Selon les dirigeants indigènes du pays, un quart de la forêt tropicale serait «irréversiblement détruit». Pour le spécialiste Plinio Sist, ce point de non-retour où certaines zones commenceraient à se transformer en savane est dû à la politique du président brésilien, Jair Bolsonaro.
Nouvelle«alerte rouge» pour l’Amazonie. Mardi, les dirigeants indigènes ont annoncé qu’un quart des 550 millions d’hectares qui constituent la plus grande forêt tropicale du monde est «irréversiblement détruit». L’Amazonie, qui abrite 10 % de la biodiversité mondiale et absorbe une partie des gaz à effet de serre de l’humanité, est victime de la politique menée au Brésil. Les autorités encouragent une déforestation intense qui perturbe le cycle de l’eau et accentue les sécheresses localement, regrette l’écologue Plinio Sist, directeur de l’Unité de recherche forêts et sociétés au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
Un quart de l’Amazonie serait irréversiblement détruit, est-ce un chiffre étonnant ?
Pas vraiment. On estimait jusqu’ici que la forêt amazonienne avait perdu 17 % de sa surface en quarante ans. En revanche, l’irréversibilité ne porte pas sur l’ensemble. Sur tout un arc allant du nord du Brésil au sud-ouest de la forêt, il y a une déforestation importante depuis les années 70. On s’approche sans doute d’un point de bascule dans ces zones à cause des effets combinés de la déforestation et du changement climatique.
C’est un cercle vicieux : plus vous déforestez, plus vous changez le climat sur les zones déforestées. Toute la bordure de l’Amazonie risque de connaître des périodes de sécheresse de plus en plus importantes. Les saisons sèches augmentent déjà en intensité et deviennent de plus en plus longues. Localement, il y a un risque de changement de végétation. Si des mesures ne sont pas prises, on peut aboutir dans ces zones-là à une savanisation, c’est-à-dire une savane arborée, comparable à ce qu’on peut voir dans le Cerrado au Brésil. Or, l’Amazonie est la première forêt tropicale humide dans le monde et elle a un rôle essentiel dans l’équilibre climatique.
Quelle est la principale cause de la déforestation en Amazonie ?
Plus de 80 % provient de l’élevage, très extensif. On convertit de la forêt en pâturages destinés aux bovins. Or, quand on enlève le couvert forestier, les sols perdent rapidement de leur fertilité. Au bout de quelques années, ils ne sont plus productifs et on continue à avancer sur la forêt pour avoir de nouveaux pâturages. Il y a aussi de la spéculation foncière : une parcelle déforestée, économiquement, vaut davantage La déforestation est donc aussi une façon de valoriser sa terre. Dans une moindre mesure, l’extraction minière et le soja contribuent à la destruction de la forêt.
En août, le nombre de feux a battu un record vieux de douze ans au Brésil, à quel point est- ce lié ?
Le feu est l’outil de déforestation le plus pratiqué en Amazonie pour libérer de grandes surfaces. Durant la saison sèche, entre juillet et fin septembre, il y a de grands feux, pas naturels mais provoqués par les humains. D’abord, vous entrez dans la forêt, vous coupez et vendez les arbres de valeur, puis vous coupez le reste de la végétation et la laissez sécher sur place car une forêt primaire amazonienne ne brûle pas bien naturellement, son taux d’humidité y est très élevé. Ensuite, vous mettez le feu.
Il y a une responsabilité très forte de l’Etat brésilien…
Le Brésil est un cas d’école, du pire comme du meilleur. Entre 2004 et 2012, sous le gouvernement Lula, le pays a réussi à réduire la déforestation de 80 %. Puis avec la crise économique et l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, on est revenus à une politique d’impunité pour ceux qui déforestent et même d’encouragement de la déforestation. Bolsonaro a une vision qui date des années 70 : pour amener le développement économique, il faut déforester. En l’espace de cinq ans, le Brésil est ainsi arrivé à battre des records qui datent d’il y a quinze ans. On dépasse chaque année le million d’hectares déforestés.
La déforestation a progressé dans les territoires indigènes…
En Amazonie brésilienne, 40 % de la forêt est sous statut de protection, mais avec l’arrivée de Bolsonaro, il y a de plus en plus d’invasion des terres indigènes. Par le passé, elles faisaient office de tampon. Mais l’Amazonie ne se résume pas qu’à ces terres. Si l’on veut résoudre le problème, il faut également proposer des solutions aux petits agriculteurs, qui représentent plusieurs millions de personnes. Pendant les années Lula, les grands propriétaires terriens sont ceux qui se sont le mieux adaptés. Par contre, empêcher les petits agriculteurs de déforester sans leur proposer d’alternatives est peine perdue. Les aider à changer de pratiques est aussi un enjeu.
La tendance pourrait changer avec les élections au Brésil ?
Cela va être un test. Est-ce que la conscience environnementale va entrer en jeu dans le choix des électeurs ?
Libération / 8 septembre 2022 Recueilli par Margaux lacroux Infographie Alice Clair