Les barrages de castors permettraient d’améliorer la qualité de l’eau, en cas de sécheresse, selon une étude menée sur le fleuve Colorado, dans l’ouest des Etats-Unis. Retour sur ce mécanisme qui pourrait devenir une rare « boucle de rétroaction » vertueuse du changement climatique.
A mesure que l’ouest des Etats-Unis se réchauffe, les castors deviendront une véritable aubaine pour la qualité de l’eau des rivières, selon des écologues de l’Université de Stanford. Leurs travaux, publiés dans Nature Communications, révèlent que dans les bassins versants de montagne, les barrages de castors peuvent avoir une influence beaucoup plus grande que les extrêmes saisonniers de précipitations liés au climat, notamment les épisodes de sécheresse. Leurs barrages en bois élèvent en effet les niveaux d’eau en amont, détournant les flux vers les sols environnants et les cours d’eau secondaires, qu’on appelle zone riveraine. « Or, ces zones agissent comme des filtres, qui éliminent l’excès de nutriments et de contaminants-comme les nitrates- avant que l’eau ne réintègre le canal principal en aval« , expliquent les scientifiques.
Le barrage a réorienté l’étude
Cette découverte découle d’une part de chance et de hasard. Le barrage de castor est apparu en 2018, au beau milieu du site de recherche de Christian Dewey. L’écologue, spécialiste de biogéochimie de l’environnement et des sols à l’Université de Stanford (Californie), y passait de longs mois à étudier la qualité de l’eau le long du fleuve Colorado. Ce dernier et ses affluents irriguent de nombreux États en dehors du Colorado, notamment l’Arizona, l’Utah et la Californie. Le barrage a réorienté l’étude et permis de réaliser l’impact profond de l’architecture des rongeurs : le barrage de castors a amélioré la qualité de l’eau de la rivière – à tel point que dans certaines régions, il atténue la dégradation de l’eau causée par la sécheresse et les changements climatiques. « Or, lorsque les niveaux d’eau sont bas, comme en 2018, année de sécheresse, les minéraux ont tendance à se concentrer dans la rivière, souligne le chercheur. Cette détérioration de la qualité de l’eau peut avoir des impacts écologiques dévastateurs. »
Un exemple de cette dégradation est un niveau élevé de nitrates dans l’eau, provenant des engrais. Lorsque le minéral est trop concentré dans une rivière, il peut provoquer une croissance explosive des algues. Et lorsque cette algue meurt et commence à se décomposer, elle consomme de « l’oxygène dissous » dans l’eau… en privant les autres espèces dans tout l’écosystème environnant. « Lorsque les niveaux d’oxygène dissous chutent soudainement, ces espèces sont en péril« , souligne Christian Dewey. Or de nombreux affluents charrient du nitrate vers le Colorado et les années de sécheresse, cette accumulation devient très problématique« . C’est en prélevant des échantillons d’eau en aval du barrage de castor que l’écologue a réalisé que sa qualité était améliorée. Le barrage poussait l’eau vers les rives de la rivière, où elle devait alors traverser le sol avant de rentrer. « Les sols ont alors essentiellement agi comme un filtre éliminant ce nitrate », détaille-t-il. « Et donc l’eau évacuée des sols était plus faible en nitrates qu’elle ne l’était lorsqu’elle est entrée dans les sols. »
Le rebond des castors devrait s’accroitre avec le changement climatique
À un moment donné, la chasse au castor nord-américain a failli entraîner l’extinction de l’espèce. Cependant, des décennies de protections supplémentaires ont permis à ses populations de rebondir et de se redéployer, selon Scott Fendorf, professeur de sciences du système terrestre à Stanford. « Là où se trouvait notre site d’étude et près de Crested Butte, au Colorado, vous pouvez voir une activité de rongeurs amphibies prononcée que vous n’auriez pas vue il y a 50 ans« , explique-t-il. « Ces réponses de l’écosystème, le rebond du castor d’Amérique, ont en fait cet impact vraiment contraire sur la dégradation que nous constatons à cause du changement climatique. » Cette découverte montre que de nombreuses espèces peuvent jouer un rôle méconnu dans la protection et le maintien des écosystèmes.
Mais le meilleur est à venir : « Un climat plus sec et plus chaud dans l’ouest des États-Unis élargira encore la variété de castors et amplifiera leurs impacts sur l’hydrologie et la biogéochimie des bassins versants, illustrant que les réactions des écosystèmes au changement climatique modifieront la qualité de l’eau dans les systèmes fluviaux » expliquent les scientifiques dans Nature Communications. On pourrait alors assister à « une boucle de rétroaction climatique vertueuse », un phénomène rare qui profitera aux 40 millions de personnes abreuvées par ce fleuve, le plus menacé d’Amérique du Nord.
Source Sciences et Avenir