Des virus proches du SARS-CoV-2 découverts chez des chauves-souris du genre Rhinolophus et le pangolin malais (Manis javanica) suggèrent que ces animaux ont joué un rôle clef dans l’émergence de la pandémie de Covid-19. Mais où et comment le patient zéro a-t-il pu être contaminé ? Par quel animal ? Et dans quelles conditions ?
Les deux tiers des premiers patients atteints du Covid-19 étaient passés par le marché de Huanan (Wuhan, Hubei), spécialisé dans les produits de la mer mais dont une partie était consacrée à la faune sauvage (jusqu’à sa récente fermeture par les autorités). Même si le premier patient répertorié n’a pas fréquenté ce marché, il a de toute évidence côtoyé des personnes impliquées dans le commerce d’animaux sauvages, auxquelles il a transmis le virus.
Cela nous rappelle l’épidémie de SARS 2002-2003, qui avait débuté dans la province chinoise de Guangdong pour ensuite s’exporter dans une trentaine de pays, faisant au total 8 096 cas et 774 décès. Le coronavirus responsable, le SARS-CoV, fait partie du groupe des Sarbecovirus, tout comme le SARS-CoV-2, mais ces deux virus appartiennent à deux lignées divergentes (82 % d’identité génomique) qui se sont séparées il y a quelques décennies. Pour mieux appréhender les hypothèses sur l’origine du SARS-CoV-2, il est primordial de revenir sur les connaissances scientifiques accumulées sur le SARS-CoV car ces deux virus montrent de nombreux points communs.
Les chauve-souris rhinolophes sont le réservoir des Sarbecovirus
Après l’épidémie de 2002-2003, plusieurs équipes de virologues ont prospecté à travers le monde à la recherche de coronavirus. Ces études ont révélé une grande diversité de Sarbecovirus chez les chauves-souris du genre Rhinolophus (communément appelées rhinolophes), en particulier en Chine, mais aussi en Europe (Bulgarie) et en Afrique de l’Est (Kenya). Il ne fait donc aucun doute qu’une ou plusieurs espèces de rhinolophes constituent le réservoir naturel de l’ensemble des Sarbecovirus. La lignée du SARS-CoV est représentée dans les banques de séquences par des dizaines de génomes détectés chez plusieurs espèces de rhinolophes, telles que R. affinis, R. ferrumequinum, R. macrotis, R. monoceros, R. pearsoni, R. pusillus et _R. sinicus.
La lignée du SARS-CoV-2 compte actuellement seulement trois génomes de chauves-souris, tous isolés à partir de rhinolophes collectés en Chine. Deux génomes identiques entre eux à 97 % ont été séquencés à partir d’individus de l’espèce R. sinicuscollectés en 2015 et 2017 dans une grotte de la ville de Zhoushan (province de Zhejiang). Ils présentent 89 % de similarité avec le SARS-CoV-2.
Le troisième génome est beaucoup plus proche du SARS-CoV-2, puisqu’il est identique à 96 % ; il a été découvert chez une chauve-souris de l’espèce R. affinis collectée en 2013 dans la mine abandonnée de Mojiang dans la province du Yunnan. En raison du Covid-19, les recherches sur le terrain vont s’intensifier et il est certain que beaucoup d’autres virus de cette lignée seront découverts dans les années à venir.
Toutes ces données indiquent que de nombreux Sarbecoviruscirculent et évoluent depuis des décennies dans les colonies de rhinolophes cavernicoles de Chine et probablement aussi dans certains pays plus au Sud (Laos, Myanmar, Thaïlande et Vietnam). Beaucoup de chercheurs pensent que les chauves-souris sont insensibles à ces virus, mais cette hypothèse ad hoc n’a jamais été véritablement testée. Même si elles luttent efficacement contre la prolifération virale, il est fort probable que les populations de chiroptères soient touchées, chaque année, par une forte mortalité causée par ces virus. Cela a par exemple été montré dans des colonies de chauves-souris africaines de l’espèce Rousettus aegyptiacus, identifiée comme le réservoir du virus Marburg.
Les chauves-souris, à l’origine des contaminations humaines ?
Les trois évènements épidémiques liés aux Sarbecovirus ont débuté en Chine au début de l’hiver, en novembre 2002 et décembre 2003 dans la province de Guangdong et très probablement en novembre 2019 dans la province de Hubei. Même si les climats de ces deux provinces sont différents (subtropical à Guangdong et tempéré à Hubei), les températures minimales sont inférieures à 10 °C de décembre à février à Guangdong et de novembre à février à Hubei.
À de telles températures, les chauves-souris hibernent car elles ne peuvent plus trouver les insectes dont elles se nourrissent. Cette adaptation est apparue plusieurs fois au cours de l’évolution des chauves-souris. Dans les grottes, plusieurs espèces de chauves-souris coexistent, et notamment plusieurs espèces de rhinolophes. Certaines cavités hébergent ainsi des centaines, voire des milliers de chauves-souris. La promiscuité et l’activité régnant en période de préhibernation (swarming en septembre-octobre) pourraient favoriser la transmission du virus entre espèces de chauves-souris.
Une telle concentration d’animaux sauvages attire parfois les chasseurs, qui pour la plupart connaissent très bien les cycles saisonniers des animaux. Même si ce sont plutôt les grosses chauves-souris frugivores (taille corporelle : 8-30 centimètres) des régions tropicales qui sont généralement consommées pour leur viande, les petites chauves-souris comme les rhinolophes (taille corporelle : 4-8 centimètres) sont aussi parfois consommées, faute de mieux….
Suite dans The Conversation/15 avril : ICI
photo : Le trafic d’animaux pourrait être une des causes du Covid-19. Dann Bennett/Wikimedia,CC BY-SA