Comment l’écologie a réveillé les consciences

Après des débuts tardifs et timides, la protection de la planète est devenue un enjeu majeur, qui demande des efforts à chaque citoyen.

Juillet 2020, île Maurice. Un vraquier japonais fait naufrage au large des côtes, déversant 1 000 tonnes de carburant dans les lagons. Une tache noire sur une carte postale déjà écornée. Ce bijou de l’océan Indien est l’une des îles les plus abîmées, et cela ne date pas d’hier. En 1769, alors qu’elle appartient à la France, le botaniste Pierre Poivre constate que la déforestation a entraîné une baisse des précipitations et fait adopter le « règlement concernant la préservation des forêts ».

Une loi qui ouvre la voie à la lutte contre le changement climatique. « Les premières actions écologistes découlent des con séquences de la colonisation, résume Patrick Matagne, enseignant et chercheur en histoire des sciences. Elles ont par exemple pris racine aux ÉtatsUnis, où la conquête européenne a laissé des impacts visibles sur l’environnement. » Les scientifiques contemporains de Darwin découvrent alors une science qui étudie le rapport des êtres vivants avec le milieu les entourant. Un biologiste allemand, Ernst Haeckel, nomme cette spécialité « écologie » en 1866. En France, le XIXe siècle devient le « siècle du paysage » avec des écrivains comme Victor Hugo qui nourrissent la réflexion. « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas », écrit-il dans ses Carnets en 1870.

Si les premières lois, notamment sur la protection animale, sont votées à cette époque, il faut attendre le XXe siècle pour que la prise de conscience dépasse l’horizon des milieux intellectuels. Dans les années 1950, dans la foulée de la reconstruction de la France d’après-guerre, les combats écologiques se multiplient, avec comme cible le bétonnage des espaces naturels. En 1956, la Société nationale de protection de la nature monte au créneau contre le projet de faire passer l’autoroute du Sud par la forêt de Fontainebleau et obtient en partie gain de cause. Au fil des ans, les écologistes remportent d’autres batailles, comme l’abandon du canal à grand gabarit entre le Rhin et la Saône en 1997.

En France, la question du nucléaire a cristallisé la contestation

L’opinion s’émeut aussi de la disparition des espèces animales, influencée par exemple par les films de Cousteau (Le Monde du silence, en 1956, mais surtout ses oeuvres des années 1970) montrant des fonds sous-marins menacés. Les programmes de sauvegarde se succèdent, tel le « plan ours » lancé par le ministère de l’Environnement en 1984 et visant à doubler les effectifs des plantigrades – tombés à 20 – dans les Pyrénées. Depuis 1964 d’ailleurs, l’Union internationale pour la conservation de la nature répertorie les espèces en danger – elle en dénombre aujourd’hui 792 dans l’Hexagone.

Mais le combat qui a cristallisé la contestation en France, c’est le nucléaire. En 1977, 60 000 personnes manifestent contre le projet de centrale à Creys-Malville, en Isère. Et en 1981, le président François Mitterrand abandonne la construction de celle de Plogoff, dans le Finistère. Le rêve atomique français, déjà bien abîmé, finit par se faner avec les accidents de Tchernobyl en 1986 puis de Fukushima en 2011, qui répandent la peur à l’échelle planétaire.

L’opinion s’inquiète désormais des effets du progrès scientifique et technique sur la santé : la radioactivité, les pesticides, les OGM… À la suite du brûlot en 1962 de la biologiste américaine Rachel Carson sur les effets du DDT, ce pesticide a été interdit en France dès 1971. Mais des traces ont été retrouvées entre 1979 et 1993 dans le bassin d’Arcachon (Gironde) et en 2019 sur des mésanges mortes en Belgique. Preuve que les atteintes à l’environnement ont des conséquences sur plusieurs générations.

Depuis les années 1980, les luttes se focalisent sur des enjeux planétaires

C’est aussi sur eux que portent les conférences internationales permettant de fixer des objectifs ambitieux – comme celui, décidé à Paris en 2015, de contenir en dessous de 2 °C la hausse de la température globale d’ici à 2100. Si les engagements sont peu respectés, à cause de l’immobilisme des États, ils sensibilisent l’opinion à l’urgence d’agir. Une urgence qui a mis du temps à s’imposer dans les esprits. Pourtant, dès les années 1960, un puissant courant écologique émerge chez les hippies, bercés par le rêve d’un retour à la nature (en pleines Trente Glorieuses) et d’un idéal de paix (en pleine guerre du Vietnam) : « C’est la première guerre écologique menée de façon délibérée dans la mesure où l’on a utilisé l’agent orange – commercialisé par le groupe Monsanto – pour détruire les lieux de plan que des guérilleros vietnamiens, donc l’écosystème », explique Patrick Matagne.

Puis Mai 68 fait souffler un vent de contestation. Les écologistes en herbe y apprennent à défier le pouvoir ignorer les sarcasmes… Tandis que les catastrophes environnementales se multiplient (marées noires dues aux naufrages du Torrey Canyon en 1967 et de l’Amoco Cadiz en 1978…), la prise de conscience collective monte d’un cran en s’inscrivant sur l’échiquier politique. Historiquement à la traîne, la France fait figure de bonne élève en 1971 avec la création du premier ministère de l’Environnement de plein exercice au monde. Lors de sa candidature à l’élection présidentielle en 1974, René Dumont, agronome de 70 ans, détonne avec son pull rouge et sa bicyclette. S’il n’obtient que 1,32 % des suffrages, une première pierre est posée.

