L’évolution des espèces est un processus lent qui s’étend sur de nombreuses années. Mais il arrive que certaines espèces parviennent à s’adapter rapidement. C’est le cas de la grenouille des bois.
Les amphibiens ont une peau poreuse et perméable, ce qui les rend sensibles à l’absorption des substances présentes dans leur environnement, comme le sel. Malheureusement pour eux, la salinisation des habitats aquatiques est un phénomène croissant à travers le monde. D’origine naturelle ou anthropique, elle affecte les écosystèmes d’eau douce, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour la faune et la flore.
Les grenouilles des bois, des amphibiens très résistants
Aux États-Unis, la hausse de la salinisation est principalement due à l’utilisation excessive de sels de voirie pour dégivrer les routes pendant l’hiver. Plus de 18 millions de tonnes de sels de déglaçage sont appliquées sur les routes chaque année. Ces sels s’écoulent ensuite vers les rivières et les étendues d’eau.
Parmi les espèces touchées, on retrouve les grenouilles des bois. Appelées Rana sylvatica ou Lithobates sylvaticus, ces petites grenouilles sont d’une nature très résistante.
Malgré leur capacité d’hibernation hors du commun, elles dépendent de l’eau douce pour leur survie et la présence de sel dans leur environnement peut avoir des effets mortels sur leur santé.
Des découvertes surprenantes sur la capacité d’adaptation des grenouilles
Une étude récente publiée dans la revue Ecology and evolution a révélé des découvertes surprenantes sur la capacité d’une population de cette espèce à s’adapter à la salinisation des eaux. Menée par une équipe de chercheurs du département de biologie de l’Institut polytechnique Rensselaer (Etats-Unis), l’étude a examiné neuf populations de têtards de grenouilles des bois, chacune prélevée dans des habitats avec différents niveaux de salinité.
L’étude a alors révélé que les grenouilles des bois provenant de l’étang avec la plus haute concentration en sel (744 mg/L) ont montré une tolérance significativement plus élevée au sel par rapport aux autres populations. Les grenouilles de cette population ont été en mesure de survivre 96 heures, soit deux fois plus longtemps que les autres populations étudiées.
« Dans notre étude, la concentration de sel la plus élevée a été observée dans une zone humide adjacente à un parking existant depuis 25 ans », explique Rick Relyea, professeur de biologie à l’Institut polytechnique Rensselaer, dans un communiqué. « Nous avons constaté qu’en l’espace de dix générations seulement, ces grenouilles des bois ont évolué vers une tolérance au sel beaucoup plus élevée. »
Toutes les grenouilles ne peuvent s’adapter
Mais même si ces résultats suggèrent que les populations peuvent évoluer pour s’adapter à des conditions environnementales changeantes, cela n’implique pas que toutes les grenouilles s’adaptent.
Les huit autres populations étudiées ont toutes sensiblement présenté la même résistance faible face à la dose de sel létale. Si l’étude démontre que les grenouilles sont capables d’évoluer en peu de temps, elle n’indique pas qu’elles évoluent proportionnellement à la concentration de sel dans laquelle elles vivent. Ce qui veut dire que l’évolution biologique n’est pas systématique. Les chercheurs avancent d’ailleurs l’hypothèse qu’il pourrait y avoir un certain seuil de pollution au chlorure de sodium nécessaire pour que les grenouilles des bois s’adaptent.
Bien sûr, ce n’est pas parce que les grenouilles réussissent à s’adapter que c’est un feu vert pour déverser plus de sels. Le professeur Rick Relyea rappelle que « si ces résultats montrent que certains amphibiens peuvent s’adapter rapidement à certaines toxines présentes dans l’environnement, ils nous avertissent également que des solutions scientifiques et politiques doivent être trouvées pour atténuer cette pollution ».
Plasticité phénotypique ou véritable évolution génétique ?
Pour les chercheurs, la question de savoir si la tolérance accrue observée est le produit d’une véritable évolution ou d’une plasticité phénotypique reste ouverte. La plasticité phénotypique permet aux organismes de modifier leurs caractéristiques physiques ou comportementales en réponse à l’environnement. A la différence de l’évolution génétique, elle n’implique pas de changements dans la composition génétique des espèces.
Même si la nouvelle d’une possible adaptation face au changement d’environnement est positive pour l’avenir, les chercheurs rappellent qu’il est important de faire preuve de prudence lorsque l’on compare des expositions brèves à des concentrations élevées de sel à des expositions faibles à plus long terme dans la nature.
Source : Sciences et Avenir