Pour améliorer le contenu climatique des manuels, le conseil supérieur des programmes fait appel à un climatosceptique notoire, dont les théories ne reposent sur aucune base scientifique. Une pratique bien ancrée dans le monde universitaire français.
La France a décidément un problème avec l’enseignement de la question climatique. Il y a près d’un an, des personnalités issues des sciences du climat et de l’enseignement se sont émues de la pauvreté des (rares) pages consacrées aux changements climatiques dans les livres scolaires français. Une grogne qui intervenait alors que l’Education nationale faisait évoluer les programmes du lycée.
Ne pas enseigner (ou mal le faire) les aspects physiques, environnementaux et sociétaux des changements climatiques n’est pas seulement une faute politique, une insulte faite aux jeunes générations, c’est aussi violer l’Accord de Paris.
RESPECTER L’ACCORD DE PARIS
L’article 12 du texte conclu à l’issue de la COP 21 impose aux pays signataires de prendre des «mesures pour améliorer l’éducation, la formation […] compte tenu de l’importance que revêtent de telles mesures pour renforcer l’action engagée au titre du présent Accord.»
A force de pétitions et de participations des élèves, et de certains de leurs enseignants, aux grèves pour le climat, Jean-Michel Blanquer a fini par réagir. Le 20 juin dernier, le ministre de l’Education nationale a saisi le conseil supérieur des programmes (CSP).
Dans le courrier adressé à sa présidente, Souâd Ayada, le patron de la rue de Grenelle demande que le CSP propose «des contenus d’enseignement complémentaires sur les enjeux du changement climatique, du développement durable et de la biodiversité», pour les programmes de l’école et du collège. Sujets qui devront, précise le ministre, «être intégrés dans toutes les disciplines et étoffés au fil de la scolarité».
Pour garantir la «qualité scientifique» des propositions, le ministre recommande de faire appel à l’Inspection générale de l’éducation et aux «meilleurs experts sur ces questions qui exigent objectivité, rigueur et précisions scientifiques».
EXPERTS, SCIENTIFIQUES ET CLIMATOSCEPTIQUE
Sitôt dit, sitôt fait. Depuis quelques semaines, les membres du CSP auditionnent experts et scientifiques. Mais pas que. Comme le révèle l’édution du 16 octobre du Canard Enchaîné, Souâd Ayada a aussi tenu à écouter François Gervais. Médaille de bronze du CNRS, ce professeur émérite à l’université de Tours n’est pas un climatologue, mais un spécialiste reconnu de la supraconduction.
Problème: ce physicien est aussi l’un des porte-voix des climato-sceptiques français. Et sa thèse (le réchauffement n’est pas guidé par l’accroissement de la concentration de GES dans l’atmosphère mais par un cycle naturel de 60 ans, toujours inexpliqué) a été démontée par les sciences du climat.
Pis, dans son livre à charge contre les rapports du Giec[1] François Gervais montre son ignorance du cycle du carbone (c’est l’océan qui dégaze du CO2 pas les activités anthropiques), tord les conclusions d’études montrant que l’activité solaire n’est en rien responsable du réchauffement, confond évolution de la température moyenne globale et pic de température locale.
L’IGNORANT DES SCIENCES DU CLIMAT
Le spécialiste des aimants fait aussi dire à la Nasa (agence spatiale US) et la NOAA (administration US de l’océan et de l’atmosphère) des choses que ces deux institutions n’ont jamais affirmées. Bref, pour reprendre une critique rédigée par le climatologue au LSCE François-Marie Bréon: «l’ouvrage de François Gervais témoigne d’une profonde ignorance des sciences du climat.»
Cette méconnaissance n’est pas pour effrayer Souâd Ayada. Interrogée par le Canard sur l’audition d’un faussaire de la science du climat, la présidente du CSP assume et répond qu’elle est une philosophe «et pour moi le scepticisme est une qualité intellectuelle». Certes, mais il y a une différence entre le scepticisme (vertu éminemment scientifique) et la propagation de théories fumeuses systématiquement invalidées par les sciences du climat.
UN TROPISME FRANÇAIS
L’histoire du CSP est révélatrice du tropisme de certains intellectuels et scientifiques français pour le déni climatique. Au début des années 2000, la communauté des climatologues s’était enflammée suite aux attaques contre leurs disciplines et leurs travaux perpétrées par les géophysiciens Claude Allègre et Vincent Courtillot. Ce feuilleton avait (momentanément) pris fin lors d’une mémorable confrontation entre climatologues et «sceptiques», organisée par l’Académie des sciences. Une académie plus prompte à protéger certains de ses membres «sceptiques» qu’à faire entrer dans ses rangs des climatologues de renom.
Des années durant, X-Climat, groupe dédié au climat des anciens élèves de l’Ecole Polytechnique, a été présidé par Christian Gérondeau, fervent négationniste du réchauffement. Une élection qui avait fait jaser le Landerneau climatique, lors de la COP 21.
HYPOTHÈSE D’ÉCOLE
On ne peut qu’être effrayé aussi par la documentation scolaire distillée par certains acteurs. Ainsi, en est-il de Médiachimie. Porté par la Maisons de la chimie, l’industrie, EDP Sciences et Canopée, ce site pédagogique diffuse des fiches sur le climat surprenantes. «L’hypothèse de base des modèles est que le réchauffement est dû aux gaz à effet de serre issus de l’usage des combustibles fossiles», peut-on lire. Considérer une vérité scientifique, établie depuis des décennies, comme une hypothèse de base…
Plus loin, les auteurs de ces fiches affirment aussi «qu’un nombre non négligeable parmi les scientifiques et les historiens du climat pensent que ce changement n’est pas seulement dû au CO2 mais que les évolutions naturelles de la planète sont aussi à prendre en cause [sic]».
Reste à savoir lesquelles ? Journal de l’Environnement/17 octobre
[1] L’Innocence du carbone, l’effet de serre remis en question (Albin Michel, 304 p.)