Grâce à une technique inédite, dite du « hurlement provoqué », quelque peu étonnante mais qui porte ses fruits, des agents publics et des passionnés tentent de déceler l’installation de nouvelles meutes dans les Alpes.
La lune, presque pleine et haut perchée, le chant des cigales, les ruines d’un village abandonné, les étoiles flottant sur les crêtes d’une vallée des Alpes-de-Haute-Provence… Nous sommes à 800 mètres d’altitude, les chênes et quelques pins recouvrent les cols argileux de la vallée du Vançon, surplombant la Durance qui s’écoule mollement.
Un décor de film, dans lequel on s’attend à tout moment à voir apparaître le roi de la forêt : le loup. Mais il ne s’agit pas d’une fiction. Autour de cette vallée, une trentaine de personnes (agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ou ONCFS, chasseurs, bénévoles ou passionnés) se sont réparties à la nuit tombée par équipe de deux ou trois. Objectif : quadriller le territoire et bien tendre l’oreille. Grâce à une technique inédite, dite du « hurlement provoqué », quelque peu étonnante mais qui porte ses fruits, tous sont venus pour entendre les loups hurler.
A la tête de l’opération, sur toutes les zones de présence permanente (ZPP) de l’animal en France – là où il est installé depuis au moins deux ans –, Nicolas Jean, 40 ans, coordinateur national du réseau des grands prédateurs à l’Office. « Il ne s’agit pas d’un recensement, celui-ci s’opère tout au long de l’année par les relevés d’indices de présence, mais de savoir si de nouvelles meutes se sont constituées durant l’année », précise cet ancien ingénieur, qui rêvait d’être vétérinaire et a acquis une culture scientifique encyclopédique sur Canis lupus, la sous-espèce présente en France depuis son retour par l’Italie en 1992.
Cônes de signalisation
« Début août, les louveteaux sont âgés de six semaines et sont sevrés. Ils sortent de la tanière et se retrouvent avec les adultes sur des points de rendez-vous où ils jouent et commencent à apprendre à chasser. Ce sont ces lieux que nous essayons de trouver », précise ce passionné de faune sauvage et de prédateurs. L’endroit, cartographié méticuleusement, abrite déjà deux meutes, de six à dix individus. Si une portée est née fin mai (au maximum de quatre à six animaux), c’est le bon moment pour entendre japper la progéniture. Ce soir-là, un seul loup répondra aux hurlements des hommes.
Pour faire réagir l’animal, Nicolas Jean a imaginé lui-même une technique qui est devenue un protocole admiré par le monde entier, mais pour le moins artisanal. Sur les postes d’écoute, chacun se munit d’un cône de signalisation orange et blanc et imite, à intervalles réguliers, le hurlement de la bête. Deux jours de formation, une bonne oreille, et on souffle allègrement, par séquences espacées de trois à vingt minutes, en imitant le fameux « Ahouuu… »
Le résultat est garanti, même si le taux de réponse ne dépasse pas les 30 %. L’office a tout essayé, enregistrements, lecteurs MP3, enceintes d’un autoradio… mais le cône s’est révélé idéal et très peu coûteux. Laura, chargée de mission dans une association environnementale qui a requis l’anonymat, vient pour la deuxième année d’affilée : « Cela paraît bizarre au début, mais ça vient vite, dit-elle en souriant. On a tous un peu rêvé de communiquer avec un loup… »
Si l’animal répond, chacun devra remplir une fiche sur laquelle sont notés les lieux et heures d’écoute, le contexte et la description ou la fréquence des hurlements. Durant tout le mois d’août, les équipes se relaient autour des 70 meutes et 92 ZPP recensées en France, de l’arc alpin au plateau du Larzac et du Piémont pyrénéen jusqu’en Bretagne. L’espèce, toujours protégée, comprendrait environ 530 individus, soit 20 % de plus que l’année précédente, et serait donc viable biologiquement, ce qui a amené l’Etat à porter à 17 % les autorisations de prélèvements, ou abattages, contre 10 % en 2018.
« Le loup est un animal atypique, qui s’adapte à tout et forme un clan jusqu’à ce qu’un mâle ou une femelle en soit expulsé : c’est le phénomène de dispersion. L’animal esseulé cherche alors un nouveau territoire et à former une nouvelle meute », dit Nicolas Jean. Trois nouvelles meutes et quatre loups isolés se seraient installés dans le pays depuis 2017, sur des territoires où ils trouvent de quoi se rassasier. La bête engloutit au minimum de 6 à 8 kg de viande par semaine, ongulés sauvages ou brebis.
Une autre manière de la suivre est de poser des « pièges photos ». Le lendemain de la sortie dans le Vançon, Thierry Dahier, un autre agent de l’ONCFS, déjà là au début des années 1990 pour observer la bête, va relever les images d’une caméra déposée dans un petit chemin, aux portes du Luberon. Il ouvre l’appareil accroché en hauteur à un arbre et en retire la carte-mémoire qui comprend films et photos. « Je viens environ toutes les trois semaines, dit-il. Parfois, il y a plus de 600 à 700 images ou films, je regarde sur place. »
Démarche nonchalante
En dehors des passages de sangliers, chevreuils, vaches, chats sauvages ou randonneurs, la surprise est au rendez-vous. Une démarche nonchalante mais attentive, deux yeux blancs qui déambulent, c’est lui. La courte séquence en noir et blanc fera partie de ces indices de présence, comme les excréments, les poils, ou les attaques de troupeaux, et entrera dans la base de données nationale. Près de 4 000 personnes travaillent pour le réseau…..
Suite de l’article de Philippe Gagnebet dans Le monde du 18 août