Alors qu’on pensait que la danse des abeilles, utile pour indiquer des sources de nourriture, était innée, une étude révèle qu’elles apprennent en partie ce comportement auprès de leurs aînées.
Chez les abeilles, la communication entre individus passe aussi par la danse. Après avoir butiné, elles s’adonnent à un rituel millimétré pour indiquer à leurs collaboratrices l’emplacement exact de leur succulente découverte. Une récente étude, publiée dans Science, met en évidence l’importance de l’apprentissage dans ce procédé singulier.
Chaque pas a sa signification
Dans l’obscurité du nid, à la verticale, les abeilles exécutent une suite de mouvements bien précis : angle, durée du frétillement, nombre de répétitions, tout compte !
« Il s’agit d’un mouvement en forme de 8 », précise Mathieu Lihoreau, chercheur au CNRS, pour Sciences et Avenir. « Durant sa chorégraphie, l’angle dessiné par le corps de l’abeille et l’axe vertical du nid est comparable à l’angle formé par la source de nourriture, la ruche et le soleil. » A titre d’exemple, si la source de nourriture se trouve en face de la ruche, et que le soleil est au zénith, les abeilles devraient ainsi danser à la verticale.
La danse se compose de deux pas, répétés. D’abord l’abeille frétille en avançant en ligne droite. Elle effectue ensuite un arc de cercle vers la droite pour revenir à son point de départ, puis elle répète le premier pas frétillant et réalise cette fois-ci l’arc de cercle vers la gauche. Et ce n’est pas tout. La durée du frétillement indique à ses congénères la distance à laquelle se trouve la nourriture depuis le nid. « Dès lors, les abeilles connaissent l’angle et la distance par rapport à la ruche : un vecteur qui les conduira directement au butin ! À partir de ce moment-là, une abeille qui ne connaît pas le lieu de butinage mais qui assiste à la danse peut s’y rendre aisément », s’enthousiasme le spécialiste des abeilles.
Sur ses soies, poils microscopiques recouvrant son corps, l’abeille transporte encore du pollen provenant de son butin. Avec lui, se dégage l’odeur propre aux fleurs que l’abeille vient de visiter. Une information de plus pour ses congénères. Même la quantité de nourriture est signifiée ! Plus l’abeille répète la danse frénétiquement, plus la source est abondante. Cette chorégraphie est un cas unique de communication symbolique chez les invertébrés. Seule une dizaine d’espèces d’abeilles à miel la pratiquent, dont Apis mellifera (notamment présente en Europe) et Apis cerana en Asie. « On parle de communication symbolique car elles transmettent des informations sur une expérience passée. Cette chorégraphie se produit hors contexte », explique Mathieu Lihoreau.
Apprendre en observant
Jusqu’à présent, les scientifiques pensaient que la danse des abeilles était purement innée. Cependant, cette nouvelle étude révèle également une part d’apprentissage non négligeable. L’équipe de chercheurs s’est basée sur l’observation de ruches transparentes. Une partie de ces nids n’hébergeait que de jeunes abeilles. L’autre accueillait autant de jeunes que d’abeilles plus âgées. En marquant les jeunes abeilles pour les identifier, les éthologues ont pu observer l’évolution de leurs danses avec le temps. « Il y a toute une phase de maturation pour la jeune abeille car elle ne commence à danser que lorsqu’elle se met à butiner. Cela n’arrive qu’au bout de deux semaines », indique le chercheur. Durant ces quelques jours, la jeune abeille peut donc observer ses congénères.
Chaque danse est répétée plusieurs fois. Comme chaque chorégraphie indique un point donné, en communiquant une distance et un angle, les éthologues ont pu juger de la précision de l’enchaînement : si une danse est bien réalisée, elle indique le même point à chaque fois. Résultat ? Les premières danses des jeunes abeilles sont très variables quand elles ne sont pas en contact avec d’autres plus expérimentées. « A l’inverse, les jeunes butineuses qui ont été en présence d’abeilles plus âgées exécutent une danse beaucoup plus précise », analyse Mathieu Lihoreau. Les abeilles apprennent donc à danser en observant leurs aînées, sans quoi leurs pas sont incertains et les erreurs de direction, fréquentes !
« Pour une prochaine étude, on pourrait imaginer déplacer les sites de butinage et observer l’adaptation des danses par les abeilles », suggère l’éthologue. Se pose également la question de savoir si toutes les danses des abeilles ont un aspect « acquis ». Car oui, l’abeille danse aussi dans un autre contexte : la recherche d’un nouveau nid ! Au printemps, la colonie se divise en deux. La reine donne naissance à une nouvelle souveraine, qui demeure dans la ruche initiale, pendant que l’ancienne reine part à la conquête de nouveaux horizons. C’est ce qu’on appelle l’essaimage. Les abeilles en partance forment alors une grappe à quelques mètres de leur habitat initial, en attendant de dénicher leur prochain logis. Des exploratrices sondent alors les alentours, et effectuent une danse sur l’essaim pour indiquer le prochain nid potentiel.