Une espèce de plus en voie de disparition. Alors que le sommet de la COP15 pour la biodiversité s’ouvre ce mercredi 7 décembre, le déclin de la population des caribous au Canada fait son apparition dans les discussions. En 2003, le gouvernement a inscrit le caribou des bois à la liste des espèces «menacées » (espèces susceptibles d’être en voie de disparition si les facteurs limitants ne sont pas renversés). Deux ans plus tard, il est également désigné par la région du Québec comme une espèce «vulnérable» (état jugé précaire mais pas de disparition redoutée à court terme).
Vivant dans des milieux froids et enneigés de la Toundra canadienne, l’espèce se divise en trois écotypes (type héréditaire à l’intérieur d’une espèce). Le caribou montagnard, qui comme son nom l’indique, vit dans les montagnes. Le migrateur, qui réalise de grandes migrations chaque année. Et enfin le forestier, ou sédentaire, qui vit dans les forêts. Ces trois écotypes sont aujourd’hui dans un «statut précaire», alerte Daniel Fortin, professeur au département de biologie à l’université de Laval à Québec.
Cette précarité s’explique par un déclin considérable de la population de l’espèce «depuis de nombreuses années». Près de Val-d’Or, au sud-ouest de la région de Québec, la population serait passée de 77 individus en 1952, à seulement 7 individus entre 2019 et 2020. Même phénomène du côté de la Gaspésie, une péninsule située au centre-est du Québec. En 1983, «on dénombrait 191 caribous, contre 40 en 2019».
Cependant, Daniel Fortin insiste sur le fait que les chiffres de cette diminution sont très controversés et difficile à estimer. Chaque année, le gouvernement réalise un recensement à partir de prises de vues aériennes, «mais cela n’est pas représentatif». Pour obtenir des chiffres plus proches de la réalité, «il faudrait suivre de près les populations», souligne Daniel Fortin. Néanmoins, «il est avéré que tous les écotypes sont concernés par un déclin», ajoute le spécialiste.
Chasse puis coupe forestière : l’activité humaine responsable
Mais pourquoi les caribous sont-ils en voie de disparition ? «À cause du dérangement humain», répond notre expert. Au temps de la colonisation, le développement des villes et de la chasse a progressivement repoussé les caribous vers le Nord. «Maintenant ce n’est plus la chasse le problème car les communautés ont arrêté cette pratique, mais la coupe forestière». Cette industrie pionnière dans l’économie canadienne depuis le XIXe siècle perturbe l’habitat du caribou.
Couper les arbres engendre plusieurs conséquences sur la survie de l’animal. D’une part, elle amenuise la quantité de lichen, nourriture principale des caribous qui se trouve dans les arbres et met trente ans à repousser. Derrière, ce sont des «feuillus [bouleau, peuplier] qui repoussent». Mais ils satisfont davantage les élans que les caribous, qui se retrouvent sans vivres.
Intense prédation animale
Par ailleurs, la coupe forestière «augmente la mortalité des caribous» en accentuant le risque de prédation animale. Sans arbres, ces bêtes ne peuvent se cacher des loups et des ours. À cela s’ajoutent des «réseaux routiers» – construits par les hommes pour couper et sortir le bois afin de le commercialiser – qui «facilitent l’accès à la forêt aux prédateurs».
Sur le terrain, Jean-Luc Kanapé, un membre de la communauté des Innus de Pessamit au Québec et gardien de territoire en charge de la surveillance de caribous, le constate tous les jours. «Les caribous sont sensibles, informe-t-il, et sont donc très perturbés par la modification humaine de leur habitat». Cet été, le chercheur Innu a découvert «les cadavres de deux petits, tués par la prédation».
«Génocide culturel»
Face à cette situation de plus en plus préoccupante, Jean-Luc Kanapé déplore l’inaction de l’État canadien. «Le gouvernement de François Legault [premier ministre du Québec, NDLR.] se fout pas mal des caribous, dénonce-t-il. Il préfère conserver les emplois de l’industrie forestière au détriment de notre culture». La seule mesure mise en place a été de «regrouper certains caribous dans des enclos pour les protéger de la prédation», rapporte Daniel Fortin. Mais Jean-Luc Kanapé fustige cette pratique, craignant que le territoire «ressemble à un grand zoo».
Membre d’une délégation de six personnes, Jean-Luc Kanapé et son équipe ont fait le déplacement jusqu’au congrès de Montréal, où se tient le sommet de la COP15. Leur objectif : «Faire comprendre au gouvernement qu’il y a plus important que les votes aux prochaines élections». «C’est un cri à l’aide pour qu’on arrête ce génocide culturel, s’émeut-il, c’est mon souhait le plus cher». Daniel Fortin appelle lui aussi à l’action lors de ce sommet, avec un «engagement ferme pour rétablir l’habitat des caribous», sans quoi, «tous les efforts seraient vains».
Issue incertaine de la COP15
Déterminé, le groupe d’autochtones Innus est venu à la COP avec des propositions telles que la création «d’aires protégées de la coupe forestière». Daniel Fortin propose lui la «déprédation» comme solution envisageable dans les secteurs où les loups «sont très nombreux». Elle consiste à «tuer des loups pour diminuer la quantité de prédateurs». Jean-Luc Kanapé exerce déjà cette pratique sur le territoire dont il a la garde. «J’observe les loups pour les trapper, explique-t-il. Le but est d’équilibrer les espèces sur des zones où il y a parfois jusqu’à cinq meutes de loups».
Jean-Luc Kanapé avoue tout de même de pas croire en de réels changements lors de la COP15, mais déclare «faire tout notre possible». Cela fait trois ans que les négociations patinent lors de ce sommet. Et cette année, l’objectif est colossal : conclure en deux semaines un accord historique afin de protéger 30% des terres et des mers. Si trois jours de discussions préalables se sont tenus du 3 au 6 décembre pour faciliter le travail, aucune avancée n’a été trouvée. Notamment en raison de l’absence des chefs d’État au sommet, mettant à mal la tenue des négociations.
Source : Le Figaro