L’observation sur le terrain n’est pas la seule manière de découvrir de nouvelles espèces animales.
Grâce à des analyses en laboratoire de squelettes et d’échantillons préservés, une équipe scientifique internationale menée par la chercheuse Emma Carroll de l’Université d’Auckland a récemment identifié une nouvelle espèce de baleine à bec, désormais baptisée «baleine à bec de Ramari».
Cette découverte rare et excitante agrandit encore la famille des cétacés et nous montre que les baleines ne nous ont pas encore livré tous leurs secrets.
Différences subtiles, mais significatives
On comptait, jusqu’à récemment, deux grandes populations pour la baleine à bec de True (Mesoplodon mirus).
La première à avoir été recensée se trouve dans l’Atlantique Nord, et l’autre, dans l’hémisphère sud du globe.
Séparées par des milliers de kilomètres, la distance entre ces deux populations soulevaient des questions sur la présence d’interactions entre elles.
Ces suspicions ont poussé Emma L. Carroll et ses collègues à comparer les caractéristiques génétiques et morphologiques d’individus issus de chaque population pour tester leur hypothèse. L’analyse de l’ADN mitochondrial, le séquençage génomique d’un individu de chaque population et l’analyse et de certaines mutations (mutations ponctuelles des SNPs), combinée à la comparaison des dimensions des crânes des spécimens, a révélé la présence d’une grande différence entre les baleines issues de l’Atlantique Nord et leurs congénères du sud. Les écarts constatés, notent les chercheurs, sont si prononcés que les deux populations devraient plutôt être considérées comme étant deux espèces distinctes partageant un ancêtre commun direct. La divergence entre elles aurait débuté il y a environ deux millions d’années lorsque certains individus se seraient déplacés vers le sud suite à un refroidissement océanique. Il y aurait par la suite eu un arrêt total d’échanges génétiques entre les deux groupes il y a environ 350 000 ans.
Pour rebaptiser la population de l’hémisphère sud, l’équipe de l’Université d’Auckland a collaboré avec des détenteurs de connaissances indigènes et des tribus de Nouvelle-Zélande d’Afrique du Sud afin de proposer un nouveau nom : la baleine à bec de Ramari (Mesoplodon eueu), en l’honneur de la chercheuse maori Ramari Stewart. Cette dernière est bien connue en Nouvelle-Zélande pour ses travaux sur les cétacés, mais aussi pour sa contribution à la conservation de la culture maori et à l’inclusion des connaissances traditionnelles au sein d’études scientifiques. Le nom de l’espèce, eueu vient quant à lui du mot Khwe //eu//’eu, signifiant « gros poisson », qui a été suggéré par le Khoisan Council of South Africa.
Qu’est-ce qui définit une espèce ?
Le plus souvent, une espèce est décrite comme un regroupement d’organismes ayant la capacité de se reproduire entre eux et de donner naissance à une progéniture fertile. Cependant, il existe certaines dérogations à cette définition. Par exemple, deux individus considérés comme étant des espèces distinctes peuvent parfois donner naissance à un hybride fertile. Chez les baleines, des cas d’hybridation fertiles ont ainsi été confirmés entre rorquals bleus et rorquals communs.
Plus subtilement, deux organismes pourraient être considérés comme étant des espèces distinctes malgré une compatibilité génétique s’ils occupent des niches écologiques ou ont des comportements sexuels très différents. Parfois, c’est encore plus subtil, comme dans le cas des épaulards, qui comptent pour le moment une seule espèce, mais chez qui on reconnaît 10 écotypes distincts. En d’autres mots, on connait présentement dix types d’épaulards qui ne communiquent et ne se reproduisent pas entre eux, tout en occupant des niches écologiques différentes.
Le taxon des cétacés comporte actuellement environ 80 espèces, faisant de cette découverte un ajout considérable. Pourtant, l’identification de M. eueu constitue la troisième trouvaille de ce genre en trois ans.
Les baleines à bec sont des animaux particulièrement difficiles à étudier. Ces insaisissables créatures passent peu de temps à la surface et plusieurs différentes espèces sont visuellement très similaires entre elles. De plus, la majorité des connaissances sur ces mammifères marins proviennent de carcasses échouées sur les rivages. Observer une baleine à bec dans son habitat naturel étant une occasion rare, leur diversité et leur écologie demeurent obscures. Parmi les 23 espèces de baleines à bec connues, sept d’entre elles font face à un manque de données important, témoignant du mystère qui les enveloppe toujours. Cependant, l’utilisation d’analyses génétiques poussées offre aujourd’hui un moyen de mieux les comprendre et de les différencier plus aisément.
Source : Info Gremm