Des chercheurs suédois se sont inspirés des techniques médico-légales pour accéder à l’ADN des ours polaires, remarquablement conservé, dans ces températures glaciales. Cette méthode non-invasive apparaît comme très prometteuse en ce qui concerne le suivi d’espèces insaisissables ou dangereuses.
Au cœur de l’Arctique, il est des espèces emblématiques et pourtant mystérieuses. Puissantes mais menacées. Dans l’immensité de ce territoire glacé, les scientifiques cherchent à l’apercevoir, ou, du moins, à dénicher ses précieuses traces dans la neige. « Il est particulièrement difficile, coûteux et long de trouver des ours polaires en Arctique, sans parler de les compter et de comprendre comment ils luttent face au changement climatique« , explique Mélanie Lancaster, première autrice de l’étude.
Symbole des conséquences du dérèglement climatique, l’ours polaire est pourtant méconnu. Les chercheurs manquent d’informations cruciales sur la taille des populations et leur niveau de connexion. Pour remédier à cette lacune, l’équipe de Mélanie Lancaster utilise un nouvel outil : l’analyse de l’ADN disponible dans les empreintes des animaux sauvages. Ses résultats ont été publiés dans la revue Frontiers.
« L’ADN est intact en raison de la température très froide »
On connaissait l’analyse de matière fécale pour étudier l’ADN des animaux sauvages, « mais une fois qu’il a traversé l’intestin, l’ADN est particulièrement dégradé et beaucoup plus difficile à travailler », déplore la chercheuse. Et c’est sans compter l’impact de ce prélèvement sur le comportement d’animaux territoriaux comme le lynx, lui aussi inclus dans l’étude. Quant à la capture d’individus, elle se révèle très dangereuse et redoutée par les populations locales. « Les Inuits s’inquiètent à la fois du bien-être de chaque ours polaire, et de la sécurité des personnes susceptibles de chasser l’ours plus tard », éclaire-t-elle.
Mélanie Lancaster redouble donc d’ingéniosité en s’inspirant des techniques médico-légales, particulièrement efficaces pour analyser de minuscules échantillons d’ADN. L’objectif ? Étudier les cellules de peau qui se déposent dans la neige quand l’animal se déplace. « Les empreintes contiennent généralement des cellules de peau fraîches et l’ADN est intact en raison de la température très froide », commente la chercheuse.
Mais comment réussissent-ils cette prouesse technique ? Sur place, les scientifiques ont collecté la neige de 24 empreintes d’ours polaires et 44 de lynx sauvages. Après avoir fait fondre la neige, ils l’ont filtrée pour en extraire l’ADN environnemental, c’est-à-dire l’ADN extrait d’échantillons du sol par exemple. Et les résultats sont prometteurs : les chercheurs ont réussi à isoler l’ADN de plus de 87% des traces d’ours polaires et près de 60% de celles de lynx. Grâce à ces échantillons, ils ont pu réaliser 13 génotypes d’ours polaires et ainsi identifier 12 individus différents ! Près de 76% des échantillons de traces de lynx ont permis une analyse ADN.
Pour les auteurs, cette méthode non-invasive a un potentiel formidable pour éclairer la conservation des animaux sauvages. Rapide, efficace et précise, elle permet aux chercheurs une identification exacte des individus, la mise en évidence d’éventuelles rencontres entre les populations, et une meilleure compréhension de leur comportement. Le tout grâce à des échantillons de plus en plus restreints. « Si l’échantillonnage non-invasif montre un taux de réussite plus faible, la facilité de collecte permet tout de même d’augmenter considérablement le nombre de prélèvements », se réjouit Mélanie Lancaster.
D’autant plus que les auteurs comptent désormais sur la participation de chasseurs, de bénévoles et des communautés autochtones pour recueillir de nouvelles informations sur les ours polaires. « Nous espérons également que la méthode sera étendue à d’autres animaux vivant dans des environnements enneigés – nous avons déjà montré qu’elle fonctionne pour le lynx », conclut-elle.
Source : Sciences et Avenir