Une population de tortues mouchetées vivant en périphérie de la ville canadienne d’Ottawa a vu en dix ans son nombre d’individus baisser de 70%. La construction de routes ou de logements dans le territoire de ces reptiles seraient à l’origine de leur déclin. Les explications avec un spécialiste.
Maintenir l’urbanisation en équilibre avec le développement durable est un défi qui va prendre de plus en plus de place au fur et à mesure que les grandes villes s’étendent. Une étude, menée par des chercheurs canadiens de l’Université d’Ottawa, de Peterborough et Winnipeg et publiée dans la revue Animal Conservation le 22 septembre 2023, s’est intéressée à l’impact des projets urbains sur une population isolée de tortues mouchetées (Emydoidea blandingii) vivant en périphérie de la capitale canadienne.
Des promesses non tenues
Cette étude pointe du doigt les promesses faites lors de lancements de projets urbains, ici l’expansion de la promenade Terry Fox, une artère majeure à l’ouest de la ville, et le développement de deux zones résidentielles. En effet, la route coupe désormais en deux le territoire sur lequel les tortues sont installées et les quartiers résidentiels sont construits en plein cœur de la zone.
Pour compenser, l’installation de deux kilomètres de clôtures ainsi que de dix passages fauniques (passage permettant aux animaux de passer sur ou sous une zone aménagée par l’Homme sans avoir d’interaction avec ce dernier) furent réalisés, mais les résultats sont pour le moins mitigés. Gabriel Blouin-Demers, professeur de biologie à l’Université d’Ottawa (Canada) et un des auteurs de l’étude, révèle « [qu’] il pourrait y avoir de meilleures clôtures de déviation pour éviter la mortalité routière. Celles qui ont été mises en place sont mal conçues ».
« Les tortues sont très fidèles à leurs domaines vitaux année après année »
Cette fameuse avenue Terry Fox, qui a coupé l’aire de répartition de cette population de tortues en deux, a en fait créé deux sous-populations. « Il n’y a presque plus de mouvements entre les deux sites suite à la destruction de l’habitat. Donc, ce sont deux populations isolées maintenant », précise le chercheur. On retrouve donc au nord de la route une population vivant dans la forêt protégée de South March Highlands et au sud une zone humide importante, le Kizell Cell Wetland.
Les deux zones sont bordées de routes et de zones résidentielles, isolant d’autant plus ces tortues du monde extérieur. Cela influe fortement sur le taux de recrutement (arrivé de nouveaux spécimens dans la zone étudiée par immigration ou reproduction), déjà faible chez les tortues. « Le faible taux de recrutement est lié à la mortalité des femelles et au fait que les tortues sont très fidèles à leurs domaines vitaux (aires où un animal vit ordinairement et qui suffit à répondre à ses besoins primaires, ndlr) année après année, elles se déplacent donc peu », précise Gabriel Blouin-Demers.
Une population à l’agonie
Grâce à une surveillance de la zone sur 10 ans de ce groupe de tortues mouchetées, l’équipe de chercheurs a pu accumuler nombre de statistiques sur les individus présents dans cette population. Ainsi, parmi les 81 spécimens identifiés en 2010, 20% étaient encore juvéniles et 69% des adultes étaient des femelles.
En 2020, 24 individus ont pu être trouvés, 1,3% d’entre eux n’étaient pas encore à l’âge adulte et 50% étaient des femelles. On observe également une perte d’habitat de 10% sur la partie nord et 17% sur la partie sud du territoire entre 2012 et 2020. Enfin, une hausse de 40% d’espaces uniquement recouverts d’herbes et 131% de zones en développement. Des résultats catastrophiques, prouvant que la mise en place des mesures pour leur protection sont inefficaces.
Les femelles ne peuvent pas tout faire toutes seules
Le plus alarmant des résultats cités précédemment est peut-être la baisse en pourcentage du nombre de femelles, primordiales pour la survie d’une population pour laquelle le taux de recrutement est quasi-nul, surtout pour une espèce vivant si longtemps. De manière générale, les adultes sont protégés par leurs carapaces, mais, en cherchant des endroits où faire leur nid, les femelles se déplacent plus que les mâles et deviennent bien plus exposées à l’écrasement par des voitures ou à la prédation. Les nids étant plus faciles d’accès et plus visibles lorsqu’ils sont installés en bord de route.
Selon l’équipe, le développement urbain n’est pas compatible avec la survie d’une population viable de tortues à proximité et cette population court à sa perte. « Il est sans doute trop tard pour cette population. Elle est isolée et l’habitat est déjà perdu« , conclut tristement Gabriel Blouin-Demers.
Source : Sciences et Avenir