considérons naïvement comme des dus, pour notre alimentation, notre santé ou la régulation climatique. Un éloge de la diversité en somme … incluant l’espèce humaine esseulée sur le magnifique piédestal où nous la plaçons, alors qu’elle est partie prenante de tous les écosystèmes.
Mais notre appréciation de la biodiversité est encore trop souvent limitée au plan culturel. Associé aux forêts tropicales, récifs coralliens et autres animaux charismatiques, le mot biodiversité n’évoque pas dans nos esprits les espèces que nous cultivons ou élevons, ou les pathogènes qui agressent notre corps. Un peu comme si les praticiens de l’agronomie ou de la médecine, par exemple, « manipulaient » un vivant particulier auquel ne s’appliquent pas les lois de l’écologie et de l’évolution ! Nous ignorons également superbement ce que nous ne percevons pas directement, qu’il s’agisse de la vie microbienne, de l’évolution biologique opérant au rythme lent des générations, ou des interactions entre organismes fugaces mais essentielles.
L’humain face à une sixième crise d’extinction
S’ajoutent en outre à cette inconséquence de multiples conflits d’intérêts que nos sociétés n’ont pas encore appris à traiter efficacement dans leurs procédures d’information ou de décision. Combien d’avis péremptoires ou de tentatives d’influence sont ainsi fallacieusement présentées comme le bon sens ou des nécessités socio-économiques, occasionnant de terribles conséquences pour l’humanité ?
La puissance de nos actions et leurs effets sur l’environnement deviennent dramatiques depuis l’époque moderne. Fiers de nos succès scientifiques (à juste titre !), nous pensons pouvoir maîtriser les conséquences de ces actions par une fuite en avant industrielle avec des externalités très négatives que nous n’imputons jamais au bilan de nos actions … Et nous provoquons la sixième crise d’extinction, mille fois plus rapide que les crises précédentes. Chaque année, nous faisons disparaitre les habitats par millions d’hectares (forêts, zones humides, mangroves, etc.), nous surexploitons, nous polluons, nous déréglons le climat et nous transportons des espèces exotiques, le tout à un rythme effréné, comme l’IPBES l’a analysé de manière synthétique en 2019
Les aléas issus de cette crise nous frappent de plein fouet : maladies émergentes, indisponibilité de l’eau, pollinisation insuffisante, infertilité des sols, et nous ne nous rendons même pas compte que les dégâts dans les écosystèmes en sont une cause fondamentale ! Nous n’avons pas conscience de l’énorme puissance de la biodiversité, liée à ses capacités biologiques de reproduction, de dispersion et d’évolution. Ces capacités nous desservent actuellement quand il s’agit d’espèces envahissantes ou d’organismes vecteurs. Mais nous pourrions pourtant les utiliser à notre avantage avec les solutions fondées sur la nature2, afin de remédier efficacement aux dommages causés, en protégeant ou restaurant les écosystèmes. Face à l’urgence, il incombe désormais à tous, élus, décideurs, gestionnaires ou citoyens, de prendre à notre compte les connaissances validées par la communauté scientifique. Nous sommes tous concernés mais nos actions ne seront efficaces qu’en connaissance – scientifique – de causes ! ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
À lire
Tout comprendre (ou presque) sur la biodiversité, CNRS Éditions, mai 2023. Vingt-trois conseillers scientifiques, écologues, évolutionnistes, économiste, juristes, géographe, anthropologues et philosophe ont apporté leur expertise, magistralement traduite de manière graphique par Claire Marc.