Dans ce département très rural, les animaux sauvages sortent davantage à découvert et se rapprochent des habitations. Une cohabitation qui n’est pas sans incidence pour les exploitations agricoles.
En juillet, Guillaume Mannot, un agriculteur installé sur le plateau de Millevaches, dans le sud de la Creuse, a reçu une drôle de visite. Un renard s’est invité dans sa cuisine ! « Cela n’était jamais arrivé. Depuis le premier confinement, nous avions remarqué une présence plus importante de renards et de renardeaux autour de notre maison. Ils sont moins craintifs, alors qu’ils se cantonnaient avant à la forêt », raconte-t-il.
Les renards roux ne sont pas les seuls à sortir du bois. Sangliers, chevreuils, hérissons et loutres s’aventurent de plus en plus à découvert sur les routes, et même dans les villages. Selon le naturaliste Marc Giraud, habitant dans le Limousin, les animaux sauvages ont été beaucoup plus confiants depuis le confinement et se sont de plus en plus comportés en « voisins » des hommes. « Cela s’explique non pas par une raison biologique mais par une raison comportementale. Les animaux sont vraiment surpris par le déconfinement, ils sont donc plus naïfs, je les vois traverser le village et me manger dans la main », observe-t-il.
A tel point que l’agriculteur Guillaume Mannot s’est mis en tête d’apprivoiser les renards. « Ils ne sont pas nuisibles et chassent nos pires ennemis : les campagnols qui détruisent nos arbres fruitiers. Leur présence ici est donc bénéfique, j’ai même commencé à leur donner des oeufs pour qu’ils viennent plus souvent », explique-t-il. Les hirondelles avaient aussi profité du confinement pour faire leurs nids dans les toits des écoles fermées. « Elles n’ont pas été dérangées et ont pu prospérer. Comme il s’agit d’une une espèce menacée, le confinement a été bénéfique pour elles », explique Franck Taboury, chargé d’études à laLigue pour la protection des oiseaux (LPO) du Limousin.
Très rurale, la Creuse estle deuxième département le moins peuplé de France, avec à peine 117.000 habitants. Mais il reste difficile de quantifier le nombre d’animaux qu’elle abrite. Des associations tentent désormais de les recenser pour mieux les protéger. En collaboration avec la LPO et le conservatoire d’espaces naturels, le Groupe Mammalogique et Herpétologique du Limousin a ainsi lancé des atlas de la faune sauvage en avril dernier. Toute personne apercevant un animal durant sa promenade ou dans son jardin est invitée à le signaler sur son site Internet en y ajoutant une photo.
Cette plus grande proximité avec la faune sauvage a éveillé une prise de conscience chez certains habitants. « J’ai observé beaucoup plus d’oiseaux dans les chemins et les bas-côtés et je fais beaucoup plus attention aux animaux quand je me déplace en voiture ou en tracteur », affirme Victoire Talamona, éleveuse de chevaux près de Boussac, dans le nord du département.
Prudence sur les routes
Mais si certains conducteurs se montrent plus prudents sur les routes, les animaux, eux, ont perdu le réflexe de se méfier des voitures. Franck Taboury comme Marc Giraud disent avoir constaté un nombre croissant de rapaces nocturnes, chouettes effraies, blaireaux et hérissons morts écrasés sur les routes limousines. Cette présence plus marquée des animaux sauvages n’est pas non plus sans conséquences pour les cultures et les récoltes, alors que ceux-ci causent déjà de gros dégâts dans les champs en temps normal. A l’automne dernier, avant l’entrée en vigueur du deuxième confinement, le gouvernement avait d’ailleurs autorisé la chasse par dérogation dans un impératif de « régulation de la faune sauvage susceptible d’occasionner des dégâts aux cultures et aux forêts » – dans la Creuse, la mesure a concerné le gros gibier et les renards.
Malgré cette autorisation, les chasseurs n’ont pas été tous au rendez-vous. « Il y avait beaucoup moins de chasseurs que d’habitude pour plus de gibier. Ce qui se répercute sur le nombre de dégâts. Comme nous devons les indemniser sur les zones ‘chassables’ et ‘non-chassables’, cela représente un énorme poids financier pour les fédérations qui se retrouvent en difficulté », explique le président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Willy Schraen.
Selon un décompte arrêté au 11 mai dernier, la Fédération départementale des chasseurs de la Creuse avait ainsi dû verser 305.000 euros d’indemnisations aux agriculteurs pour la période allant de juillet 2019 à fin juin 2020, avec 358 dossiers au total.
Juliette Picard/Les Echos 27 août