Dauphins échoués: la faute à la maladie d’Alzheimer?

Etonnante découverte sur la côte atlantique des Etats-Unis: une étude publiée dans la revue PLoS One révèle la présence, chez des dauphins échoués, de lésions cérébrales du type Alzheimer. Or ces cétacés étaient fortement imprégnés par la neurotoxine BMAA, produite par une cyanobactérie. La même qui a été impliquée, chez l’homme, dans la maladie de Charcot.

Collision avec un bateau, désorientation par les sonars, maladies infectieuses… les échouages de cétacés, petits ou grands, sont imputables à de nombreuses causes. L’une d’entre elles pourrait devenir plus fréquente avec le réchauffement et l’eutrophisation galopante: l’intoxication par des toxines d’algues.

DES DAUPHINS IMPRÉGNÉS DE BMAA

C’est cette dernière cause qui semble avoir tué les 14 dauphins (grands dauphins et dauphins communs) que David Davis, neurologue à l’université de Miami (Floride), et ses collègues ont analysés.

Echoués sur les côtes de Floride et du Massachusetts, ces cétacés avaient le cerveau contaminé par la bêta-N-méthylamino-L-alanine (BMAA), toxine notamment produite par des cyanobactéries (anciennement appelées «algues bleu-vert», mais qui sont en fait des bactéries) et des diatomées. Un seul dauphin en était exempt, le seul des 14 à présenter une blessure due à une collision avec un bateau.

La BMAA franchit la frontière hémato-encéphalique pour se retrouver dans le cerveau, où elle se lie à des protéines et modifient leur conformation. Les dauphins autopsiés présentaient, y compris les individus juvéniles, des plaques amyloïdes, caractéristiques chez l’homme de la maladie d’Alzheimer.

LE SYNDROME DE GUAM

L’histoire de la toxine BMAA débute à Guam, île du Pacifique rattachée aux Etats-Unis. En 1950, des médecins militaires y ont observé une incidence de maladies neurodégénératives jusqu’à 100 fois supérieure à la moyenne américaine. Ce syndrome de Guam associe maladie de Charcot (également appelée sclérose latérale amyotrophique, SLA, maladie paralysante et rapidement mortelle liée à une mort massive des neurones moteurs), démence de type Alzheimer et maladie de Parkinson.

Ce n’est qu’en 1987 que des chercheurs en ont découvert la cause: la consommation de graines de l’arbre cyca, très concentrées en BMAA –du fait de la présence au niveau racinaire de cyanobactéries. De plus, les habitants de Guam se nourrissent d’animaux (porcs, cervidés, chauves-souris) consommant eux-mêmes des graines du cyca, résultant en un processus de biomagnification de la toxine.

Ce phénomène semble aussi à l’œuvre chez les dauphins, situés au sommet de la chaîne alimentaire. Les auteurs de l‘étude ont ainsi trouvé chez eux des niveaux de BMAA jusqu’à 3,6 fois plus élevés que ceux de cerveaux de patients décédés d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie de Charcot.

L’ÉTANG DE THAU, EN PROIE À LA BMAA?

Outre le danger qu’elle pose pour la faune marine, la BMAA pourrait aussi constituer un risque de santé publique, en particulier chez les personnes résidant près de lagunes, un milieu marin fermé, propice aux efflorescences algales. Fin 2013, une étude française a ainsi révélé l’existence d’un hotspot de maladie de Charcot autour de l’étang de Thau (Hérault), qui borde Sète.

Selon cette équipe, le risque de SLA y serait 2,24 fois supérieur à la moyenne nationale. L’équipe y pointait la possibilité d’une exposition élevée à la toxine BMAA, que ce soit par voie alimentaire (l’étang produit les huîtres et les moules de Bouzigues) ou par inhalation d’aérosols. A ce jour, le lien entre BMAA et maladie de Charcot sur l’étang de Thau demeure non confirmé, mais toujours fortement suspecté par les chercheurs.

Journal de l’Environnement/29 mars