La fondatrice de l’ONG Bloom a été choisie, lundi, pour le prix Goldman de l’environnement après avoir réussi à faire interdire le chalutage profond en Europe, en 2016.
Elle essaye désormais de faire bannir la pêche électrique.
Je suis très heureuse, très honorée et surtout je le prends non pas à titre individuel, mais collectif, comme une reconnaissance de notre intégrité et de notre efficacité.
Et ce qu’en dit le Journal de l’Environnement
L’inébranlable présidente de l’association Bloom, qui défend la conservation des fonds marins depuis une dizaine d’années, reçoit le prix Goldman, ce 23 avril à San Francisco. Le prix le plus prestigieux pour les défenseurs de l’environnement.
Elle cache un peu sa joie. Moins sa surprise. «Je connais mon honnêteté et ma sincérité mais la nouveauté, c’est que cette rectitude morale est reconnue aux yeux du monde. C’est aussi une récompense pour l’ensemble de l’équipe de Bloom», lâche Claire Nouvian au JDLE. «C’est à la fois la reconnaissance de l’intégrité de notre combat et de notre efficacité». Cette quarantenaire, qui croise le fer avec les responsables du chalutage de fond, de la pêche électrique, et autres pratiques destructrices des fonds marins, a en effet plusieurs victoires à son actif. A commencer par l’abandon par le premier armateur français –Intermarché- en janvier 2014, de toute activité de pêche profonde au-dessous de 800 mètres, et à une suppression totale en 2025, suite à une campagne de mobilisation réussie en France, 900.000 signatures à l’appui. Deuxième succès en 2016, avec l’interdiction totale du chalutage profond au-delà de 800 mètres dans une zone de plus de 930.000 kilomètres carrés[1] dans l’Atlantique du nord-est.
Le prix Goldman a été créé en 1989 par Richard Goldman et son épouse Rhoda, philanthropes et défenseurs des droits civiques. Chaque année, les lauréats sont sélectionnés par un jury international à partir de nominations confidentielles soumises par un réseau mondial d’organisations environnementales et d’experts.
Claire Nouvian n’est pas née dans un océan. Ayant grandi entre Paris, Alger et Hong Kong, elle commence par travailler en collaboration avec une correspondante à Paris de la presse allemande, puis réalise quinze documentaires scientifiques et animaliers sur la mer, la forêt… En 2000, un tournage la met à terre. «J’ai eu deux maladies tropicales en même temps, la fièvre du Nil et la dengue. Cela m’a écrasée physiquement. J’ai tout arrêté. Pendant cette pause, j’ai découvert l’aquarium de Monterey, en Californie et j’ai été aussitôt subjuguée par les Abysses. J’ai compris que ce milieu était totalement détruit et que personne n’en parlait. Surexcitée par mes découvertes, j’ai écrit le livre Abysses et ai créé dans la foulée une ONG», résume-t-elle.
BLOOM EN PLEIN BOOM
«Dévouée aux océans et aux espèces marines», mais aussi aux «emplois durables de la pêche et de l’aquaculture», l’association Bloom naît en 2005 «pour créer un pacte durable entre l’homme et la mer». Son combat se précise à l’occasion du Grenelle de la mer, en 2009, alors que l’Union européenne prépare la réforme du règlement sur la pêche profonde. Claire Nouvian, sa présidente bénévole, y voit l’occasion de faire reconnaître les dommages causés par les chalutiers de fond sur la faune marine et de mener campagne pour leur interdiction. Elle affronte à la fois Intermarché en France et les lobbies européens de la pêche industrielle, à la façon de David contre Goliath. Essuie quelques échecs, comme le rejet de l’interdiction par les eurodéputés en 2013, mais gagne enfin la batille en 2016, aux côtés de deux autres ONG, la Deep Sea Conservation Coalition et Pew.
Les autres lauréats de l’édition 2018 sont Frania Marquez, activisite colombienne qui lutte contre les mines illégales, Makoma Lekalakala et Liz McDaid associatives anti-nucléaires sud-africaines, l’avocate vietnamienne Nguy Thi Khanh, la championne de l’eau propre US LeeAnne Walters et le pourfendeur philippin du plomb, Manny Calonzo.
Bloom met ensuite le cap sur la pêche électrique, alors que Bruxelles prépare la révision du règlement communautaire. Si cette pratique est officiellement interdite en Europe depuis 1998, elle bénéficie en effet de dérogations à titre expérimental et à hauteur de 5% des flottes nationales de chalutiers à perche depuis 2007. 84 navires néerlandais la pratiquent aujourd’hui dans le sud de la mer du Nord, envoyant des décharges électriques dans les sédiments qui provoquent des brûlures, des ecchymoses, et des déformations du squelette de la faune marine.
L’ONG basée à Paris, qui compte sept salariés, travaille dur et enchaîne les révélations: le rapport scientifique que Bruxelles a caché pour faire accepter les dérogations, le dépassement par les Pays-Bas du nombre de licences accordées aux pêcheurs électriques (une plainte est déposée en octobre 2017) et l’absence de publication des subventions accordées sa flotte entre 2007 et 2014 (une deuxième plainte est déposée le 16 avril). «En plus d’être un scandale écologique et humain, c’est un scandale financier», explique Claire Nouvian. Une première victoire est enregistrée en janvier avec l’interdiction totale votée par le Parlement européen. Mais les négociations en trilogue, en cours, s’annoncent ardues.
DE L’ÉCOLOGIE À LA CORRUPTION
Avec le recul, comment voit-elle ces treize années de lutte ? « Je n’avais pas conscience de l’ampleur de la corruption à l’œuvre dans l’ensemble des institutions publiques. Les citoyens sont très loin de s’imaginer l’importance des entorses à la démocratie », affirme-t-elle. Finalement, son cœur de métier a changé, « passant de la lutte contre les dégâts environnementaux à la lutte contre les systèmes corrompus ». Son optimisme y a laissé des plumes. «Je n’ai aucun espoir pour notre planète. On manque de culture, de civilisation et de générosité. Mais de toutes façons, je n’ai pas besoin d’espoir pour me lever le matin. Je m’appuie sur l’équipe. L’association représente pour moi une belle aventure humaine».