Selon les circonstances et les individus, l’Ani des palétuviers couve ses œufs ou profite de ses voisines. Avec un même succès.
Zoologie. La réputation du coucou n’est plus à faire. Ni le sinistre enchaînement que constitue sa reproduction. Une femelle qui dissimule ses œufs dans un nid étranger, des petits qui éclosent précocement et jettent les concurrents par-dessus bord, et une mère étrangère dupée qui gave le petit parasite jusqu’à l’épuisement. Un tueur sans scrupule, croit-on pouvoir conclure. Mais non sans génie, ajoutent les ornithologues, qui mettent en avant l’étonnante panoplie de ruses employées pour duper les hôtes.
Surtout, les spécialistes rappellent que le recours au crime systématique n’est pratiqué que par une minorité de coucous. Sur les quelque 130 espèces répertoriées à travers le monde, une poignée seulement parasite les nids étrangers. La plupart élèvent leurs propres petits de façon sagement traditionnelle, s’autorisant un recours épisodique au parasitisme. Enfin, quatre espèces nichent de façon coopérative. Autrement dit, plusieurs couples bâtissent conjointement un nid, partagent la couvaison après la ponte, et enfin prennent soin collectivement des petits. Babas cool communautaires plus que criminels endurcis.
L’ani des palétuviers (Crotophaga major) est une de ces raretés. Chez ce grand coucou noir du Panama, deux à quatre couples partagent ainsi le gîte et le couvert. Quel bénéfice en tirent-ils ? C’est la question que se posait Christina Riehl il y a onze ans, quand elle a commencé à suivre ces oiseaux dans la forêt tropicale du Panama. Rapidement, elle a constaté que des œufs supplémentaires dans les nids apparaissaient. Elle a alors découvert que derrière la façade respectable des nids communautaires se cachaient quelques incartades parasitaires. « J’ai alors commencé à collecter des données pour tenter de comprendre pourquoi les femelles pondaient parfois dans le nid des autres », raconte l’ornithologue, professeure assistante à Princeton. Elle s’est alors attachée à relever l’ADN des différents individus mais aussi les traces génétiques présentes sur les œufs, afin de dresser la carte des options choisies et leur éventuel succès. Les résultats de cette vaste entreprise, conduite avec sa collègue Meghan Strong, viennent d’être publiés dans la revue Nature.
Une stratégie de secours
Premier constat des deux chercheuses : le parasitisme constitue une stratégie de secours. Les femelles n’y ont recours que lorsque le projet communautaire échoue, autrement dit lorsque le premier nid est détruit par un prédateur. De ce fait, 10 % à 30 % des nids, suivant les années, se retrouvent parasités. Avec là encore un succès variable. Si la visiteuse pond trop tard, les propriétaires légitimes repèrent les œufs intrus et les éliminent. Autrement, le processus se poursuit jusqu’à éclosion.
Plus surprenant, toutes les femelles n’ont pas recours au plan B. Sur les 210 individus observés, 33 ont parasité des nids étrangers. Et toujours les mêmes. « C’est ce qui nous a le plus étonnés, précise Christina Riehl. Certains individus parasitent chaque fois qu’ils subissent une prédation, d’autres jamais. » Pourquoi les unes et pas les autres ? Andrew Zink, de l’université d’Etat de San Francisco, pense avoir une explication. Constatant que les femelles parasitaires sont aussi celles qui pondent le moins d’œufs dans leur propre nid, il imagine : « Peut-être ces femelles apportent-elles moins de soin à leurs petits et disposent donc des ressources pour pondre une deuxième fois. »
Christina Riehl avoue « l’ignorer pour le moment ». « Ce sera notre prochaine étape, comprendre si le parasitisme a des sources génétiques, s’il est hérité des mères ou déterminé par les conditions environnementales et l’histoire de chaque individu », détaille-t-elle. De quoi affiner encore l’image des coucous et les libérer des clichés qui leur collent aux plumes.
photo : Un ani des palétuviers au Panama. LUKE CARRABIA