Illustration Philippe Guerlet
Faute de nourriture suffisante près de leurs nids, du fait du réchauffement de l’océan, ces oiseaux doivent voyager plus loin, de sorte que leurs petits meurent parfois de faim.
La falaise qui surplombe l’océan Atlantique est animée par le ballet de centaines de macareux moines. Sans relâche, ces oiseaux au bec orangé plongent dans la mer, pêchent quelques poissons et reviennent nourrir leurs petits, qui s’apprêtent à quitter leurs nids. Affairés à leur tâche, les volatiles ne font guère cas de leurs invités : des scientifiques venus faire des comptages de la colonie de Hafnarholmi, à Borgarfjördur Eystri, un fjord du nord-est de l’Islande bordé de montagnes aux sommets enneigés.
Equipé de drôles de lunettes à écran, le biologiste Erpur Snær Hansen enfonce un long câble dans l’un des nombreux terriers qui trouent le sol. Au bout du tunnel, la caméra infrarouge finit par découvrir un bébé macareux moine, qui ouvre ses grands yeux curieux face à l’appareil indiscret. « Ici, le taux de reproduction est très bon. Environ 80 % des nids abritent des œufs et 97 % des œufs ont donné naissance à un poussin qui a survécu », s’enthousiasme le directeur du centre de recherche pour la nature du sud de l’Islande. Il entrevoit « une année normale »pour la première fois en quinze ans. Mais il n’en demeure pas moins inquiet pour le devenir de cette espèce emblématique d’Islande, menacée d’extinction, en premier lieu par le dérèglement climatique.
Survie liée à la températue de l’eau en surface
Le scientifique et son équipe réalisent deux fois par an un périple de 6 000 kilomètres autour de l’Islande – qui accueille la moitié de la population mondiale de macareux – afin d’inspecter le millier de nids qu’ils ont marqués dans vingt colonies. Normalement, les couples de macareux s’installent dans leurs colonies à la mi-avril pour se reproduire. Ils pondent leur œuf – un seul par couple – au mois de mai, qu’ils couvent pendant cinq semaines. Les petits, boules de duvet noire et blanc, finissent par s’envoler début août vers l’Atlantique.
Mais depuis 2005, le changement climatique a rebattu les cartes, certaines colonies frôlant l’hécatombe dans le sud de l’Islande, et en particulier aux îles Vestmann, où niche 40 % de la population de macareux moines du pays. Au total, ces oiseaux ont vu leurs effectifs chuter de 45 % entre 2003 et 2017 dans le pays, pour atteindre un peu plus de 2 millions de couples. En 2015, l’espèce a été classée en danger d’extinction pour l’Europe sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature.
« Les chances de survie des macareux moines sont essentiellement liées à la température de surface de l’eau, et cette corrélation est plus forte avec le changement climatique », indique Erpur Snær Hansen, principal auteur d’une étude sur le sujet, publiée en mai dans la revue Global Change Biology. Elle montre qu’un degré de hausse ou de baisse de la température de surface de l’eau par rapport à un optimum situé à 7 °C réduit de 55 % le nombre de petits.
La température affecte en effet directement les proies de prédilection des macareux : les lançons, dont les stocks se sont effondrés du fait de l’augmentation de la chaleur, et les capelans, partis plus au nord à la recherche d’eaux plus froides. Au final, faute de nourriture suffisante près de leurs nids, les macareux moines ont dû voyager plus loin. « Le vol est très coûteux en énergie pour ces oiseaux. Plus ils vont loin, et plus le succès de reproduction diminue car ils doivent consommer l’essentiel de leur nourriture pour leur vol et n’en ramènent presque plus pour leurs petits », explique Erpur Snær Hansen.
« L’espoir n’est pas mort »
Les macareux des îles Vestmann parcouraient ainsi 60 km en moyenne lors de leurs longs vols, contre 22 km sur l’île de Grimsey, au nord de l’Islande, une colonie qui se porte bien, selon une étude publiée en mars dans la revue Journal of Animal Ecology. « Ils ramenaient en outre des poissons plus petits, de sorte que les poussins, moins souvent et pas assez nourris, sont davantage morts de faim », complète Annette Fayet, chercheuse à l’université d’Oxford, et première autrice de l’étude, qui se dit « plutôt pessimiste pour l’avenir des macareux en Europe ». « L’espoir n’est pas mort », juge de son côté Erpur Snær Hansen, car les macareux mangent depuis quelques années davantage de krill atlantique, désormais plus abondant autour des îles Vestmann.
Autre note d’optimisme : la chasse des macareux moines, qui fait partie de la tradition dans un pays où il a été longtemps difficile de se nourrir, est en déclin. Entre 20 000 et 30 000 oiseaux sont aujourd’hui abattus, notamment pour être consommés dans les restaurants, contre 250 000 en 1995. « Il y a un changement de mentalité dans la population et la plupart des chasseurs ont plus de 60 ans. Cette pratique va finir par disparaître », juge Margret Magnusdottir, biologiste dans les îles Vestmann.
Elle est membre de la « puffling patrol », une patrouille créée en 2003 par la population de l’archipel pour aider les poussins désorientés par les lumières du port à retrouver l’océan lorsqu’ils quittent leur nid pour la première fois, se guidant à la lumière de la Lune. Depuis, chaque nuit, entre août et mi-septembre, adultes et enfants se relaient sur les routes de l’île. Ils ont aidé 7 650 petits macareux en 2020, dont certains, blessés, ont été soignés. « C’est désormais le moment le plus sympa de l’année, se réjouit Margret Magnusdottir. C’est si beau et si gratifiant de voir ces oiseaux rejoindre l’océan. »