Le grand rendez-vous mondial visant à freiner l’effondrement du vivant doit se tenir en Chine à la fin de l’été. Mais sa préparation s’avère complexe, et le pays hôte, peu impliqué, n’en a toujours pas confirmé la tenue.
La COP15 n’est pas sur les bons rails. La COP… 15 ? Non, il n’y a pas d’erreur de chiffre : en novembre 2021, c’est bien la 26e conférence mondiale sur le climat qui s’est tenue à Glasgow, en Ecosse. Mais, en parallèle des négociations climatiques, une autre Convention-cadre des Nations unies, la Convention sur la diversité biologique, créée en 1992, organise tous les deux ans d’autres « Conférences des parties » (COP), portant cette fois sur la biodiversité.
Moins connus, ces rendez-vous n’en sont pas moins importants. L’enjeu de cette COP15, annoncée jusqu’ici pour la fin de l’été à Kunming, en Chine, est même vital : il s’agit d’adopter un nouveau cadre mondial pour mettre un terme à l’érosion de la biodiversité d’ici à 2030. Les accords d’Aichi, signés en 2010, prévoyaient déjà d’atteindre cet objectif en… 2020, mais ils ont échoué quasiment sur toute la ligne. Beaucoup espèrent que l’accord de Kunming sera, pour la nature, l’équivalent de ce que l’accord de Paris a été pour le climat, en matière de prise de conscience et d’engagements.
Fin mars, une session de négociations s’est donc tenue à Genève, en Suisse, pour préparer cette COP, et notamment le projet de cadre mondial. Hélas, les progrès ont été bien plus limités qu’espéré. Un symbole résume, à lui seul, la lenteur avec laquelle ont progressé les discussions : les crochets. Dès qu’une délégation n’est pas d’accord avec l’un des termes proposés, celui-ci est mis entre crochets. A Genève, le projet d’accord, construit autour de vingt et un objectifs concrets pour 2030, s’est ainsi rempli de crochets au point de ressembler, selon les mots des organisateurs, à un arbre de Noël auquel chacun aurait accroché sa guirlande de propositions.
Agenda chargé
Bien sûr, cette étape où les textes « gonflent » pour prendre en compte l’ensemble des points de vue est indispensable et inhérente au processus de négociation. Encore faut-il qu’ils puissent « dégonfler » à temps, au fur et à mesure qu’émergent des consensus. Le processus peine à avancer. L’agenda des quinze jours de travail, au cours desquels trois discussions ont été menées en parallèle (sur les aspects scientifiques et techniques, sur la mise en œuvre et sur le texte qui sera finalement adopté), était extrêmement chargé. Les 2 000 délégués de 151 pays se rencontraient aussi pour la première fois après deux années de discussions à distance : il faut du temps pour renouer le contact et bâtir la confiance.
Mais, malgré l’implication de la majorité des représentants et des avancées manifestes sur l’objectif de protéger 30 % des terres et des mers d’ici à 2030, ou sur l’inclusion des peuples indigènes, par exemple, le travail qu’il reste à mener pour espérer un succès de la COP est colossal. Sur l’enjeu-clé du financement, le clivage entre pays développés et en développement s’est durci en Suisse et ne sera pas facilement résolu.
Au dernier jour des discussions, à la surprise d’une grande partie de l’assemblée, une coalition d’Etats a appelé les plus riches à apporter 100 milliards de dollars (95 milliards d’euros) par an, puis 700 milliards d’ici à 2030. « Est-on dans une vraie discussion sur les moyens de l’ambition et les types de financement qu’il va falloir trouver, ou est-on dans une sorte de jeu qui finira par aboutir à quelque chose de destructeur ? » s’est inquiétée l’ambassadrice française pour l’environnement, Sylvie Lemmet.
La transformation profonde des secteurs d’activité, et notamment du système agroalimentaire et des pêcheries, sources majeures de destruction de la biodiversité, n’a été que très peu abordée. Aucun pays ne s’est érigé en « champion » de la lutte contre les pollutions en poussant, par exemple, pour des cibles ambitieuses de réduction des rejets de pesticides. Les objectifs chiffrés ont disparu ou sont entre crochets. Les moyens pour suivre et évaluer les progrès qui seront réalisés ces prochaines années et les indicateurs ne font pas non plus consensus. Si les Etats affichent des niveaux de mobilisation différents, le Brésil et l’Argentine ont été, de nouveau, accusés d’obstruction. Globalement, nombre d’observateurs estiment que l’ambition, en l’état, n’est pas au niveau des enjeux.
L’humanité menacée
Pour faire le tri dans les propositions – autrement dit supprimer des crochets – et aligner les positions au moins sur une partie des sujets, une session de travail supplémentaire a été programmée en juin à Nairobi, au Kenya. D’ici là, les autorités chinoises auront-elles enfin annoncé les dates officielles de la COP ? Car c’est là l’une des autres difficultés du processus : alors que cette conférence mondiale a déjà été reportée quatre fois, les Nations unies et les délégations du monde entier attendent toujours que Pékin, aux prises avec la pandémie de Covid-19, confirme si l’événement pourra bien se tenir dans tout juste quatre mois. Plus les jours passent, plus cette hypothèse semble improbable, laissant présager un énième report… Au-delà de l’organisation, l’Etat qui préside la COP joue traditionnellement un rôle pour faciliter les négociations, construire des coalitions et faire avancer les conversations en coulisses. La Chine ne s’est, jusqu’ici, absolument pas impliquée dans de tels efforts diplomatiques.
A Nairobi, les négociateurs auront donc la lourde tâche de mettre la COP15 sur les bons rails. Car celle-ci ne peut se permettre d’échouer. L’effondrement du vivant menace la survie de l’humanité tout autant que le réchauffement de la planète. Certes, un accord mondial, même ambitieux et bien ficelé, ne résoudra pas, à lui seul, la question de l’extinction des espèces ou de la dégradation des écosystèmes – l’accord de Paris n’a pas mis fin aux émissions de gaz à effet de serre, loin s’en faut. Mais la biodiversité a besoin de son « moment Paris » pour devenir enfin, aux yeux de tous, une priorité.
Perrine Mouterde
Le Monde