Le pacte écologique, établi en 2007, est soutenu par 730 000 citoyens

« En 1984, une multitude de mouvements disparates (naturalistes, scientifiques, libertaires, anarchistes…) se réunissent en un seul parti : les Verts », indique Daniel Boy, spécialiste de l’évolution de l’électorat écologiste. Les amoureux de la nature et les militants à la re cherche d’une nouvelle utopie pour changer la société ont du mal à se rassembler. L’année 1989 signe leur entrée au Parlement européen, et en 1997 sept écologistes sont élus à l’Assemblée. Depuis, Europe écologie – les Verts est devenu un parti implanté et reconnu. En 2017 aucun candidat vert ne se présente à la présidentielle, Yannick Jadot s’étant retiré au profit de Benoît Hamon. Un recul qui masque une victoire idéologique. En effet, aujourd’hui, tous les partis mettent en avant l’écologie dans leur programme. Mais quand les ministres verts se retrouvent au pouvoir – de Dominique Voynet, en 1997, à Nicolas Hulot, en 2017 –, ils peinent à faire voter les lois qu’ils défendent.

En 2007, le pacte écologique, qui propose des mesures comme la taxe carbone, est signé par 730 000 citoyens et 15 candidats à l’élection présidentielle. Il contribue à modifier le rapport entre écologie et politique « et amène un vrai changement d’échelle » chez le citoyen, affirme Patrick Jolivet, de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Ce changement d’échelle s’exprime aussi dans « l’acceptation de mesures environnementales volontaristes, autrefois jugées contraignantes », analyse-t-il.

Aujourd’hui, 58 % des Français se montrent favorables à la mise en place de la circulation différenciée, d’après l’édition 2019 du baromètre de l’Ademe « Les Français et l’environnement ». De plus en plus concernés par le développement durable (à 82 %), les citoyens verdissent leur quotidien. Lutte contre le gaspillage alimentaire, tri des déchets, économies d’énergie… Les petits gestes, encouragés par les pouvoirs publics, ont été adoptés. Ainsi, selon un sondage Harris de 2019, 52 % d’entre eux déclarent avoir changé leurs habitudes. Par exemple, entre 1998 et 2016, la part des trajets domicile-travail effectués en véhicule motorisé est passée de 65 % à 57 %. Certes, les Français se disent prêts à bannir les objets en plastique à usage unique (95 %), à manger moins de viande (82 %), voire à ne plus prendre l’avion (65 %). Mais les pratiques ne suivent pas toujours, en partie parce que les individus ne veulent pas porter seuls le poids des solutions à mettre en oeuvre.

Les sondés sont par ailleurs 69 % à se déclarer pessimistes en matière d’écologie. Difficile d’échapper aux gros titres sur les incendies en Californie, la fonte de la banquise ou la pollution, les médias ayant accompagné la prise de conscience au fil des décennies. Ainsi, le quotidien Le Monde a créé sa rubrique « environnement » en 1972 après le congrès de Stockholm et son cahier « planète » en 2008. La télévision, elle, a mis du temps à faire sa transition écologique. Lancée en 1971, l’émission La France défigurée est diffusée jusqu’en 1978. Vingt ans plus tard, Ushuaïa nature joue surtout la carte du spectaculaire avant d’alerter sur la fragilité de la planète.

Aujourd’hui, l’écologie s’affiche partout : France 2 a, par exemple, réuni deux millions de téléspectateurs avec L’Émission pour la terre en octobre 2019. Et les réseaux sociaux prennent le relais : les initiatives écoresponsables des influenceurs explosent avec 6,8 milliards du hashtag #environment. Si les 18-24 ans font preuve d’un fort activisme et se tournent vers les métiers de l’environnement, ils renâclent parfois à adopter les gestes écologiques simples.

Ce passage à l’acte est freiné par un modèle consumériste largement prédominant. En témoigne l’explosion du marché des SUV (qui constitue la deuxième source d’augmentation de CO2 dans le monde entre 2010 et 2018) ou le visionnage de vidéos en ligne (1 % des émissions mondiales). Sans parler de climatoscepticisme ambiant, 35 % des Français estiment tout de même que les menaces pesant sur l’environnement sont un peu exagérées. Des expressions comme « ayatollahs écologistes », « Khmers verts » ou « peste verte », employées à la fin des années 1980, reviennent chez certains politiques et dans les médias. Avec Naomi Seibt, une youtubeuse allemande de 20 ans, le front anti-écolo s’est trouvé son « anti-Greta ».

Parce qu’il fait peur, le sujet électrise, dérange et suscite des réactions contrastées, allant du déni à l’angoisse devant l’ampleur de la tâche restant à accomplir.

POUR ALLER PLUS LOIN
Livres
Une histoire de l’écologie politique, Arthur Nazaret, éd. La Tengo, 2019. Le récit détaillé de la seule idée nouvelle depuis une siècle.
Petite histoire du mouvement écolo en France, Roger Cans, éd. Delachaux et Niestlé, 2006. Un ouvrage qui retrace bien la percée de la pensée écologiste.

@ Internet
statistiques.developpement-durable.gouv.fr/modes-de-vie-et-pratiquesenvironnementales-des-francais Un panorama sur les pratiques écolos adoptées par les Français.

Par Clotilde Costil/ça m’intéresse/24 juillet 2022