Jean-Baptiste Jouffray, chercheur au Centre sur la résilience de Stockholm détaille les difficultés scientifiques à tracer les liens directs entre refuges fiscaux et environnement.
Dans quelle mesure les paradis fiscaux participent-ils à la destruction d’espaces naturels ? Plusieurs chercheurs du Centre sur la résilience de Stockholm, de l’Académie royale des sciences de Suède et de l’université d’Amsterdam, sous la direction de Victor Galaz, ont creusé le sujet pendant trois ans. Leurs résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature Ecology and Evolution. Le biologiste français Jean-Baptiste Jouffray est un des coauteurs de l’étude.
Comment les paradis fiscaux sont-ils liés aux activités destructrices pour l’environnement ?
Nous nous sommes concentrés sur deux cas emblématiques que sont la déforestation de l’Amazonie brésilienne et la pêche illégale. En moyenne, 68 % des capitaux étrangers étudiés, qui ont été investis entre 2001 et 2011 dans des secteurs liés à la déforestation de l’Amazonie, industrie du soja et du bœuf, ont été transférés par le biais de paradis fiscaux. En ce qui concerne la pêche, 70 % des navires reconnus comme ayant été impliqués dans la pêche illicite, non déclarée et non réglementée sont, ou ont été, enregistrés dans des paradis fiscaux. En revanche, notre étude n’a pas réussi à établir de preuves directes de causalité entre une entreprise utilisant des paradis fiscaux et un cas précis de dégradation environnementale. Cela, à cause de l’opacité maintenue par les autorités ces lieux sur les montants, l’origine et la destination des flux financiers qu’ils gèrent.
Avez-vous été étonné par les résultats de vos recherches ?
Rien que dans ces deux cas, l’ampleur des flux financiers liés à la destruction environnementale est effarante. Elle prouve qu’il est nécessaire d’ajouter la dimension environnementale au débat sur les paradis fiscaux. Par ailleurs, les pertes de recettes fiscales causées par ces dérives devraient être considérées comme des subventions indirectes aux activités économiques ayant des conséquences préjudiciables pour l’environnement. Dans le cas de la pêche illégale, beaucoup d’Etats qui fournissent des pavillons de complaisance [lorsque le navire est immatriculé sous une juridiction nationale différente de celle de ses propriétaires, ndlr]sont aussi des paradis fiscaux. Ces juridictions manquent de volonté ou de capacité politique pour faire respecter les quotas de pêche et la surveillance maritime. Ils permettent aussi aux bateaux de changer facilement d’identité et de pavillon afin de brouiller le tracé de la ressource. L’industrie halieutique est déjà très opaque….
Suite de l’article de Claude Massiot dans Libération du 22 août
photo : La déforestation de l’Amazonie fait partie des secteurs étudiés par le Centre pour la résilience de Stockholm. Photo Carl de Souza. AFP