Dans le Maine-et-Loire, un centre de soins pour «réensauvager» les corvidés

Près de Savennières, à une vingtaine de kilomètres d’Angers, l’association Crowlife recueille depuis deux ans corbeaux, corneilles, pies, geais et choucas pour les soigner et les relâcher. Une expérience menée par quelques passionnés pour redorer l’image de ces oiseaux et les étudier avec des scientifiques internationaux.

Au bout d’un large chemin de terre, bordé de jeunes chênes, cinq imposants lévriers anglais réservent un accueil enthousiaste aux visiteurs sous les croassements lointains d’une corneille noire. Bienvenue à Crowlife, premier centre de soins et d’études exclusivement dédié aux corvidés dans l’Hexagone. Ouvert il y a deux ans par des passionnés près de Savennières, à une vingtaine de kilomètres d’Angers (Maine-et-Loire), ce refuge pour corbeaux, choucas, pies et autres geais, de la famille des corvidés, vit ce mercredi matin confiné de la mi-novembre au rythme calme et routinier de ses résidents à plumes – une centaine de spécimens auxquels il faut ajouter un paon, des dizaines de poules (de Padoue, Soie, Sebright, etc.) ou un troupeau de moutons de Soay vagabonds.

«Le confinement a été une paix temporaire»

«Le confinement, ça a été une paix temporaire pour une partie de la faune sauvage, mais le réveil a été brutal car les animaux ont pris des habitudes qui se retournent contre eux

, observe le volubile Eric de Romain, 60 ans, fondateur de cette association de protection animale. Pour nos oiseaux, ça n’a pas vraiment de conséquences car ils vivent dans les mêmes conditions.» Les bénévoles humains, eux, cochent la case «mission d’intérêt général» pour s’occuper des volatiles. Des corbeaux toujours considérés dans les textes comme des «espèces susceptibles d’occasionner des dégâts» – ce que l’on appelait abusivement les«nuisibles» – qu’un arrêté préfectoral obtenu début novembre par les chasseurs et les piégeurs permet de «réguler».

«Malheureusement, les chasseurs ont des dérogations en période de confinement pour exercer un loisir alors que les naturalistes n’ont pas le droit de sortir, conteste le militant écologiste de longue date, aujourd’hui délégué départemental de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Dans le Maine-et-Loire, c’est à cause de la chasse, et surtout du piégeage, que la pie est par exemple en forte régression.»

Savennières, le 18 novembre 2020. Association Crow Life, Centre de Recherche et Protection des Corvidés. L'association accueille des oisillons, juvéniles et adultes et exclusivement des corvidés. SUR LA PHOTO: Eric de Romain (de dos), délégué de l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), ex-président du Collectif des ONG Françaises d’Environnement-Développement.

Eric de Romain, délégué de l’Assocation pour la protection des animaux sauvages. Photo Albert Facelly pour Libération

«Relâche douce» et adaptée

Nulle chasse autorisée sur les terrains mis à disposition de Crowlife par le groupement agricole foncier qui en est propriétaire. Ici, sur le domaine de quelques centaines d’hectares où l’association angevine mène son projet de «réensauvagement» tout en cultivant des céréales bio, l’objectif est avant tout de favoriser le retour à la nature des corvidés. Certains spécimens ramenés blessés par des particuliers nécessitent d’être soignés avant de reprendre la clé des champs. Tandis que d’autres, sauvés d’une longue captivité malheureuse, et donc trop «imprégnés» par leur relation aux humains, ont droit à leur place ad vitam dans ce sanctuaire.

Cette «relâche douce» suit cependant dans ce «havre de paix» un protocole strict. Il est adapté à chaque individu ailé mais n’empêche les prises de bec interespèces. «On essaye de rentrer le moins possible dans les volières pour leur laisser la possibilité de redevenir sauvage et d’apprendre entre eux. Mais il faut bien nourrir les oisillons de la nurserie ou les plus faibles à la pipette quand ils ont une aile cassée», résume Soizic, une étudiante en service civique au sein de l’ONG, désignant un enclos isolé où jacasse, parmi quatre corneilles et un corbeau freux récupérés en région parisienne, une pie bien bavarde. Ces «précautions»n’empêchent ni les échecs de relâche, ni certains corvidés de garder un lien avec les humains.

Savennières, le 18 novembre 2020. Association Crow Life, Centre de Recherche et Protection des Corvidés. L'association accueille des oisillons, juvéniles et adultes et exclusivement des corvidés.

Photo Albert Facelly pour Libération

Prenez Lançon, chouca des tours recueilli il y a un an sur l’aire d’autoroute du même nom. Agé d’à peine deux ans, le juvénile est en quelque sorte la «mascotte» de ces lieux. Il appartient en effet à une espèce protégée pour laquelle l’ONG a obtenu gain de cause en juin devant le tribunal administratif de Nantes afin d’empêcher sa destruction par dérogation dans le département ; et l’oiseau au plumage pas encore gris foncé se pose bien volontiers sur l’épaule la plus offrante. «Il est très sociable, mais il a mauvais caractère. Vous tenez beaucoup à vos chaussettes ?» s’amuse Delphine, l’une des bénévoles parmi la vingtaine que compte le programme de soins, de passage ce matin-là pour nourrir les pensionnaires. Mais «Chouk», c’est son autre surnom, est un cas à part et ne s’éloigne jamais au-delà d’un rayon de quelques centaines de mètres. «Il est absolument non réensauvageable car il a choisi de vivre en compagnie des humains, avance Eric de Romain, croassant pour interpeller une corneille tout aussi peu farouche. En revanche, il est en permanence en danger et ne sait pas se protéger des prédateurs [les fouines et les renards, essentiellement, ndlr].»

Mauvaise presse

Quand vient l’heure du déjeuner d’ailleurs – principalement de l’omelette, un peu de viande, des raisins et des pommes, car les corvidés sont bien des «omnivores» – tout ce petit monde vient quémander sa part sans se précipiter. Ou jouer. Car les corbeaux ont de formidables facultés cognitives. Si leurs capacités – «supérieures à un enfant de cinq ans», insiste, admiratif, l’administrateur de Crowlife – sont déjà bien documentées, son centre se donne aussi pour mission d’en étudier l’étendue comme le comportement social de ces oiseaux grâce à une convention bientôt signée avec le Muséum national d’histoire naturelle ainsi que des scientifiques autrichiens.

«Ils ne mangent qu’un peu de ce qu’on leur donne et rangent le reste de la nourriture dans des cachettes, observe, elle, Soizic, fascinée, au moment de distribuer les provisions. Ça leur permet de revenir plus tard quand ils ont faim et ils connaissent en quelque sorte la date de péremption de chaque aliment.» Pour ceux qui les côtoient ces oiseaux vus dans le monde agricole, où ils n’ont pas bonne presse, comme des «ravageurs des cultures», ils méritent un regard plus juste. «Ce sont des auxiliaires de l’agriculture, défend bec et ongles Eric de Romain, lui-même natif de ces terres rurales. Et c’est pour ça que je veux faire changer les représentations que l’on a d’eux dans la société.» Reste que les corvidés sont dans le collimateur des syndicats agricoles et que le centre Crowlife, pour éviter les ennuis, préfère la discrétion. Et de conclure : «Certains se plaignent des corvidés, mais alors pourquoi l’Etat nous autorise à les relâcher ? C’est que notre action va dans le sens de la préservation du sauvage et de la biodiversité.»

Par Florian Bardou, envoyé spécial à Angers. Photos Albert Facelly pour Libération

Savennières, le 18 novembre 2020. Association Crow Life, Centre de Recherche et Protection des Corvidés. L'association accueille des oisillons, juvéniles et adultes et exclusivement des corvidés.

Photo Albert Facelly pour Libération

 

 

photo : Au Centre de recherche et protection des corvidés, Crow Life, le 18 novembre, à Savennières (Maine-et-Loire). Photo Albert Facelly pour Libération