Après deux semaines de négociations, la 15e conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique s’est terminée ce lundi à Montréal avec l’adoption d’un nouveau cadre mondial pour la biodiversité à l’horizon 2030. Comme pour d’autres sommets internationaux, on n’imaginait pas qu’il s’achève sans un accord, quel qu’il soit, puisque les Etats ne pouvaient en repartir en envoyant aux peuples de la planète un message d’irresponsabilité totale. Un accord a donc été présenté : la rigueur oblige à dire qu’à peu près tout reste à faire pour passer aux actes, que ce soit en France, en Europe ou ailleurs. Analyse de France Nature Environnement.
Les discussions crispées autour de deux points clivants des séquences génétiques numérisées et de la mobilisation des ressources financières auront détourné l’attention des objectifs plus ambitieux qu’il aurait fallu adopter si l’on avait sincèrement voulu s’appuyer sur les travaux de l’IPBES pour finaliser un Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. Après des négociations théâtralisées par un jeu d’acteur qui ne devrait laisser personne dupe, la présidence chinoise est finalement venue proposer un texte de compromis qui contient 4 objectifs et 23 cibles à 2030 pour construire d’ici 2050 un mode de vie « en harmonie avec la nature », selon la nouvelle phraséologie.
Nous saluons néanmoins l’adoption de ce cadre stratégique qui, bien que très fragile, donne un cap commun et de long terme pour préserver et restaurer la nature, puisque les constats sont posés publiquement et que des objectifs sont désignés afin non seulement de stopper l’effondrement de la biodiversité mais aussi apporter des solutions concrètes pour limiter les effets du dérèglement climatique, assurer la sécurité alimentaire et garantir le bien-être et la santé de notre société. De même, il faut souligner positivement que la mention du « rôle majeur des peuples autochtones et des communautés locales » a été finalement retenue, bien que sa portée ne soit nullement garantie à ce stade.
Un « moment Montréal »?
À y regarder de plus près, ce cadre mondial non contraignant est avant tout une actualisation des objectifs d’Aïchi de 2010, qui ne prend en compte que trop partiellement les nouvelles connaissances de ces dernières années sur l’état catastrophique de la biodiversité et les enseignements des échecs des plans stratégiques précédents.
En effet, si les Etats se sont accordés sur un cadre de suivi visant à évaluer régulièrement les progrès et adapter au besoin le cadre mondial, le mécanisme de redevabilité est faible, avec uniquement une invitation à élaborer des plans d’actions nationaux et à faire deux rapportages en 2026 et 2029.
Par ailleurs, les 23 cibles sont chiffrées uniquement pour 6 d’entre elles et laissent souvent des portes ouvertes aux pressions, même si des solutions alternatives sont mises en avant. Ainsi, les possibilités « d’exploitation durable » au sein des 30 % d’aires protégées visées, qui permettent des exploitations minières ou des forages, mais aussi des prélèvements halieutiques ou forestiers, augurent mal de l’ambition nécessaire pour ces aires protégées. En outre, il n’est plus question d’engagements clairs de réduction de l’usage des pesticides et substances chimiques mais de diminuer de moitié le « risque global des pesticides et produits chimiques très dangereux »… Chaque mot renvoyant à une définition et une bataille d’expertise, il y aura nécessairement une application tardive voire aléatoire pour ce genre de cibles.
Enfin, quand on voit que l’objectif de baisser de 50% l’empreinte écologique des productions et consommations d’ici à 2030 n’a pas été retenu et que la baisse des subventions néfastes cible un faible « au moins 500 Md$ par an d’ici à 2030 », sans mécanisme de redevabilité (alors qu’on estime qu’il y en a au moins 3 fois plus aujourd’hui), il est légitime de s’interroger sur la capacité de cet accord à engager les changements transformateurs nécessaires.
« Restaurer, gérer et interconnecter les espaces et réellement protéger les espèces -pas que sur le papier- demandera d’être cohérent et exigeant. Il n’y aura de « moment Montréal » qu’à la condition que les Etats suppriment l’ensemble des financements néfastes pour la biodiversité et transcrivent l’accord mondial dans des feuilles de route adaptées aux enjeux signalés par l’IPBES, financées et opérationnelles. Pour l’Union Européenne cela doit commencer avec le projet de loi de restauration de la nature mis en discussion aujourd’hui à Bruxelles et également se traduire dès le 1er semestre 2023 en France avec une Stratégie Nationale pour la Biodiversité conséquente et aux effets concrets aussi rapides que possible », estime Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement.